Après 2 ans et demi de crise politique et 4 élections, toutes soldées par l’échec de Netanyahou à former un gouvernement de droite, Yair Lapid a réussi à obtenir l’accord de 61 députés pour constituer une coalition du Meretz à gauche jusqu’à Yamina à droite qui incluera, pour la première fois depuis 1948, un parti arabe, le parti islamique Raam.
A la veille de la prestation de serment à la Knesset de ce gouvernement du changement, ou d’union selon les appellations, la tension est forte dans le pays et dans la classe politique : beaucoup, parmi les électeurs des 8 partis constituant cette future majorité, craignant un dernier « coup » de Netanyahou pour empêcher sa formation. C’est là sans doute l’image que laissera dans l’histoire celui qui aura eu la plus longue longévité de Premier ministre, celle d’un homme peu scrupuleux prêt à toutes les compromissions pour garder le pouvoir.
Les accords de coalition, négociés jusqu’à la dernière minute, ont tous été publiés. Un premier accord cadre signé par Yair Lapid et Naphtali Bennett définit les principales orientations de ce gouvernement, et attribue à chacun des deux le poste de Premier ministre à tour de rôle : Bennett commençant le premier pendant que Lapid sera le ministre des affaires étrangères, avec un changement entre eux à mi mandat. Puis Lapid a signé des accords avec chacun des partis de la coalition, leur attribuant des portefeuilles et prenant des engagements vis-à-vis d’eux pour répondre à leurs exigences. Chacun des dirigeants de parti aura un droit de véto, mais, en cas de litige, ce sera l’accord cadre qui sera le plus contraignant et le soin de trancher reviendra aux deux dirigeants.
Tous les observateurs ont noté les contradictions inhérentes aux partis formant cette coalition. Ils ont déjà identifié les problèmes qui risquent de survenir dès les prochaines semaines, compromettant son avenir. Pourtant les dirigeants de ces 8 partis affirment tous, au-delà de leurs divergences, partager une même volonté de remettre en marche un pays paralysé depuis 2 ans et demi et qui fonctionne sans budget. Ils veulent s’atteler à prendre en charge les nombreux problèmes qui touchent au quotidien de toute la population. Les chantiers sont nombreux : la santé, où le succès de la campagne de vaccination a masqué l’état de déliquescence d’un système à bout de fonctionnement – les dépenses annuelles de santé étant de 3000 $ par personne en Israël contre le double en France ; les transports, où l’absence depuis des années d’une politique de transport public conduit à une paralysie quotidienne de tout le pays ; l’éducation, où les différences de programmes et de moyens entre les 4 systèmes qui se côtoient, chacun s’adressant à une des 4 tribus constituant la nation, telles que les a identifiées le président Rivlin – laïque, orthodoxe, religieux national et arabe – ont des conséquences sur le niveau global des élèves qui a beaucoup régressé ces dernières années ; l’emploi, où il est nécessaire de mettre en place des programmes de retour à l’emploi suite à l’explosion des faillites (100 000 ) et du chômage (500 000 chômeurs pendant la crise) due à la pandémie ; la situation sociale où la politique ultralibérale des gouvernements successifs, majoritairement de droite, avec une division par deux en 20 ans des dépenses de protection sociale, a entrainé un appauvrissement de près de 2 millions de personnes ; la violence et la délinquance dans les villes et villages arabes, avec plusieurs dizaines de meurtres par an qui ont contribué à l’explosion des émeutes intercommunautaires du mois dernier ; … La liste est encore longue des chantiers à ouvrir !
Mais au-delà de ce programme, qui occupera largement ce futur gouvernement, nous retenons deux de ses caractéristiques majeures qui vont constituer un tournant dans l’histoire du pays.
Tout d’abord la présence de ministres d’un parti arabe en son sein constitue une révolution qui restera un acquis. Les Arabes voient leur légitimité reconnue pour entrer dans le jeu politique du pays, après en avoir gravi tous les échelons par leur travail et la réussite dans leurs études.
Enfin le dénominateur commun des participants à ce gouvernement est leur volonté de tourner la page aux années Netanyahou, avec la violence verbale et parfois physique qui les a caractérisées. Ils aspirent tous à pacifier le débat public, ne faisant plus de leurs adversaires des traitres ou des ennemis, comme cela a été le cas ces dernières années, et à permettre à la société israélienne de retrouver la cohésion qui la caractérisait à ses débuts. Là est sans doute le principal enjeu de ce gouvernement qui, par ailleurs, compte tenu des divergences existantes entre ses participants sur la politique à mener vis-à-vis des Palestiniens, sera sans doute un gouvernement de paralysie sur ces questions.
Mais si ce gouvernement réussit à mettre fin à la quasi « guerre civile », verbale pour l’instant, existant dans le pays, il accomplira sans aucun doute sa tâche la plus importante. C’est seulement en rétablissant un débat interne plus serein et en réintroduisant un respect mutuel que le pays pourra retrouver en lui la confiance et la force pour aborder les défis à venir.