La situation complexe d’Israël après les élections et à l’époque du virus

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Article de GIORGIO GOMEL (1)  (traduit de l’Italien par Paul Ouzi Meyerson)

Après une campagne électorale virulente d’insultes personnelles, de vulgarité  et ayant donné lieu à des mystifications, les résultats du vote confirment le sentiment d’un pays fortement divisé, polarisé à l’extrême.  Une campagne marquée, comme lors des précédentes élections d’avril et de septembre 2019, par l’hystérie obsessionnelle suscitée par les partis de la droite nationaliste contre les Arabes israéliens (environ 20% de l’électorat du pays ) que le Président de l’Etat, Reuven Rivlin lui-même, a qualifié d’indécente.

Netanyahu, qui en est à sa huitième campagne électorale en tant que dirigeant et premier ministre du Likoud avec une continuité ininterrompue depuis 11 ans, a transformé les élections de mars en plébiscite en son nom alors qu’il est sous la menace d’un procès imminent qui l’attend pour les cas de corruption, de fraude et d’abus de pouvoir. Le procès qui devait s’ouvrir le 17 mars a été reporté, sur décision du ministre de la Justice récemment nommé par lui, à la seconde quinzaine de mai, en raison de la propagation de l’épidémie de coronavirus en Israël. Le Premier ministre sortant a également teinté la confrontation électorale d’une empreinte idéologique forte : d’une part, il a renouveler la campagne d’opinion visant à délégitimer les institutions indépendantes et à subordonner spécifiquement le pouvoir judiciaire, en particulier la Cour suprême, au Parlement et au gouvernement ; d’autre part, il a invoquer l’annexion de la vallée du Jourdain et l’extension officielle de la souveraineté d’Israël sur les colonies de peuplement dans les territoires palestiniens, se référant au plan de paix publié par Trump peu de temps auparavant. Trump avait déjà donné à Netanyahu une triade de cadeaux au cours des deux dernières année s : la répudiation unilatérale de l’accord nucléaire avec l’Iran, le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem et la décision de reconnaître la souveraineté israélienne sur les hauteurs du Golan syrien.
Pourtant, le triomphalisme du premier ministre en place avec le dépouillement des votes toujours en cours était prématuré, exagéré et peut-être hors de propos. Le Likoud a obtenu 36 sièges sur 120, soit 4 de plus qu’en septembre dernier, tandis que le parti centriste Kahol Lavan, son principal rival, est resté à 33. Mais la coalition sortante composée du Likoud comme centre de gravité, de partis orthodoxes et de la droite nationaliste-religieuse est restée en dessous du seuil de la majorité (59 sièges contre 61).

Dans l’opposition, la gauche juive, unie dans une l’alliance entre le parti travailliste -attentif aux enjeux socio-économiques ainsi qu’à la dégradation de l’État providence et à l’aggravation des disparités de revenus- et le Meretz, le seul parti à soutenir fermement le droit des Palestiniens à un État et à défendre la démocratie inachevée du pays, a subi une nouvelle baisse d’environ 5% des suffrages, en partie à cause du report du vote « utile » envers le parti du centre.

La Liste Arabe Unie a obtenu de nouveaux succès, atteignant 15 sièges : cela a été influencé par la participation croissante des citoyens arabes d’Israël au vote ; leur volonté d’avoir un impact plus important sur le cours politique du pays parallèlement au processus d’intégration économique et civile dans la société israélienne ; enfin, la même volonté manifestée par la direction des partis qui ont rejoint la Liste pour soutenir un gouvernement de centre-gauche si la loi de l ‘«État-nation juif» est annulée (voir Israël État juif et démocratique ? Confronti, juillet 2018). Ils souhaitent également que les négociations avec l’Autorité palestinienne soient reprises et que des progrès soient réalisés en faveurs des communautés arabes d’Israël, souffrant d’arriération, de pauvreté et de criminalité. Les analystes électorales ont montré qu’environ 20 000 électeurs juifs ont déplacé leurs votes des partis classiques de la gauche juive vers la liste arabe.

La nouveauté déterminante des élections est la perspective, pour l’instant encore hypothétique, d’un soutien, extérieur au Parlement, de la LIste Arabe Unie à un gouvernement dirigé par Benny Gantz, le chef du parti centriste auquel le président Rivlin vient de confier la tâche de former le gouvernement. Gantz lui-même avait rejeté l’offre de soutien de la Liste Arabe Unie comme provocatrice pendant la campagne électorale, voulant « se couvrir à droite » et céder aux séductions de l’hystérie anti-arabe. Une telle évolution représenterait la suppression d’un tabou paralysant pour le système politique du pays depuis ses origines : seul le gouvernement dirigé par Yitzhak Rabin entre 1992 et 1995 a en fait bénéficié du soutien des parties arabes, ce qui était pertinent dans le cadre des négociations qui ont abouti aux accords de paix à Oslo entre Israéliens et Palestiniens.

David GROSSMAN

La mission temporaire confiée à Gantz, que la pratique institutionnelle israélienne limite à 28 jours, est évidemment fragile. La coalition sera très hétérogène, composée de son Parti, de la gauche juive et du parti Yisrael Beitenu, dirigé par Lieberman le porte-étendard des Juifs russes qui ont immigré en Israël, un nationaliste de droite et de caractère fortement laïc, un farouche opposant au poids coercitif des autorités et partis religieux sur la vie civile du pays, cet ensemble représente 46 sièges au total. Un soutien extérieur de la Liste Arabe Unie garantirait un consensus majoritaire de 61 personnes seulement.

Le premier projet de loi fondamental proposé par Gantz à ses alliés potentiels et soumis au Parlement dans les prochains jours sera une règle visant à empêcher un inculpé de devenir Premier ministre. La proposition pallierait à un vide de la loi et alors la pratique parlementaire du pays exigerait la démission d’un ministre lorsqu’il est inculpé, mais pas du Premier ministre. Si Gantz ne pouvait pas former un gouvernement de centre-gauche et que le pays devait être gouverné par un gouvernement d’unité nationale d’urgence puis contraint à un quatrième tour d’élections – rendu en outre très difficile par le déclenchement de l’épidémie – Netanyahu deviendrait hors jeu ; Le Likoud lui-même serait poussé à le remplacer dans la direction du parti afin d’éviter un résultat autodestructeur.

Je conclurai d’un point de vu éthique et politique par l’avertissement passionné de David Grossman, grand écrivain et un des intellectuels les plus engagés dans la sphère publique en Israël : «…Après soixante-dix ans, la majorité juive continue de se méfier de la minorité arabe, jusqu’à ce que son innocence soit prouvée … Soixante-dix ans c’est une perversion de la justice … Une minorité non désirée, qui n’appartient pas pleinement au passé, toujours au bord de l’expulsion ou de l’exil. La loi de « l’Etat-nation juif » vise à exclure et humilier les citoyens arabes … Un processus d’intégration à Israël de la communauté arabe a commencé qui impliquera des droits et des devoirs, des responsabilités civiles et politiques qui défieront à la fois la majorité Juif et le statut complexe de la minorité arabe… Gantz, appelez les Arabes à être des citoyens avec des droits et des obligations égaux dans l’État qui abrite la majorité juive. Vous pouvez briser le plafond de verre qui empêche Israël de se développer pleinement en tant qu’État, société et démocratie … et ouvrir une voie pour reformuler le contrat entre les deux segments de la population d’Israël d’une manière égalitaire, antiraciste et respectueuse. Vous avez le pouvoir de donner un contenu concret aux principes de coexistence et d’égalité consacrés dans notre Déclaration d’indépendance de 1948 … »

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(1) Giorgio Gomel est économiste, membre du conseil d’administration de la communauté juive libérale de Rome et co-fondateur du groupe Martin Buber Juifs pour la paix. Il est également le représentant de JCall Italie.

 

 

 

 

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