L’élection présidentielle américaine qui aura lieu en 2024 portera avant tout sur les thèmes de politique intérieure, comme toutes celles qui l’ont précédé. Pourtant, un thème de politique étrangère, le conflit israélo-palestinien pourrait bien y jouer un rôle de premier plan.
Le poids négligeable des Juifs américains
Contrairement au mythe de l’influence juive, celle-ci est à peu près inexistante dans le déroulé de l’élection américaine, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, sur une population de 350 millions d’électeurs, les Juifs ne pèsent que 2% du corps électoral et, circonstance « aggravante », la grande majorité d’entre eux habitent dans des États très marqués idéologiquement, et non des États indécis comme la Géorgie ou l’Arizona. Ainsi, 80% des Juifs américains habitent dans 7 États : New York, la Californie, le New Jersey, le Massachussetts, l’Illinois (tous démocrates), la Floride (devenue républicaine dans les dernières années), et la Pennsylvanie, seul État indécis, et près de la moitié d’entre eux habitent à New York ou en Californie.
Les Juifs n’habitent donc pas les États clés, et de surcroit ils ne sont eux-mêmes pas indécis politiquement. Depuis près de 50 ans, ils votent de manière indifférenciée à 70-75% pour les Démocrates, et même à 85% pour les non Ultra-orthodoxes. Malgré les espoirs répétés du Parti Républicain, cette réalité est quasiment intangible. Les Juifs américains sont peu susceptibles de changer d’opinion et donc moins intéressants pour les campagnes des partis.
Autre fantasme lié au poids des Juifs, leur impact sur les finances et les dons aux partis politiques est très faible. Les grands donateurs sont les lobbies de la santé ou de l’armement, en aucun cas les lobbies pro Israël, qui ont dépensé, lors du cycle de 2020, selon Open Secrets, 3.6 M contre des dépenses globales de…14 milliards !
Enfin, Israël joue peu dans les préférences partisanes de Juifs, Israël ne comptant que dans 7% des cas dans leur choix politique.
Si les Juifs pèsent peu électoralement, avec Israël jouant peu dans leurs choix politiques, il n’en est pas de même pour une autre communauté religieuse, les Chrétiens évangéliques.
L’influence grandissante des Chrétiens évangéliques
Si les Juifs sont 7 millions, les Chrétiens évangéliques sont, eux autour de 100 millions. Et ils ont parfois une influence immense dans certains États indécis comme l’Arizona (38%) ou la Géorgie (28%).
Pour cette communauté, 2 thèmes dominent : la lutte contre l’avortement et…Israël. C’est entre autres pour cette raison qu’ils se rangent en masse derrière Trump, malgré les turpitudes morales, financières et sexuelles de l’ancien président américain.
Israël est un sujet prioritaire pour ces électeurs car ils voient dans le retour des Juifs en Terre d’Israël l’annonce du retour du Messie, la conversion en masse des Juifs au christianisme et la fin des temps. Pour beaucoup d’entre eux, cela est a prendre au pied de la lettre…
Netanyahu a d’ailleurs privilégié depuis des années l’alliance de ses gouvernements avec les Chrétiens évangéliques au détriment des Juifs américains, politiquement libéraux et de plus en plus éloignés de ses propres idées politiques et celles de ses allies ultra nationalistes ou ultra orthodoxes.
Les évangéliques jouent un rôle majeur dans les primaires républicaines, car aucun candidat ne peut l’emporter contre eux, mais leur rôle demeure important lors des élections générales. Du fait de leur poids démographique important et du rôle joué par leurs églises, ils peuvent mobiliser massivement et avoir un impact certain, surtout dans les États indécis ou l’élection se joue.
Autre rôle important par ces églises : ils peuvent permettre aux GOP d’élargir son audience auprès des minorités noire et hispanique, normalement solidement arrimées au Parti Démocrate. Ainsi, 90% des Noirs et 60% des Hispaniques ont voté Biden en 2020 mais le paradoxe est que leur affiliation religieuse les rend plus perméable au thème d’Israël que les Juifs américains qui sont d’abord mus par une vision de la société comme vu plus haut. Ce thème d’Israël permet aux Républicains d’élargir son audience, à la marge, auprès de ces communautés qui peuvent décider de l’élection. A titre d’exemple, si les Noirs américains ont voté Biden a 92% en 2020, ce chiffre n’était « que » de 70% pour les Noirs évangéliques, et le même décalage existe chez les Hispaniques.
Thème clé pour une clientèle électorale stratégique pour les Républicains, Israël présente un autre avantage, celui d’orienter le débat politique vers un terrain qui lui est plus favorable.
Israël, un marqueur bien commode
Israël devient aujourd’hui un marqueur politique sociétal, qu’il est possible de relier aux valeurs familiales contre les valeurs de décadence qui seraient véhiculés par les Démocrates, et ce thème devient prioritaire dans la bataille en cours.
Le Parti républicain promeut une vision de la société qui est en décalage croissant avec les aspirations de la société, sur l’éducation, la santé ou l’avortement par exemple. Les thèmes de société comme le wokisme ou les droits des transgenres permettent au GOP d’orienter la conversation vers le sujet de la famille et de se présenter comme le parti du bon sens contre celui de la déconstruction par le biais du wokisme, véhiculé par les grandes institutions universitaires américaines.
Israël est un angle d’attaque parfait dans cette bataille culturelle, en particulier depuis l’audition désastreuse des présidentes d’universités le 5 décembre dernier. La déconnexion entre un discours de bon sens attendu et les réponses alambiquées de ces présidentes a été une divine surprise pour la droite conservatrice américaine, qui peut les utiliser à son profit dans la bataille culturelle, notamment contre l’éducation supérieure. Il y a fort a parier que ces auditions seront reprises dans les spots de campagne de Trump, car ils offrent une vision caricaturale (et minoritaire) de la pensée libérale. En ce sens, Israël et au-delà l’antisémitisme deviennent des angles très porteurs pour les Républicains qui pourront se présenter comme l’alternative raisonnable aux discours décontructionnistes, woke, sur Israël mais aussi sur les droits des transexuels, des homosexuels, des minorités raciales ou des femmes. L’effet de loupe fonctionne d’autant plus que le Parti Démocrate est souvent trop timide pour dénoncer les excès en son sein alors que le wokisme y demeure très minoritaire. Le piège se referme donc sur les Démocrates, avec leur complicité voire leur lâcheté…
Outre la capacite à caricaturer leur adversaire, Israël permet aux Républicains de détourner le regard de la société sur un autre sujet, celui de leur candidat Trump, et on peut prévoir qu’ils ne s’en priveront pas.
Israël, la machine à « cachériser » Trump
Depuis son irruption sur la scène politique, Trump a toujours tenu des propos outranciers, sexistes, racistes, et il ne s’est pas assagi et a bien des égards il est même devenu encore plus extrême. Or il ne peut pas l’emporter sans les électeurs indépendants dans les États indécis. Il importe donc de le rendre présentable, et Israël offre cette opportunité.
Lorsque Trump parle des immigrés comme de la vermine qui salissent la nation américaine, déjeune avec le négationniste Nick Fuentes, ou parle des pays africains comme des pays de merde, Israël (et les petits enfants juifs de Trump du fait de la conversion de sa fille Ivanka) est appelé systématiquement à la rescousse avec notamment le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, comme gage de moralité et d’antiracisme.
Israël permet aussi de présenter Trump comme un diplomate de talent, avec les accords d’Abraham comme illustration, qui permet de passer sous silence sa diplomatique erratique envers la Corée du Nord, lâche envers la Russie, agressive envers l’Europe ou incohérente avec la Chine.
Alors que le rôle de l’UNRWA est remis en cause, du fait de la présence de terroristes en son sein, le GOP aura beau jeu de rappeler que Trump a coupé les financements de cette organisation en 2018, et que c’est Joe Biden qui a rétabli son financement en 2021, en omettant de rappeler que Biden a suspendu ce financement à la lumière des graves accusations contre l’organisation.
Enfin, au-delà des attaques sur le fond au sujet des positions des Démocrates, Israël présente un dernier atout pour les Républicains, celui de semer la zizanie dans le camp d’en face.
Israël, pomme de discorde chez les Démocrates
C’est au sein du Parti démocrate que Biden rencontre la plus forte résistance à son soutien appuyé à Israël, notamment auprès des jeunes. Ainsi, 40% des jeunes Démocrates voient l’alliance avec Israël comme dans l’intérêt national des États-Unis, contre 70% du parti en général.
Or Biden a besoin des jeunes pour l’emporter. Même si ceux-ci ne votent pas Trump, leur abstention serait une catastrophe, puisque 80% de sa marge de victoire contre Trump provenait de ces électeurs en 2020.
Si la défiance manifeste envers Israël reste minoritaire au sein du parti démocrate, malgré quelques députés très critiques envers Israël, la méfiance envers Netanyahu et son gouvernement est beaucoup plus forte qu’au sein du GOP, qui sur le fond apprécie la vision illibérale de Netanyahu et qui, électoralement, dépend des évangéliques, eux-mêmes très proches de Netanyahu.
Le GOP a donc tout intérêt à jouer le thème d’Israël dans la campagne qui s’annonce car il a tout à y gagner, alors que le sujet est plus explosif pour le Parti démocrate.
Un des grands atouts d’Israël a toujours été d’être l’objet d’un soutien bipartisan à Washington. Avec des nuances, ce soutien demeure bipartisan aujourd’hui mais cela n’empêchera pas Israël d’être sans doute un sujet d’affrontement majeur lors de la campagne qui s’ouvre, quitte à mettre en péril à moyen terme ce statut consensuel aux États-Unis, ce qui serait lourd de menaces et de dangers pour Israël.
Sébastien Lévi