Cet article de WILLY WOLSZTAJN, publié dans l’excellente revue “Regards” du Centre Communautaire Laïque Juif de Bruxelles, présente un point de vue intéressant et une sensibilité politique proche de celle de JCall. Mais, il n’est pas le reflet de nos positions quant au soutien à un parti politique israélien en particulier, notamment au moment où se déroule des élections. JCall se sent proche de tous ceux qui soutiennent la solution “Deux peuples pour Deux états” et la relance des négociations avec les palestiniens. La démocratie et le progrès social font évidemment partis de nos idéaux. Nous soulignons que Willy Wolsztajn est un de représentants de JCall en Belgique.
Ce article s’attirera le feu habituel des attentistes, qui nous enjoindront de nous taire ou de faire notre alyia. Parce que, prétendent-ils, nous parlons depuis nos salons européens, parce que nos enfants ne risquent pas leur vie à l’armée, etc., etc. On connaît la rengaine.
Mais il existe d’autres voix. Celles, par exemple, des Commanders for Israel’s Security[1], association qui regroupe plus de 80% des officiers au grade de général (e.r.) de l’armée, du Mossad, du Shin Beth et de la police. Eux invitent les Juifs de Diaspora à s’exprimer, à s’engager. Je préfère écouter ces patriotes, qui ont consacré leur vie à défendre leur pays, plutôt que les molles sirènes qui me prescrivent de rester au balcon.
Depuis 1948 les destins d’Israël et du judaïsme diasporique sont inextricablement liés. Pour Alexandre Adler « le sionisme devient aujourd’hui tout autant un attachement qui relie les Juifs de la diaspora à Israël qu’une idée nationale propre à Israël. Dans un même mouvement, l’existence d’Israël est admise par tous les Juifs comme une dimension centrale de leur identité et Israël renonce à l’idée selon laquelle l’avenir de tous les Juifs se trouverait, pour aujourd’hui, sur le territoire israélien[2] ».
Cette imbrication rend légitime l’opinion des Juifs diasporiques. La politique israélienne nous regarde. Certes nous ne votons pas en Israël. Mais notre voix peut y être entendue. Nous avons dès lors pour devoir moral de nous exprimer. Les trop longues années Netanyahou ont mis à mal la démocratie israélienne. Elles ont clivé, fracturé une société complexe. Elles ont brutalisé les affrontements politiques.
Un climat d’extrême violence voulu par la droite et l’extrême droite
Avec les élections municipales de 2018, les législatives du 9 avril dernier suivies de celles du 17 septembre prochain, Israël se trouve en compétition électorale continue depuis presque un an. La droite et l’extrême droite ont propagé un climat de tension, de violence et de haine inconnu en Europe. Les insultes et la vulgarité inondent les réseaux sociaux. Les slogans affichent un vide sidéral : « Rak Bibi ! » (« Seulement Bibi ! ») constitue le principal argument de Netanyahou. L’intox vire à l’abject. Une photo en Hitler de Benny Gantz rencontre un franc succès sur l’Internet. Dans les quartiers ultra orthodoxes apparaissent des placards comparant Yair Lapid à Hitler. Tout cela rappelle la campagne de diffamation qui précéda l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Un meeting de Kahol Lavan a essuyé les tirs d’armes à air comprimé. Suite aux menaces reçues, un journaliste qui enquêtait sur Netanyahou a dû s’adjoindre les services d’un garde du corps.
Les enjeux dépassent de loin les casseroles judiciaires de Netanyahou et ses manœuvres pour échapper aux foudres de la loi. Voici quarante ans, Israël comptait parmi les plus égalitaires des pays développés. En deux générations, Israël s’est enrichi mais pour une infime minorité seulement. Start-up nation, le chômage y est bas mais le quotidien dur et Israël est devenu un des Etats les plus inégalitaires de l’OCDE.
Un bilan sociétal calamiteux
La cherté de la vie écrase les ménages. On se souvient de la révolte des tentes sur le boulevard Rothschild en 2011. Des manifestations monstres soulèvent alors les villes du pays. Attisée par la flambée des prix du fromage blanc la colère se tourne contre le montant prohibitif de l’immobilier. Alimentation de base, logement, ce mouvement social en dit long sur la détresse populaire. Cela se passait déjà sous Netanyahou. Huit ans plus tard, la situation a encore empiré.
La pénurie n’épargne pas les ministères régaliens. En 2014, le personnel diplomatique, sous rémunéré, part en grève. En 2019, les Affaires étrangères voient toujours leur action paralysée faute de financement adéquat. Nétanyahou, il est vrai, empile les casquettes ministérielles, dont les relations extérieures. Les services de santé publique ne se portent guère mieux, avec des taux d’occupation hospitalière de 100 à 120%, des patients alités dans les couloirs et des délais d’attente démesurés. L’accueil des olim (immigrants) est laissé en déshérence dans un pays dont c’est pourtant la vocation. Ne parlons pas des célèbres et spectaculaires embouteillages qui asphyxient les métropoles.
Là où ils dominent, les partis religieux imposent la ségrégation hommes femmes dans l’espace public. A shabbat, ils ordonnent la fermeture des magasins et interdisent les transports en commun, au préjudice des habitants sans voiture. Les étudiants des yeshivas sont dispensés de service militaire. Une législation d’origine ottomane abandonne au Grand Rabbinat orthodoxe la haute main sur les compétences familiales et personnelles, avec pour conséquence l’inexistence de mariages et divorces civils, l’usage du guett, le rejet des judaïsmes massorti, libéral et laïque, etc. Les partis religieux bloquent la réforme de ce droit archaïque, indigne d’un Etat moderne.
Quant à l’extrême droite nationaliste, elle veut annexer la Cisjordanie. Que fera-t-elle des quelque 3 millions de Palestiniens qui y vivent ? Elle semble méconnaître que le nationalisme palestinien constitue un antisionisme en action. A sous-estimer l’ennemi, on s’expose à de cuisantes déconvenues. Surfant sur son look glamour, sa dirigeante, la ministre de la Justice sortante, a produit un clip pour une pseudo ligne de parfum intitulée « Fascism, by Ayelet Shaked ». Même si c’est en mode sexy, le mot est lâché.
Le tableau serait incomplet sans aborder la loi constitutionnelle sur l’Etat nation du peuple juif, adoptée en 2018. Ce texte ignore 20% de la population du pays. Il traite les Arabes israéliens en citoyens de seconde zone. Il renie la vision des Pères fondateurs d’Israël. La minorité druze se sentit particulièrement mortifiée. Contrairement aux Juifs religieux planqués derrière le Talmud et la Torah, les Druzes servent dans l’armée. Ils firent connaître leur colère. Une cassure de plus au discrédit de Netanyahou.
Une grande coalition pour réparer les fractures de la désastreuse ère Netanyahou
L’ère N. se solde par un désastre. Il faut mettre un terme à ce triste et long épisode. Monsieur N. doit quitter la scène politique pour rendre des comptes à la Justice. Quant à la gauche sioniste fondatrice du pays, elle est devenue un acteur marginal, réduit à un rôle d’appoint, et ceci largement de sa propre faute.
Kahol Lavan incarne à l’heure actuelle la seule force pivot alternative aux possibles coalitions de monsieur N. Parti libéral démocrate au sens européen du terme, Kahol Lavan se situe plutôt à droite sur l’échiquier politique israélien. Cela ne l’empêche pas d’avancer un programme sociétal ambitieux. Il couvre tous les enjeux majeurs de l’Israël d’aujourd’hui.
Sur la question israélo-palestinienne, Kahol Lavan affirme que « pour préserver et sceller (…) le caractère juif et démocratique » d’Israël il « est impératif de maintenir une majorité démographique juive et donc de se séparer des Palestiniens de Judée-Samarie » par « une solution négociée. » Kahol Lavan offre la seule proposition tenable face aux plans annexionnistes et à un processus de paix en état de mort clinique.
Kahol Lavan ne fait pas mystère de vouloir installer une coalition d’union nationale, autour de lui et du Likoud, après en avoir écarté le personnel politique sous poursuites judiciaires. Cette grande coalition présenterait l’immense avantage de réunir les composantes ashkénaze, séfarade et mizrahi du judaïsme israélien. Une base sociale à la mesure des défis.
Dans le système démocratique israélien, le Président de l’Etat nomme formateur du futur gouvernement le leader du parti qui arrive en tête des élections. Kahol Lavan et le Likoud se trouvent au coude à coude. Il est primordial que Benny Gantz surpasse monsieur N. Depuis la Diaspora, nous pouvons inciter notre famille, nos amis, nos proches et nos connaissances en Israël à voter Kahol Lavan. Chaque suffrage comptera. Car ce scrutin peut se jouer à quelques voix près.
[1] Commanders for Israel’s Security – https://en.cis.org.il – https://fr.cis.org.il
[2] Alexandre ADLER – Le sionisme et le monde contemporain – in Le sionisme expliqué à nos potes – Editions de la Martinière – 2003 – PP 238-239.
(3) Cliquer sur ce lien pour avoir accès à l’article original de “Regards”