Jcall rassemble les citoyens juifs européens et les amis d’Israël qui aspirent à une paix au Proche-Orient reposant sur un accord entre Israéliens et Palestiniens, selon le principe «deux peuples, deux États».
Impliqués dans la vie politique et sociale de nos pays respectifs, avec des itinéraires personnels très divers, nous avons en commun un lien indéfectible avec l’État d’Israël et un profond souci de son avenir. C’est pourquoi il nous a semblé urgent de faire entendre une nouvelle voix juive européenne qui s’engage pour la paix au Proche-Orient.
Nous sommes pour Israël, et nous sommes pour la paix. Parce que nous sommes profondément attachés à l’existence, à la sécurité et à l’avenir de l’État d’Israël, nous sommes inquiets de voir que l’occupation prolongée des territoires palestiniens menace l’identité de cet État, menace son statut au sein de la communauté des nations, et rend impossible une paix durable dans la région.
Nous prenons la parole parce qu’il y a urgence. Si rien n’est fait dans un avenir proche, on va à la catastrophe. Pour les Israéliens, le cours actuel des choses signifie que l’État juif se transforme en un État binational de fait, avec pour perspective à moyen terme le choix entre son identité juive et son identité démocratique, et à plus long terme la destruction de ces deux identités. Pour les Palestiniens, cela signifie le déni continu de leurs droits collectifs et individuels, dans une intolérable tension sociale et politique qui risque d’engendrer les pires dérives. Pour les deux peuples à la fois, c’est la marche vers le chaos et des affrontements sanglants. Si l’on veut éviter tout cela, il faut agir rapidement.
Nous avons parfaitement conscience que, pour Israël, la négociation et la décision relèvent des seules instances démocratiquement désignées. Tout processus de paix, cependant, s’inscrit dans une dynamique internationale permettant à la fois de parvenir à un accord et d’assurer que cet accord sera viable. Créer les conditions d’une telle dynamique doit être le souci des authentiques amis du peuple israélien.
Nous ne prétendons pas avoir des recettes toutes faites. Nous affirmons, avant tout, que la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique est conditionnée par la création, à ses côtés, d’un État palestinien souverain et viable, dans le respect des droits des minorités au sein des deux États et avec des garanties de sécurité adéquates pour Israël. Nous soutenons la solution qui bénéficie d’un large consensus international et qui est souhaitée, d’après tous les sondages, par la majorité des deux populations. Cette solution se résume dans la formule «deux peuples, deux États», et se traduit notamment par la création d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël, dans le cadre d’un accord de paix conclu directement par les représentants des deux peuples.
Nous rejetons avec force les campagnes de dénonciation d’Israël qui se développent aujourd’hui dans divers pays. Nous croyons dans le droit de l’État d’Israël à vivre en sécurité, à développer en son sein la prospérité économique et l’harmonie sociale, à entretenir des relations de confiance avec tous les peuples du monde, à devenir cette «lumière pour les Nations» dont rêvaient ses fondateurs. Nous sommes les premiers à répudier les mensonges que l’on colporte au sujet d’Israël. Notre engagement prouve que l’on peut refuser la politique du gouvernement israélien actuel sans verser pour autant dans les attaques haineuses contre l’État d’Israël et son peuple.
JCall est une initiative autonome de Juifs européens qui veulent faire entendre leur voix. Elle n’est liée à aucun mouvement ou parti israélien. Nous sommes des individus libres, agissant au service d’une cause juste dans une indépendance absolue, sans aucun soutien financier ni assistance politique.
A leur place, non; à leurs côtés, oui. Si la décision ultime appartient au peuple souverain d’Israël, la solidarité des Juifs de Diaspora leur impose d’œuvrer pour que cette décision soit la bonne. Lorsque les Israéliens sont dans l’impasse, Juifs et amis d’Israël doivent le leur dire.
Nous ne contestons pas la légitimité des institutions juives, mais nous nous en démarquons dans la mesure où elles s’alignent de manière systématique sur le gouvernement de l’État d’Israël. Nous affirmons le droit et le devoir des Juifs européens d’exprimer un point de vue indépendant lorsque la politique israélienne leur paraît dangereuse pour les intérêts de l’État juif. Nous agissons dans cet esprit au sein des institutions juives européennes et en ouvrant le dialogue avec elles.
JCall veut agir au sein des communautés juives en Europe, afin que la raison l’emporte sur les passions. Les communautés juives ne sont pas monolithiques. Des divergences d’opinion à propos d’Israël existent depuis la création de cet Etat et même depuis la naissance du sionisme. Débattre de ces différences est tout à fait conforme à notre tradition et renforce la cohésion du peuple juif.
Tout indique que nos positions fondamentales sont partagées par un grand nombre de citoyens juifs européens. Mais certains redoutent qu’une critique de la politique du gouvernement israélien ne fasse le jeu des campagnes qui nient le droit d’Israël à exister. En ouvrant le débat, nous montrons qu’il est possible de défendre les intérêts vitaux de l’État d’Israël sans verser pour autant dans un suivisme aveugle envers la politique de son gouvernement.
J Street se définit comme «le foyer politique des Américains pro-Israël et pro-paix». Nos démarches sont donc proches, et nous avons des relations suivies: nous sommes représentés à leurs rencontres, et ils sont représentés aux nôtres. Cependant, les contextes sont différents, et il n’existe aucun lien structurel entre nous.
En Grande-Bretagne, pour des raisons tenant à la communauté juive locale, une organisation distincte a été créée sous le nom de Yachad; elle se définit, elle aussi, comme «pro-Israël et pro-paix». Pour l’Europe continentale, JCall est une structure fédérative qui a vocation à représenter tous les citoyens adhérant à nos positions.
JCall se situe au-dessus des clivages partisans. Nous voulons nous adresser aux gouvernements européens et aux institutions européennes, afin de favoriser une action diplomatique simultanée auprès du gouvernement israélien et de l’Autorité palestinienne, dans le sens d’un règlement du conflit qui sera acceptable par les deux parties.
Certains d’entre nous se définissent comme sionistes et d’autres pas, mais nous reconnaissons tous dans le sionisme un mouvement d’émancipation nationale, et dans la création de l’État d’Israël l’exercice par le peuple juif du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nous considérons par ailleurs que ce droit inaliénable doit être reconnu également au peuple palestinien, sans que cela affecte en quoi que ce soit les droits des Israéliens.
Si l’État d’Israël existe, c’est d’abord parce que des Juifs de toutes origines, se reconnaissant dans le mouvement sioniste, ont édifié dans le pays une nouvelle société. On peut débattre sans fin des conditions dans lesquelles cette présence juive a été établie, et des effets qu’elle a eus sur la population arabe du pays. Mais c’est un fait que coexistent aujourd’hui sur cette terre deux peuples, dotés chacun d’une histoire, d’une culture et d’une volonté collective. La légitimité de l’État israélien résulte donc, tout comme la légitimité du futur État palestinien, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
L’expression hébraïque «Eretz Israël» désigne, de longue date, un espace géographique correspondant au foyer du peuple juif. Le lien avec Eretz Israël, entretenu par les Juifs tout au long de leur dispersion, est l’un des facteurs du développement du mouvement sioniste. Ce lien ne saurait justifier, pour autant, la prétention de certains Juifs à revendiquer des droits politiques exclusifs sur «la totalité d’Eretz Israël», car une telle revendication reviendrait à nier les droits individuels et collectifs des Palestiniens qui habitent sur cette même terre.
La centralité d’Eretz Israël et de Jérusalem dans la conscience historique juive est une réalité. Cette centralité explique la réaction de beaucoup de Juifs et d’Israéliens face à des projets de règlement politique impliquant un partage de souveraineté. Mais refuser le principe du partage, c’est mettre en danger les valeurs qui sont au soubassement du judaïsme et de l’État d’Israël. La violence quotidienne de l’occupation nourrit les ressentiments dans les populations occupées, les pratiques de l’occupation minent la société israélienne de l’intérieur, et l’image d’un Israël figé dans son rôle d’occupant porte gravement atteinte à son statut au sein de la famille des nations ainsi qu’au sein du judaïsme mondial.
Parce qu’un État unique serait une création artificielle, qui ne tiendrait pas longtemps et s’achèverait dans un bain de sang. Tout, ou presque, sépare les deux peuples: l’histoire, la religion, la culture, la langue, etc. Chacun des deux peuples aspire à l’indépendance. Après des décennies d’affrontements, comment imaginer qu’ils accepteraient un État unique alors que des peuples qui ont infiniment plus en commun – les Tchèques et les Slovaques, ou les Serbes et les Croates – s’y sont refusés? Qui plus est, les disparités socio-professionnelles sont telles que dans un État unique les Arabes seraient immanquablement relégués à un statut inférieur, créant ainsi une situation explosive. En conclusion, l’État unique n’est pas seulement une fausse bonne idée: c’est un leurre qui risque de conduire à des affrontements sans fin.
Les éléments d’un accord politique selon la logique «deux peuples, deux États» sont connus au moins depuis le début des années 2000, avec les «paramètres Clinton» et les «négociations de Taba». Ces éléments ont été ensuite formalisés, au terme de deux ans de négociations, par un groupe de travail connu sous le nom d’Initiative de Genève, composé d’Israéliens et de Palestiniens ayant exercé de hautes responsabilités dans leurs sociétés respectives. Les membres du groupe de travail, sans prétendre se substituer aux autorités israéliennes ou palestiniennes, voulaient prouver que des patriotes israéliens et palestiniens peuvent parvenir à un compromis raisonnable assurant l’avenir des deux peuples. De fait, dans les diverses négociations menées depuis lors par Israël (sous des gouvernements successifs) et l’Autorité palestinienne, les négociateurs ont eu recours à des méthodes très semblables à celles détaillées dans le cadre de l’Initiative de Genève. Si les dirigeants israéliens et palestiniens ne sont pas parvenus à un accord, ce n’est pas par manque de formulations juridiques ou de cartes détaillées, mais en raison d’une absence de volonté politique.
Le document rendu public le 1er décembre 2003 par l’Initiative de Genève repose sur la coexistence de deux États indépendants, l’État d’Israël et l’État de Palestine, qui entretiendront des relations diplomatiques pleines et entières, chacun reconnaissant la souveraineté et l’intégrité territoriale de son voisin, avec des dispositions spécifiques pour assurer la sécurité de l’État d’Israël. Les frontières seront basées sur les lignes de 1967 (la «ligne verte»), avec des ajustements mineurs se traduisant par un échange de territoires équivalents en superficie. Du fait de ces ajustements, la grande majorité des Israéliens vivant aujourd’hui au-delà de la «ligne verte» n’auront pas à être délogés, la portion de territoire où ils se trouvent devenant partie intégrante d’Israël. La ville de Jérusalem fera l’objet d’un accord spécifique, aux termes duquel chacun des deux États y aura sa capitale – l’État Israël dans la Jérusalem juive, l’État de Palestine dans la Jérusalem arabe. Les réfugiés palestiniens pourront choisir de s’établir définitivement dans le futur État de Palestine, et ils recevront en outre des indemnités; s’ils souhaitent s’établir dans des pays tiers, y compris Israël, ce sera aux pays d’accueil d’en décider souverainement. L’accord ainsi conclu mettra un terme définitif à toute revendication, territoriale ou autre, entre les deux parties.
Les «accords d’Oslo», signés le 13 septembre 1993, n’étaient pas des accords de paix définitifs entre l’État d’Israël et les Palestiniens mais uniquement un accord intérimaire. Partant d’une reconnaissance mutuelle, les auteurs de ces accords ont créé un processus de conciliation qui devait aboutir sous cinq ans au règlement définitif du conflit israélo-palestinien. Leur erreur de base fut de se focaliser sur des questions de procédure, en laissant les questions les plus difficiles pour la fin. Les deux partenaires se sont ensuite renvoyé mutuellement la responsabilité des retards, blocages et infractions au processus: actes de terrorisme d’une part, reprise de la colonisation d’autre part. L’impasse n’était pas inéluctable, et elle n’est pas non plus irréversible.
Les grands espoirs suscités par les accords d’Oslo ont fait place à la désillusion, et les deux populations ont cessé de croire qu’il existait en face un partenaire fiable avec qui on pouvait négocier. Depuis le déclenchement de la seconde Intifada en 2000, aucune négociation sur un accord de paix définitif n’a pu être menée à son terme. Cependant, quelles que soient les appréciations que l’on peut avoir sur les accords d’Oslo, ils ont laissé un acquis précieux: la création d’une Autorité palestinienne qui dispose encore de la volonté d’aboutir à une solution à deux États. C’est avec elle que le gouvernement israélien doit trouver un accord, tant qu’il est possible de le faire.
Il est vrai que la stagnation du processus de paix israélo-palestinien, la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie par Israël et la croissance des implantations/colonies dans ces territoires, et l’activisme des organisations palestiniennes prônant le terrorisme et la destruction d’Israël, ont suscité des attitudes de découragement. Cependant, chez les Israéliens comme chez les Palestiniens, la formule «deux peuples, deux États» conserve le soutien d’une nette majorité de la population. Mais le temps presse. La paix est plus urgente que jamais.
Autant il est important de défendre les droits fondamentaux des personnes et des peuples, autant l’affirmation d’un droit «patrimonial» sur un pays doit être envisagée avec circonspection. Les revendications exprimées, du côté juif comme du côté arabe, sont compréhensibles au plan humain: ceux-ci prétendent avoir tous les droits sur Ramallah comme sur Jaffa, et ceux-là prétendent avoir tous les droits sur Tel Aviv comme sur Hébron. Chacun est persuadé que ses droits sont les meilleurs, ou les seuls. Mais la comparaison des droits est stérile et fait obstacle à la recherche d’une solution. La démarche positive consiste à remplacer cette concurrence par la reconnaissance simultanée et réciproque du droit de l’autre à vivre dans l’indépendance, la paix et la sécurité. Telle est la logique «deux peuples, deux États», qui est au cœur de l’action de JCall.
Nous ne sous-estimons absolument pas les dangers résultant des ennemis extérieurs d’Israël. Mais les dangers intérieurs, résultant de l’occupation et de l’expansion ininterrompue des implantations en Cisjordanie, ne sont pas moins inquiétants. Bientôt Israël sera confronté à une alternative désastreuse: soit devenir un État où les Juifs seraient minoritaires dans leur propre pays, soit mettre en place un régime discriminatoire qui déshonorerait Israël et le transformerait en une arène de guerre civile. Contrairement à ce que certains croient, le temps ne joue donc pas en faveur d’Israël. La solution à deux États est une condition de la survie d’Israël, et il ne faut pas la laisser passer. Il ne s’agit pas de faire ou non des concessions, il s’agit d’assurer l’avenir d’Israël.
Un traité de paix comprendra des dispositions précises et contrôlables concernant la sécurité d’Israël. Tout retrait des territoires palestiniens devra s’accompagner de mesures strictes qui assureront la démilitarisation réelle de l’Etat palestinien et empêcheront que des organisations terroristes ne menacent la sécurité d’Israël. Certes, nul ne peut garantir que la signature d’un traité mettra fin à tous les dangers, et le meilleur garant de la sécurité des Israéliens restera la force de ses armées. Mais on peut en dire autant de tous les États au monde, ou presque.
Ce qui est certain, en tout état de cause, c’est que la politique actuelle d’Israël ne lui a pas apporté la paix, et qu’en l’absence d’une solution pacifique les actes de violence ne cesseront pas. L’occupation n’a jamais empêché le terrorisme. D’autre part, le fait que le retrait de Gaza a été effectué de manière unilatérale – et non pas négocié avec l’Autorité palestinienne – a renforcé le Hamas, qui a pu se présenter aux Palestiniens comme ayant contraint Israël au retrait. Il convient d’en tirer les leçons.
Il n’existe pas de solution miracle, et la paix (dont l’absence d’attentats est un des éléments essentiels) ne s’édifiera que dans le long terme, suite à un accord entre les représentants des deux peuples. Cela dit, on constate que l’Autorité palestinienne a globalement respecté les accords de sécurité conclus avec Israël, et qu’elle a empêché l’action des organisations terroristes dans les territoires placés sous son contrôle. Cela résulte du principe de réciprocité dans les accords israélo-palestiniens, aussi partiels et fragiles que soient ceux-ci. Cela résulte aussi de l’intérêt qu’a un régime palestinien à assurer l’ordre et la stabilité en son sein. La même logique pourra s’appliquer à l’avenir, et de manière bien plus forte, lorsque Israéliens et Palestiniens seront parvenus à un véritable accord de paix se traduisant par la création d’un État palestinien.
L’Autorité palestinienne a certes été affaiblie par le déchaînement de violence fratricide que fut la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en 2007. On peut donc légitimement se demander qui est en mesure de prendre des engagements au nom de l’ensemble des Palestiniens. Cependant, la pire des attitudes consisterait à laisser les choses en l’état. C’est aujourd’hui qu’il faut faire bouger les lignes, afin de sauvegarder les chances d’un accord futur.
L’idéologie islamiste du Hamas, ses incitations permanentes à la haine antijuive et son comportement agressif envers Israël sont inacceptables. Cependant, Israël a déjà négocié de manière indirecte avec le Hamas – par exemple, plusieurs cessez-le-feu à Gaza et la libération de Gilad Shalit. En tout état de cause, une représentation palestinienne qui reconnaît le droit d’Israël à l’existence, renonce au terrorisme et confirme les accords passés constitue pour Israël un préalable à toute négociation sur la fin du conflit.
Israël a, par le passé, évacué des implantations dans le Sinaï, dans la bande de Gaza et dans le nord de la Cisjordanie: il y a là un précédent significatif au plan politique. Certes, dans le cas présent, les populations concernées sont bien plus importantes et leur déplacement aura un coût humain qu’il ne faut pas ignorer. Mais l’échange de territoires sur une base paritaire, dans le cadre d’un accord de paix, fait que la grande majorité des Israéliens vivant aujourd’hui au-delà de la «ligne verte» (la ligne de démarcation qui était en vigueur jusqu’en 1967), dans les principaux «blocs d’implantations», ne seront pas concernés par un retrait puisqu’ils resteront en territoire israélien sans avoir à quitter leurs maisons. Parmi la minorité de ceux qui devront être relogés, on estime que la plupart partiront de leur plein gré en échange de compensations adéquates, ou se contenteront d’une protestation symbolique. Quant aux irréductibles, ils devront se plier à la règle démocratique et ne sauraient en aucun cas dicter à l’État d’Israël des décisions concernant son avenir.
La règle internationale veut que les pays reconnaissent leur existence réciproque, mais pas leurs «identités» respectives. L’exigence par Israël d’une reconnaissance préalable en tant qu’Etat juif est récente dans l’histoire des négociations israélo-palestiniennes, et Israël a signé des traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie sans exiger une telle reconnaissance. Du point de vue des Palestiniens, l’exigence d’une reconnaissance d’Israël comme Etat juif renvoie au litige qui est au cœur du conflit; s’il doit y avoir une telle reconnaissance de leur part, ce ne sera qu’à la toute fin des négociations et en faire un préalable n’aboutit qu’à bloquer le processus. Une solution à deux États implique que les Palestiniens reconnaissent le droit de l’État d’Israël à exister dans des frontières sûres, à l’intérieur desquelles Israël continuera de se définir comme le souhaite la majorité de ses citoyens.
Au cours des combats qui ont opposé les forces arabes aux forces juives, lors de la guerre de 1948, des Palestiniens ont fui leurs maisons et d’autres en ont été chassés. Il s’agit là d’un événement tragique, analogue aux vastes déplacements forcés de populations qui ont marqué les guerres du XXe siècle. La seule réponse possible se trouvera dans le cadre d’un accord de paix israélo-palestinien, élargi en un accord de paix israélo-arabe et soutenu par la communauté internationale. Cette réponse ne sera certainement pas un «retour» massif à l’intérieur de l’État d’Israël: les appels en ce sens visent à ajouter des injustices à d’autres injustices, et à entretenir une situation de conflit permanent dont certains espèrent qu’elle conduirait à la destruction de la société israélienne mais qui conduirait bien plus sûrement à un massacre généralisé. Tous les vrais projets de règlement, à l’exemple de l’Initiative de Genève, prévoient que les réfugiés palestiniens recevront des indemnités et pourront choisir de s’établir définitivement dans le futur État de Palestine; s’ils souhaitent s’établir dans des pays tiers, y compris Israël, ce sera aux pays d’accueil d’en décider souverainement.
Ce sont des Israéliens (si l’on excepte le cas particulier des habitants arabes de Jérusalem-est, qui dans le cadre d’un accord de paix acquerront le statut de citoyens de l’État palestinien) au même titre que leurs concitoyens juifs, bien que la traduction concrète de cette égalité juridique soit parfois sujette à caution et nécessite une vigilance permanente tant au plan de la défense des droits humains qu’au plan de la justice sociale. La création d’un État qui assumera un projet national palestinien aux côtés de l’État d’Israël, et coexistera pacifiquement avec celui-ci, devrait permettre de résorber progressivement des tensions qui sont apparues au cours des décennies écoulées entre Israéliens juifs et Israéliens arabes.
Si l’on peut légitimement critiquer tel ou tel courant sioniste, le vocabulaire antisioniste est souvent douteux et révélateur de tendances antisémites bien réelles: le mot «sioniste» sert alors à dissimuler le mot «juif», et le «sionisme» est l’autre nom du «complot juif international». C’est un fait que des discours gravement antisémites bénéficient aujourd’hui d’une totale impunité dans certains milieux, pour la seule raison qu’ils se déguisent en discours antisionistes. De tels discours doivent être dénoncés, indépendamment de toute prise de position sur le conflit israélo-palestinien. Quant aux personnes de bonne foi qui veulent critiquer la politique israélienne, elles peuvent le faire sans recourir à l’antisionisme. Il leur suffit de dire, de manière claire et concrète, ce qu’elles reprochent à l’État d’Israël et à ses dirigeants.
Nier l’existence du peuple juif témoigne à la fois d’une ignorance des réalités et d’une volonté de nier le droit à l’existence de l’État d’Israël. Le peuple juif, comme tous les peuples du monde, est une réalité complexe fondée sur un rapport à une histoire, à une culture et à une communauté de destin. Quelles que soient les conditions dans lesquelles les peuples se sont constitués, il est juste et nécessaire de reconnaître leurs droits fondamentaux. Cette reconnaissance vaut pour le peuple palestinien, et il serait pour le moins étrange de la dénier au seul peuple juif.
La paix sera l’œuvre des peuples en présence et de leurs gouvernements. Le rôle de la communauté internationale consiste à faciliter le dialogue entre les parties, soumettre des idées aux dirigeants des deux bords et les inviter à faire les compromis nécessaires. La communauté internationale devra aussi créer des conditions assurant que la négociation débouche sur un accord de paix durable: ainsi, les clauses d’un accord de paix appelleront probablement le déploiement transitoire en Palestine d’une force internationale ou d’observateurs internationaux, et une assistance économique sera indispensable pour résoudre le problème des descendants des réfugiés.
La proximité géographique et les liens historiques font que les pays européens sont bien placés pour servir d’intermédiaires entre Israéliens et Palestiniens, et pour gérer ensuite un programme international visant à édifier un Proche-Orient stable et pacifique. De plus, une pleine association de l’État d’Israël et du futur État de Palestine à la sphère européenne offrira de nouvelles perspectives de développement à la région dans son ensemble. Cependant, pour qu’un tel projet voie le jour, il faut que l’Europe et ses Etats membres se gardent de jouer les donneurs de leçons, car on ne peut contribuer aux négociations si l’on n’a pas la confiance des deux parties. Ce qu’il faut aux peuples du Proche-Orient, ce ne sont pas des propos moralisateurs ni des discours de dénonciation, mais des perspectives porteuses d’un avenir partagé. Telle devrait être la tâche de la diplomatie européenne.
En Europe, malheureusement, les organisations auto-proclamées «pro-palestiniennes» ne partagent pas la démarche de l’organisation pro-israélienne qu’est JCall, consistant à reconnaître au même titre les droits légitimes du peuple juif israélien et les droits légitimes du peuple arabe palestinien. Il faut souligner que le principe de l’égalité des droits est revendiqué par des organisations palestiniennes appartenant au Forum des ONG pour la Paix, et qu’il est soutenu aux Etats-Unis par l’American Task Force on Palestine. De fait, la cause «deux peuples, deux États» répond non seulement aux intérêts authentiques du peuple israélien, mais aussi et tout autant aux intérêts authentiques du peuple palestinien. Et ceux parmi les «pro-palestiniens» européens qui s’obstinent à nier les droits nationaux des Juifs israéliens portent atteinte, selon nous, aux intérêts des deux peuples et à la cause de la paix.
Nous sommes catégoriquement opposés à tous les appels au boycott d’Israël. D’une part, de tels appels sont contre-productifs: comme ils sont dépourvus d’effet réel sur la balance commerciale israélienne, ils n’inciteront pas le gouvernement israélien à changer de politique – mais ils risquent de convaincre les citoyens israéliens que tout changement de politique est inutile, puisque «le monde entier est contre eux». Ces appels au boycott ont, par ailleurs, des effets pervers: lorsqu’ils visent, comme c’est de plus en plus le cas, les productions culturelles et intellectuelles et d’Israël, ils affaiblissent les créateurs et les universitaires israéliens qui sont les meilleurs défenseurs des droits des Palestiniens. Enfin, ces appels au boycott reflètent une polarisation malsaine sur l’État d’Israël, qui est le seul État visé par le boycott alors que des États aux pratiques bien plus coupables sont étrangement ignorés par les boycotteurs.
Il peut arriver, effectivement, qu’une critique adressée à l’État d’Israël soit injustement qualifiée d’antisémite – parce que des défenseurs inconditionnels du gouvernement israélien veulent désamorcer la critique par tous les moyens, mais aussi bien souvent parce que des Juifs se sentent à ce point menacés par une telle critique qu’ils la vivent réellement comme antisémite. Quoi qu’il en soit, une pareille accusation est inadmissible lorsqu’elle n’est pas fondée sur des éléments concrets. On ne peut ignorer, pour autant, le fait que des antisémites utilisent souvent des discours anti-israéliens comme prétextes pour diffuser la haine des Juifs. Une plus grande vigilance à cet égard, de la part des critiques d’Israël qui sont des antiracistes sincères, contribuerait à assainir le débat public.
Le sionisme, en tant que mouvement national juif, n’est pas moins légitime que le mouvement national palestinien. Dans la mesure où l’on veut se distancier de tel ou tel courant politique israélien qui se revendique du sionisme, c’est de ce courant-là qu’il faut parler. Toute généralisation sur «le sionisme» est dénuée de sens, s’agissant d’un mouvement dont l’activité s’est étendue sur plus d’un siècle et qui a compté en son sein des dizaines de courants politiques antagonistes. Yitzhak Rabin était sioniste au même titre – voire davantage, selon nous – que les extrémistes qui s’en prenaient à lui. Les militants du mouvement israélien La Paix Maintenant, qui dénoncent les effets pernicieux des implantations de Cisjordanie, le font au nom du sionisme.