John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain, devrait être de retour au Moyen-Orient dans les jours qui viennent afin de poursuivre sa tentative de rapprochement des positions israéliennes et palestiniennes. Il s’efforce de trouver les arguments, les méthodes et les moyens qui permettront de faire repartir le processus de négociations et de parvenir à un accord de paix. Ce sixième voyage de John Kerry, depuis qu’il a pris ses fonctions il y a un peu plus d’un an, était prévu depuis son dernier passage fin juin. Les incertitudes concernant les dates précises de cette visite sont liées au fait que l’épouse de John Kerry est gravement malade. Les quotidiens israéliens Yedihiot Aharonot et Haaretz, ainsi que le New York Times, ont confirmé la venue imminente du responsable des affaires étrangères américain. Les efforts de John Kerry sont jugés avec scepticisme par les journalistes et les divers observateurs de la scène du Moyen-Orient. Mais, les grandes organisations juives américaines, notamment l’AIPAC qui est la plus importante politiquement, ont exprimé leur confiance en l’initiative du Secrétaire d’Etat mandaté par le président des Etats-Unis, Barak Obama.
Lors de sa dernière visite de quatre jours qui s’est achevée le 30 juin, John Kerry a poursuivi d’intenses entretiens avec Mahmoud Abbas, le Président de l’Autorité palestinienne, et Benyamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël. Avant de retourner à Washington, le Secrétaire d’Etat a conclu que ces contacts approfondis avaient permis d’obtenir de « réels progrès » en ce qui concerne le rapprochement des positions des uns et des autres.
Du coté de l’Autorité palestinienne, l’écho est moins favorable puisqu’elle considère « qu’il n’y a pas eu de véritables avancées » qui puissent permettre la reprise des négociations directes bloquées depuis plus de trois ans. Cependant, Mahmoud Abbas a aussi affirmé que le Secrétaire d’Etat américain avait fait “des propositions utiles et constructives“.
En ce qui concerne l’exécutif israélien, les commentaires sont tout autant elliptiques ! Au cours du Conseil des ministres du 30 juin, Benyamin Netanyahou a explicité sa position suite aux longues conversations qu’il a eues avec Kerry et Abbas : « Israël est prêt à reprendre les négociations sans délais et sans pré-conditions. Nous ne mettrons pas d’obstacles à la reprise des pourparlers permanents et à un accord de paix entre nous et les palestiniens. Mais, il y a des sujets sur lesquels nous insisterons fortement durant les négociations, notamment tout ce qui concerne la sécurité. Il n’y aura pas de compromis sur la sécurité et il n’y aura pas d’agrément qui pourrait mettre en péril la sécurité d’Israël, et j’estime qu’il est nécessaire que tout agrément obtenu par la négociation soit soumise au peuple pour une décision ».
Pour avancer, une concertation américaine intensive avec les négociateurs israéliens et palestiniens…
Pour ne pas perdre de temps et maintenir la pression sur les négociateurs, John Kerry a laissé derrière lui une équipe diplomatique menée par Frank Lowenstein, son principal conseiller. Cette équipe mène une concertation intensive avec Tzipi Livni, Ministre de la justice d’Israël et déléguée aux négociations de paix, Itsrak Molkho, conseiller de Netanyahou, et Saëb Erakat, le chef des négociateurs palestiniens. Selon le quotidien israélien « Haaretz » l’équipe de Lowenstein s’est efforcée de convaincre les deux camps d’accepter un document contenant les principes permettant la reprise des négociations. Jusqu’à présent cette proposition n’a pas rencontré de succès.
Les détails de ce document ne sont pas connus à ce jour. Les journaux précités croient savoir que la reprise des négociations pourrait s’appuyer sur le discours du Président américain, Barak Obama, prononcé en 2011. Ce discours faisait référence à la création d’un état palestinien à l’intérieur des frontières d’avant la « guerre des six jours » en 1967, il ne comportait pas de référence particulière concernant l’arrêt de la construction d’implantations dans ces territoires.
Le journal arabophone « Al Hayat », proche du pouvoir Saoudien mais basé à Londres, dit tenir de sources royales jordaniennes – souvenons-nous que Kerry a rencontré également le roi Abdallah II à Amman lors de sa dernière visite – que la proposition américaine inclut une période de six à neuf mois pendant laquelle toute construction serait gelée en Cisjordanie à l’exception des grandes colonies proches de la « ligne verte ». Toujours selon « Al Hayat », Israël accepterait la libération d’une centaine de prisonniers arrêtés par ses forces de sécurité avant les accords d’Oslo de 1993. Par ailleurs, Israël permettrait à l’Autorité palestinienne de développer des projets dans la « zone C » de Cisjordanie qui est actuellement sous l’entière autorité de l’état hébreu.
Pourquoi se focaliser sur le processus de paix alors que le chaos s’accroît dans le monde arabe ?
Bien qu’ils reconnaissent les mérites de la ténacité de John Kerry et la profondeur de son engagement pour la paix, les observateurs de la scène israélo-palestinienne restent dubitatifs quand aux résultats obtenus dans l’immédiat ou à venir dans le court terme. Nombreux sont ceux qui se remémorent les multiples déplacements du Président Clinton, de l’émissaire du « Quartet » Tony Blair, ou du prédécesseur au Secrétariat d’Etat américain, la très active Hillary Clinton… Cette « diplomatie du tapis volant » a échoué à relancer le processus de paix et tous les contacts officiels dans ce cadre furent rompus en 2010, après la guerre à Gaza entre le Hamas et Israël.
L’éditorialiste chevronné, David Horowitz , exprime bien cette désillusion, dans le journal « Times of Israël ». Il écrivait le 1er juillet dernier : « Kerry investit une immense énergie et son temps personnel et le prestige diplomatique des États-Unis, en essayant désespérément d’amener Netanyahu et Abbas simplement au point de départ d’un chemin qui a déjà été parcouru de nombreuses fois auparavant. Un chemin qui passe par l’amère expérience des visites spectacles de Bill Clinton et de George W. Bush et qui n’a conduit qu’à une impasse ».
Dans le même style, Shlomi Eldar du site « Al-Monitor » (spécialisé sur le Moyen-Orient) estime que : « John Kerry n’a pas réussi à comprendre que les Israéliens et les dirigeants palestiniens sont tous les deux actuellement liés à leurs opinions publiques et ne peuvent pas faire le nécessaire ».
Même vent de pessimisme dans la presse française, ainsi le 1er juillet « Le Monde » publie un article de Laurent Zecchini qui pointe les deux façons de jauger la dernière navette diplomatique de John Kerry : « l’une est de se fier à l’optimisme chevillé au corps du secrétaire d’Etat américain, qui a fait état de “progrès réels” ; la seconde est de rapporter le volontarisme de Kerry à la décision que devait avaliser la municipalité de Jérusalem, s’agissant de la construction de 930 logements dans la colonie de Har Homa »…
Une couche de scepticisme supplémentaire ? Les envoyés spéciaux du « New York Times » se demandent si John Kerry a raison de se focaliser sur le processus de paix entre palestiniens et israéliens alors que le « chaos s’accroît au Moyen-Orient ». « Le conflit israélo-palestinien, autrefois symbole absolu et source de griefs dans le monde arabe, est maintenant presque devenu une sorte d’attraction dans un Moyen-Orient consommé par les conflits sectaires, la misère économique et, en Egypte, le combat d’un dirigeant démocratiquement élu pour préserver sa légitimité face à une grande partie de son peuple », constatent Mark Landler et Jodi Rudoren.
Pourtant il y aurait lieu de se réjouir au moins d’une bonne initiative, celle présentée par le Secrétaire d’Etat américain lors du « Forum Economique International » qui s’est tenu sur les rives de la Mer Morte (Jordanie) le 26 juin dernier. A cette occasion, John Kerry a donné des détails précis sur le plan de relance de l’économie palestinienne préparé par Tony Blair, le représentant du Quartet (Etats-Unis, Europe, Russie, ONU) et annoncé que 4 milliards de dollars devaient lui être alloué. Si la plupart des observateurs reconnaissent des mérites à ce plan, du coté arabe on demeure toujours dubitatif. Mohamed Younés, dans le journal « Al-Hayat », note que « ce plan est susceptible de revitaliser l’économie palestinienne, cependant il offre peu d’améliorations politiques, ce qui réduit sa portée ».
Les organisations juives américaines soutiennent John Kerry
Cette flambée de réactions désenchantées face à la nouvelle initiative de paix américaine et à la forte volonté de John Kerry de relancer les négociations – n’oublions pas que le Président Obama lui a confié cette mission – a de quoi attrister les militants de JCall que nous sommes. Nous avons besoin de la chaleur des bonnes volontés pour réchauffer notre croyance en la solution « Deux peuples, Deux Etats ». Terminons donc ce tour d’horizon par des opinions plus positives quant aux efforts du Secrétaire d’Etat américain.
La première bonne surprise vient de la communauté juive des Etats-Unis. Dans son édition du 26 juin 2013, le « Jerusalem Post » confirme que « les dirigeants juifs américains ont rencontré les sénateurs démocrates à Washington pour apporter leur appui aux initiatives de paix de l’administration Obama ». Toujours selon ce journal, « Michael Kassen, le président de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), la plus importante organisation de soutien à Israël, a débuté son discours de présentation au Sénat par un chaleureux encouragement aux efforts de John Kerry pour relancer les négociations ». Le Rabbin Steve Gutow, qui dirige le « Jewish Council for Public Affairs » (l’organisation qui fédère les différentes ONG politiques juives U.S.) a également apporté son soutien au travail du Secrétaire d’Etat. En outre, John Kerry avait prononcé, Fin juin, un discours très engagé pour la paix au Moyen-Orient à l’occasion du forum de l’American Jewish Comittee (AJC). Intervention percutante et bien reçue par la communauté juive américaine (cliquer pour lire des extraits de ce discours sur notre site JCall).
La seconde bonne surprise vient du secret bien gardé concernant les détails du programme de négociations de relance du processus de paix. Très peu d’informations ont filtré tant du côté israélien, d’habitude plutôt indiscret et bavard, que du côté arabe ou américain. Et comme le rappelait le chroniqueur palestinien Daoud Kuttab, le 1er juillet dernier, sur le site « Al-Monitor » : « Au Moyen-Orient l’histoire a montré que plus les négociations sont menées dans la discrétion plus elles sont sérieuses et ont des chances d’aboutir ».
Présentation et traduction : Paul Ouzi Meyerson