Shalom Buli

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Abraham B. Yehoshoua, Buli (prononcez Bouli) pour tous ses amis, nous a quittés. Ecrivain, essayiste et dramaturge, il a été l’auteur de plusieurs dizaines de livres, la plupart traduits en français ou dans 27 autres langues. Avec ses deux amis et compagnons de lutte, Amos Oz (lui-même décédé en 2019) et David Grossman, il était l’un des trois géants de la littérature israélienne. Récipiendaire du prix d’Israël en 1995, le plus prestigieux des prix culturels du pays, il avait reçu en 2012 le prix Médicis dans la catégorie livres étrangers pour « Rétrospective » (Grasset).

Issu par son père, d’une famille d’origine sépharade installée à Jérusalem depuis quatre générations, et par sa mère, d’une famille d’origine marocaine venue s’installer dans le pays en 1932, il s’est toujours affirmé comme un sioniste fier, enraciné dans son pays et sa langue dont il était un des meilleurs « défenseurs ». Il avait écrit et dit à plusieurs reprises qu’il se considérait comme « un juif total parce qu’il vivait en Israël, à la différence des Juifs de diaspora qu’il qualifiait de « juifs partiels ». Inquiet devant l’aptitude des Juifs à franchir les frontières en fonction des vicissitudes de l’histoire, je me souviens d’une de ses anecdotes au cours d’une de ses conférences où il avait qualifié Abraham, le patriarche, de premier olé (immigrant) quand selon le récit biblique il avait quitté son pays pour se rendre vers le pays de Canaan et le premier yored (émigrant) quand il avait dû affronter la sécheresse et partir.

Mais cette identité juive et sioniste revendiquée s’est toujours accompagnée d’un engagement constant et total pour la justice, l’égalité et la défense des droits pour tous les habitants vivant entre le Jourdain et la Méditerranée. Il siégeait d’ailleurs dans le conseil de B’Tselem, l’ONG israélienne pour les droits de l’homme. Son combat pour la justice n’avait d’égal que celui pour la paix. Compagnon dès sa création de Shalom Arshav, il a été un des signataires de l’accord de Genève de 2003, négocié par des représentants non officiels des deux peuples, qui avaient défini dans leur plan les paramètres pour mettre fin au conflit. Membre successivement du parti travailliste, puis du Meretz, A. B. Yehoshua, comme Amos Oz et David Grossman, a toujours été engagé dans les combats de la gauche israélienne. Partisan depuis une cinquantaine d’années de la solution à deux États, il avait appelé dès 1976 à dialoguer avec l’OLP et, plus récemment, à ne plus considérer le Hamas comme une organisation terroriste. Lui, l’opposant de la solution binationale, dont il disait en 2008 « qu’elle conduirait à la fin de la nation israélienne », en était pourtant arrivé ces dernières années à s’interroger sur «la faisabilité de la solution à deux États devant la poursuite continue de la colonisation et de l’occupation et il demandait à ce que soient examinées avec une honnêteté intellectuelle les autres solutions.

Nous l’avions invité à plusieurs reprises à nos réunions à Paris, dont il était un amoureux, lui le plus francophone des auteurs israéliens. Au cours du dernier voyage que nous avions organisé en Israël et dans les territoires palestiniens en 2017, nous l’avions reçu à Tel Aviv où il était venu nous faire part de ses réflexions devant la situation politique. Il nous avait dit que devant le blocage de la solution à deux États, pour laquelle il avait combattu sans relâche depuis des décennies, il faisait le choix maintenant désormais d’une solution à un seul État, dont il ne définissait pas très bien le mode de fonctionnement, soucieux avant tout que son peuple ne continue pas à en dominer un autre. Quand nous l’avions raccompagné à sa voiture, je lui avais dit que je n’étais pas d’accord avec sa conclusion. Et il m’avait répondu que lui aussi n’était pas d’accord avec lui-même.

Tel était Buli, un homme engagé et complexe, un homme sensible et charmeur au sourire chaleureux, un écrivain qui à travers les personnages de ses romans a su mieux que tous les innombrables essais écrits sur cet État nous parler de son peuple, de ses angoisses et de son histoire, parfois avec humour, mais toujours avec un regard compatissant devant ses faiblesses.

Parmi tous ses romans et nouvelles, j’en signale deux. Voyage vers l’an mille, écrit à l’orée du changement de millénaire, qui raconte le voyage d’un marchand juif venu de Tanger avec ses deux femmes à la rencontre du monde ashkenaze du Nord, une rencontre entre deux civilisations en plein Moyen Âge. Et Divorce tardif qui relate le voyage d’un israélien aujourd’hui installé aux Etats-Unis, revenu au pays pour divorcer de sa femme, hospitalisée dans un hôpital psychiatrique, afin de pouvoir se remarier. Ce voyage se déroule pendant la semaine de Pessah, et chaque jour est raconté par l’un des membres différents de la famille. Ce roman met en scène ainsi sa relation complexe avec ce pays, dont il est si difficile, si ce n’est impossible, de se séparer. Son dernier livre paru cette année, HaMikdash HaShlishi (Le Troisième Temple), non encore traduit, témoigne par son titre que jusqu’à la fin Yehoshua a poursuivi son interrogation sur l’identité de son pays. Buli n’est plus, mais ses livres restent. Courez chez votre libraire !

David Chemla

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