Le Temps — 16 septembre 2011
Proclamation d’un Etat palestinien : ce qui va changer
L’initiative palestinienne à l’ONU devrait rencontrer un écho favorable qui pourrait bien mener à une redistribution des cartes au Proche-Orient. Analyse de Pierre Hazan
Dans les prochains jours, la grande majorité des Etats, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, devrait reconnaître l’Etat palestinien. Cette proclamation attendue intervient dans un Proche-Orient en pleine reconfiguration et renforce la dynamique de changement. Elle vient clore l’ère du post-11-Septembre où l’Etat hébreu a bénéficié d’un environnement régional et international favorable. Juridiquement, symboliquement et politiquement, analyse de ce qui va changer.
Juridiquement, avec la proclamation d’un Etat palestinien, la Cour pénale internationale pourra désormais s’estimer compétente pour poursuivre les présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans le cadre du conflit israélo-palestinien depuis 2002, y compris lors de l’opération «Plomb durci» de Gaza. Dans l’hypothèse où le procureur de la CPI procède à des inculpations, il pourrait poursuivre non seulement des responsables israéliens, mais aussi des responsables palestiniens. Contrairement aux Palestiniens, l’effet serait dévastateur pour l’Etat hébreu qui se projette comme la seule démocratie au Proche-Orient.
Avec le rapport Goldstone qui avait enquêté sur les violations des droits de l’homme et les crimes de guerre présumés commis lors du conflit de Gaza, les belligérants ont pris la mesure de cette massue morale que sont les commissions d’enquête de l’ONU et plus encore les juridictions internationales. Maîtriser le discours de la guerre, c’est maîtriser la symbolique du crime. C’est «vendre» aux opinions publiques, à travers la formidable caisse de résonance de la machine médiatique, la dramaturgie proposée par les tribunaux qui répartissent les rôles entre victimes et coupables. Et de manière ultime, c’est favoriser l’accomplissement de ses objectifs politiques et militaires. A défaut, c’est apparaître comme un hors-la-loi dans le club des «nations civilisées». D’où l’inquiétude du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui a déclaré que «l’un des défis cruciaux» pour l’Etat hébreu est d’agir auprès des opinions publiques pour contrer «ces tentatives de délégitimer» Israël. Le défi est de taille, car selon un sondage de la BBC en 2011 et effectué auprès de 29 000 personnes dans 27 pays, Israël est, après l’Iran, la Corée du Nord et le Pakistan, le pays qui est perçu le plus négativement dans le monde, notamment en raison de la poursuite de l’occupation, du blocus de Gaza et de la colonisation.
Par ailleurs, la reconnaissance de la Palestine changera la nature du conflit qui, désormais, deviendra international, puisqu’il opposera deux Etats. Du point de vue symbolique, cela rendra plus difficile le fait pour le gouvernement israélien de le réduire à une lutte contre le terrorisme.
Politiquement, la reconnaissance d’un Etat palestinien par la grande majorité des Etats accroîtra l’isolement diplomatique de l’Etat hébreu. La ligne de défense du gouvernement israélien est prévisible: sans doute dénoncera-t-il le fait que dans leur immense majorité ce sont des Etats peu respectueux des droits de l’homme qui ont approuvé la création d’un Etat palestinien. Et il s’emploiera tant sur le terrain que dans l’arène diplomatique à présenter cette reconnaissance comme un non-événement.
Plus problématique pour Israël serait le fait qu’une partie des Etats européens, voire la Suisse votent pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. Les pays européens sont schizophrènes à l’égard d’Israël: la coopération militaire entre Européens et Israéliens fonctionne étroitement, collaboration qui s’est encore accrue depuis les attentats de New York, Londres et Madrid, alors que les ministères européens des affaires étrangères entretiennent de piètres relations avec leur homologue israélien Avigdor Lieberman, situé à l’ultra-droite du spectre politique. L’addition de la reconnaissance internationale de la Palestine, le fait que l’Europe est depuis 1993, et de loin, le premier bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne et l’effritement du soutien à l’Etat hébreu au sein des opinions européennes va encore compliquer la tâche de la diplomatie israélienne. Les derniers sondages montrent que la majorité des Européens soutient l’admission de la Palestine à l’ONU et réprouve l’occupation.
La reconnaissance d’un Etat palestinien intervient dans un contexte régional et international en pleine restructuration, marqué par trois facteurs lourds qui affectent l’équation du conflit. D’abord, les changements de régime et le Printemps arabe créent une situation volatile. Israël bénéficiait d’un environnement prévisible grâce à l’existence de régimes autoritaires hostiles à l’activisme iranien et aux réseaux salafistes. L’Egypte était un allié stable d’Israël depuis le traité de paix de 1979 et la Syrie était son meilleur ennemi puisque aucun coup de feu n’a été tiré depuis 1973 sur leur frontière commune, même si le soutien de Damas au Hezbollah était source de tension. A ce nouvel environnement s’ajoute la montée en puissance de la Turquie. Ankara vient de geler ses relations militaires aussi anciennes qu’étroites avec l’Etat hébreu, et soutient désormais vigoureusement la cause palestinienne, se positionnant devant l’Iran comme le leader du monde islamique, tout en restant un membre clef de l’OTAN et un partenaire important de l’UE tant économiquement que politiquement.
Enfin, la puissance américaine reste forte, mais déclinante et certains responsables américains s’interrogent sur le prix d’une alliance indéfectible avec l’Etat hébreu. Rappelons que l’année dernière, devant une commission sénatoriale, le général Petraeus, alors en charge de la coalition militaire en Afghanistan avant qu’il ne soit nommé directeur de la CIA, faisait remarquer que «la colère arabe à l’égard de la question palestinienne limite la profondeur des liens que les Etats-Unis entretiennent avec les gouvernements et les sociétés de la région».
La «guerre contre le terrorisme» déclenchée par l’administration Bush en riposte aux attentats du 11-Septembre avait créé ces dix dernières années un environnement idéologique et stratégique qui a bénéficié profondément aux autorités israéliennes. Ainsi, les assassinats ciblés contre «des terroristes» furent publiquement approuvés par le gouvernement israélien à la fin de l’année 2000, bien que considérés comme «illégaux» par la grande partie des Etats occidentaux. L’ancien conseiller juridique du gouvernement israélien Daniel Reisner fait observer qu’il a suffi d’une attaque sur les Etats-Unis en 2001 pour que ces «assassinats ciblés» soient désormais interprétés comme faisant partie de la légalité. Plus largement, la réflexion stratégique a été intense ces dernières années entre les partenaires de l’OTAN engagés en Irak et en Afghanistan et Israël, confrontés chacun à des conflits asymétriques.
Mais l’étroitesse de ces liens va devenir plus problématique dans l’hypothèse d’une réélection de l’actuel président. L’administration Obama considère que la politique du gouvernement Netanyahou n’est plus totalement synchrone avec les intérêts américains. Elle souhaite retisser des liens avec un monde arabo-islamique en pleine transformation, alors que le retrait des forces américaines d’Afghanistan et d’Irak est engagé. En Europe, le soutien à Israël continue de s’éroder auprès des opinions, et les diplomates veulent tirer parti des opportunités créées par le Printemps arabe et s’irritent de l’intransigeance du gouvernement israélien jugée responsable du blocage du processus de paix.
Comment l’Etat hébreu va-t-il s’adapter à cette nouvelle donne politique et stratégique, au moment où une partie de sa jeunesse se révolte contre une société dans laquelle elle ne se reconnaît plus? L’heure à une remise en cause des orientations fondamentales du pays est-elle venue, comme le souhaite l’écrivain israélien David Grossman, appelant à ce que l’Etat hébreu soit le premier à reconnaître la Palestine afin d’ouvrir cette nouvelle ère?
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