“Ce processus de judaïsation de Jérusalem-Est illustre parfaitement ce mélange malsain entre politique et religion. Il entraîne l’Etat d’Israël et ses institutions à légitimer des discours fondamentalistes religieux et à avaliser des pratiques politiques et administratives contraires à la démocratie et l’Etat de droit. Une fois le processus lancé, il est difficile d’y mettre fin. Car pour ces colons nationalistes religieux, les lois de l’Etat d’Israël contraires à leur idéologie n’ont aucune valeur”.
Nous reprenons ici un éditorial rédigé par Nicolas Zomersztajn, rédacteur en chef de la revue “Regards” publiée par le Centre Culturel Laïque Juif de Bruxelles.
Cela devait se produire un jour. Il est même surprenant que des émeutes palestiniennes à Jérusalem-Est n’aient pas éclaté plus tôt. Depuis octobre 2014, Jérusalem, la « capitale éternelle et indivisible » de l’Etat d’Israël, n’a jamais aussi mal porté cette appellation que la Knesset lui a attribuée le 30 juin 1980 dans un excès de messianisme et de nationalisme. Jérusalem n’a jamais été aussi divisée depuis que des émeutes ont éclaté dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Ces violences ont atteint leur paroxysme le 22 octobre dernier lorsqu’un Palestinien de Jérusalem-Est a écrasé sa voiture sur un groupe de passants à un arrêt de tramway situé à la limite entre Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, tuant une fille âgée de trois mois. Il a ensuite été abattu par la police [d’autres attentats ont eu lieu depuis dans la ville – note de l’administrateur].
Quelle est la cause de cette violence soudaine de la part d’une population plutôt pacifique? Les quelque 350.000 Palestiniens de Jérusalem-Est accusent Israël de remettre en question le statu quo du Mont du Temple/Esplanade des mosquées en permettant à des Juifs religieux d’y prier. Mais ce sont surtout les expropriations et les expulsions de Palestiniens des quartiers de Sheikh Jarrah, Issawiya, et Silwan, ainsi que l’appropriation de leurs maisons par des colons israéliens qui ont mis le feu aux poudres. Tandis qu’ils voient se développer la colonisation israélienne dans leurs quartiers, les Palestiniens de Jérusalem-Est subissent également une politique d’abandon de la part de la mairie qui ne leur consacre que 10% du budget municipal, alors qu’ils représentent près de 38 % de la population totale de cette ville «indivisible et unifiée»!
La colonisation de Jérusalem-Est n’est pas neuve, mais elle a pris une ampleur inquiétante depuis une dizaine d’années. Des mouvements nationalistes religieux et messianiques sont déterminés à expulser les Palestiniens de ces quartiers. Pour y parvenir, tous les moyens sont permis: titres de propriété douteux datant de la période ottomane, achat de maisons ou de terrain par le biais de sociétés écrans basés à l’étranger, etc. Au cœur de ce dispositif de colonisation, on retrouve une association : El Ir David (Vers la Cité de David), plus connue sous son acronyme «Elad». Elle a aménagé un parc archéologique au sud du Mont du Temple et au nord du quartier de Silwan. Selon les références bibliques, il est situé sur l’emplacement originel de la ville de Jérusalem à l’époque du Roi David. Mais loin d’être guidés par la curiosité scientifique, les responsables de cette association ne se sont pas contentés de créer un site touristique aux prétentions archéologiques contestées. Ils poursuivent en réalité l’objectif politique de renforcer le caractère juif de Jérusalem et de créer une majorité juive dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est.
L’attitude des autorités israéliennes n’est hélas pas neutre. Si Elad est une association privée, elle bénéficie non seulement de subsides publics, mais elle mène ses opérations d’appropriation immobilière avec la complicité des autorités municipales qui prennent souvent soin de transformer ses revendications religieuses et idéologiques en plans d’aménagement!
Ce processus de judaïsation de Jérusalem-Est illustre parfaitement ce mélange malsain entre politique et religion. Il entraîne l’Etat d’Israël et ses institutions à légitimer des discours fondamentalistes religieux et à avaliser des pratiques politiques et administratives contraires à la démocratie et l’Etat de droit. Une fois le processus lancé, il est difficile d’y mettre fin. Car pour ces colons nationalistes religieux, les lois de l’Etat d’Israël contraires à leur idéologie n’ont aucune valeur. Ils perçoivent d’ailleurs la démocratie comme un concept non juif sans aucune signification face à la sacralité de la Terre d’Israël que Dieu a donné toute entière au peuple juif.
«Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie. Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens toujours de Toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies», peut-on lire dans le Psaume 137. Face à l’explosion de la violence et à la colonisation des quartiers palestiniens, ces propos ont une résonnance insupportable. En voyant les fous de Dieu juifs transformer Jérusalem-Est en un nouveau Hébron à plus grande échelle, on est bien loin du centre spirituel du peuple juif censé éclairer le monde par sa sagesse.
Par Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
Revue « Regards » (Cliquer ici pour avoir accès à la revue)
Centre Culturel Laïque Juif (CCLJ), Bruxelles