Vous adresser en ces temps difficiles une newsletter est d’abord un message d’espoir. Espoir qu’il y aura un après à cette crise et que nous pourrons revenir à nos préoccupations d’avant, aux engagements que nous partageons et qui donnent tout le sens à notre vie : se battre pour un monde plus juste, un monde où tous les peuples auront une place sur cette terre. Un engagement, en ce qui nous concerne au sein de JCall, pour qu’enfin Israéliens et Palestiniens puissent trouver une solution à ce conflit qui les oppose depuis si longtemps et s’accorder afin de partager cette terre et y vivre en paix côte à côte.
Il y a aura un après à cette crise, mais un après qui ne devra pas ressembler au monde d’avant. Comme l’a dit le Président Macron, une fois cette guerre contre ce virus gagnée, il faudra se poser toutes les questions sur notre manière de vivre, sur notre façon de produire, de consommer, de partager, de gouverner … et en tirer toutes les conclusions.
Il faudra d’abord revoir la place que l’on accorde dans nos systèmes de santé à nos soignants, qui sont aujourd’hui en première ligne pour nous protéger, et leur donner les moyens qui leur font partout cruellement défaut en ce moment. L’hôpital ne doit plus être considéré comme un centre de coût mais comme un atout à défendre. Si en Europe nous pouvons bénéficier d’une protection sociale garantie par notre modèle d’Etat-providence, cela n’est pas le cas ailleurs. Notamment aux États-Unis, où le président actuel s’est attelé à démanteler l’Obamacare, le système de protection universelle mis en place par son prédécesseur (espérons que cette crise poussera ses électeurs à ne pas voter pour lui aux prochaines élections).
En Israël, cette crise sanitaire est arrivée alors que le système de santé était dans une situation catastrophique. Selon les données de l’OCDE, on compte dans les hôpitaux israéliens 3 lits pour 1000 habitants alors qu’il y en a 7 en France (où, à l’instar de ce qui s’est passé dans beaucoup de pays, quelque 100 000 lits ont été supprimés depuis une vingtaine d’années). En Israël, les responsables de cette situation sont les dirigeants actuels qui, depuis une dizaine d’années, ont privilégié les investissements dans la colonisation ou dans le soutien aux institutions rattachées aux partis ultra-orthodoxes plutôt que dans le développement des infrastructures du pays. Il sera temps, plus tard, de nommer des commissions pour faire la part des responsabilités. Malgré les mesures prises très tôt de fermeture des frontières aux étrangers et de mise en quinzaine des Israéliens de retour, l’épidémie se développe en suivant une courbe identique à celle que nous connaissons en Europe. Après avoir mis en place des mesures de confinement partielles pour limiter leur impact sur l’économie, le gouvernement a décidé de rendre le confinement total. Mais une des difficultés majeures est de le faire respecter, notamment par la population ultra-orthodoxe qui, du fait de son mode de vie, est coupée des médias et des réseaux sociaux.
À cette crise sanitaire et économique s’ajoute la crise politique dans laquelle le pays est plongé depuis plus d’un an et qui est en passe, suite à la décision de Gantz de rejoindre un gouvernement d’union nationale, de se résoudre. Pour comprendre la situation, il faut revenir au résultat des élections. Une fois les bulletins décomptés, il est apparu que Netanyahou n’a obtenu le soutien que de 58 députés sur 120. Il a réussi, certes, à récupérer une partie de ses électeurs qui s’étaient précédemment abstenus ; mais cela n’a pas suffit à lui donner une majorité parlementaire, d’autant que le pourcentage des votants a augmenté de plus de 2 points depuis le premier tour. Le parti Bleu Blanc, lui, a progressé de 70 000 voix depuis septembre en récupérant une partie des électeurs des partis Avoda (travailliste) et Meretz qui ont perdu ensemble 4 députés. Mais la plus grande progression a été celle de la Liste Unie avec 110 000 voix de plus, en raison d’une forte mobilisation des électeurs arabes (un taux de participation de 65 %, proche de la moyenne nationale de 70,5 %). L’élection des 15 députés de la Liste Unie a permis, avec le soutien du parti Ysraël Beiténou de Lieberman, de donner à Gantz une majorité de 61 députés (compte tenu de la défection d’Orli Lévy Abekassis élue sur la liste de gauche).
Mais, bien qu’ayant été mandaté par le Président Rivlin pour constituer un gouvernement, Benny Gantz a donc choisi de s’allier au bloc de droite pour former un gouvernement d’union nationale qui serait dirigé pendant un an et demi par Netanyahou, puis ensuite par lui. Cette décision de Gantz a provoqué une explosion immédiate du bloc Bleu Blanc, les 33 députés élus sous ce nom se divisant désormais en deux groupes parlementaires: d’un côté, 17 députés suivent Benny Gantz, et de l’autre 16 députés sous la direction de Yaïr Lapid et Moshé Yaalon demeurent dans l’opposition.
Selon l’accord en cours de négociation, le même nombre de portefeuilles ministériels serait attribué aux fidèles de Gantz qu’au bloc de droite. Gantz aurait obtenu un certain nombre de ministères comme la Justice (poste important en raison du procès de Netanyahou repoussé à mai et des autres procès à venir pour des ministres de droite également mis en examen), la Communication, la Culture, la Défense, les Affaires étrangères, … Très critiqué par les députés de gauche et par ses anciens alliés au sein de Bleu Blanc, Yaïr Lapid et Moshé Yaalon, ainsi que par Avigdor Lieberman, Benny Gantz afirme qu’il n’avait pas d’autre choix dans le contexte de la crise sanitaire actuelle. En effet, un gouvernement soutenu par les 61 députés qui avaient soutenu sa candidature au poste de Premier ministre n’aurait pas pu voir le jour parce qu’il y aurait eu des défections dans son propre parti ; de plus, la majorité de la population souhaitait l’émergence d’une union nationale, comme le montre un premier sondage où la décision de Gantz est approuvée par 61 % de la population, et par 56 % les des électeurs de Bleu Blanc.
L’urgence de la situation sanitaire et ses conséquences économiques vont certainement conduire rapidement à un accord. Le pays ne peut pas continuer à fonctionner, comme c’est le cas depuis un an, avec un gouvernement de transition et sans budget. Déjà près d’un million de personnes se sont inscrites au chômage depuis le début de la crise, et il est nécessaire de prendre rapidement des mesures pour les aider. Nous serons attentifs, pour notre part, aux choix politiques que fera ce nouveau gouvernement et nous continuerons à exprimer notre soutien à toutes les initiatives à venir qui pourraient conduire à la fin de l’occupation.
Cependant cette crise a déjà eu des conséquences qui vont marquer la vie politique du pays. Deux tabous, qui existaient depuis la création du pays, sont tombés. Le premier tabou, au sein de la population juive et chez ses représentants à la Knesset, consistait à exclure de la gestion du pays les représentants de la communauté arabe. Un tel refus est difficilement justifiable alors que, dans les hôpitaux israéliens, soignants juifs et arabes combattent ensemble l’épidémie au péril de leur vie. Le soutien d’Avigdor Lieberman à la candidature de Benny Gantz au poste de Premier ministre, conjointement avec la Liste Unie que Lieberman qualifiait il y a peu de « cinquième colonne », est significatif.
Le second tabou dans la population arabe et chez ses représentants à la Knesset consistait à ne pas proposer au Président, suite à l’élection d’une nouvelle Knesset, un candidat issu d’un parti sioniste au poste de Premier ministre. Cette fois-ci, tous les députés de la Liste Unie ont voté pour Benny Gantz, bien qu’il ait été le chef d’état-major de Tsahal lors de la dernière guerre à Gaza. Rappelons qu’aux élections de 2015, cette même Liste Unie avait même refusé de signer des accords de désistement avec le Meretz (gauche sioniste).
Le Covid-19 ne fait pas la différence entre riches et pauvres, ou entre immigrés et citoyens de souche ; il n’en fait pas entre Juifs et Arabes en Israël, ou entre Israéliens et Palestiniens. Cette menace planétaire doit nous faire prendre conscience qu’en protégeant son voisin, quel qu’il soit, on se protège soi-même.
En attendant, nous devons continuer à suivre les consignes et nous protéger en nous confinant, pour soutenir le combat mené par toutes les équipes médicales dans le monde.
Nous vous souhaitons, à vous et à vos proches, une bonne santé !