Israël face à la plus grave crise politique depuis sa création

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La situation dans laquelle Israël se trouve depuis quelques mois est inédite à plus d’un titre. Pour la première fois de son histoire, le pays est géré par un gouvernement de transition depuis un an. Cela signifie qu’il ne peut traiter que des affaires courantes et qu’aucun nouveau budget ne peut être voté. La Knesset fonctionne au ralenti et le pays est paralysé, alors que la situation devient critique dans beaucoup de secteurs publics, comme celui des hôpitaux, et nécessiterait la mise en place de plans d’urgence et de nombreux investissements.

En novembre 2018, Netanyahou avait appelé à la dissolution de la Knesset, espérant gagner les élections anticipées d’avril et obtenir ainsi de sa future majorité l’immunité parlementaire dont il a besoin pour se protéger des suites judiciaires prévisibles sur les affaires pour lesquelles il faisait l’objet d’une enquête. Ce fut un échec et, ne réussissant pas à rassembler une majorité, il préféra appeler à une seconde dissolution de la Knesset, sans permettre à Benny Gantz, le leader de la liste Bleu Blanc, de tenter à son tour sa chance de constituer un gouvernement.

En septembre, de nouveau, Netanyahou ne réussit pas à obtenir une majorité, et cette fois-ci Benny Gantz eut la possibilité de le faire, mais il n’y réussit pas davantage. C’était un peu une mission impossible parce que, d’une part les partis orthodoxes sont restés fidèles à leur alliance avec le Likoud, et d’autre part Avigdor Lieberman, à la tête de sa liste Israël Beytenou, n’acceptait de soutenir qu’un gouvernement d’union nationale rassemblant le Likoud et Bleu Blanc – ce qui n’a pas été possible, en raison des positions antagonistes des deux principales listes.

En conséquence, pour la première fois depuis 1948, le Président Rivlin s’est trouvé contraint, comme le prévoit la loi, de donner un mandat à la Knesset pour essayer pendant 21 jours de trouver une solution. Durant cette période, tout député qui réussirait à réunir 61 signatures peut proposer de former un gouvernement (il faut noter que chaque député sera libre de son vote, indépendamment de la position de son parti). Mais, à l’heure actuelle, ce scénario est peu probable à cause de l’inculpation de Netanyahou et de son refus de démissionner.

En effet, à cette crise politique s’ajoute depuis le 21 novembre une crise juridique. Le Procureur général de l’État s’est prononcé sur les trois dossiers pour lesquels Netanyahou est poursuivi: il l’a inculpé de fraude et d’abus de confiance pour ces trois dossiers, et également de corruption pour l’un des trois. C’est la première fois qu’un Premier ministre en exercice est inculpé pour corruption.

Quand, en 2008, le Premier ministre Ehoud Olmert avait été l’objet d’une enquête pour corruption, il avait choisi de démissionner afin de préparer sa défense. Rappelons que le chef de l’opposition d’alors, un certain Benjamin Netanyahou, avait déclaré qu’Ehoud Olmert devait démissionner «parce qu’on peut craindre, non sans de bonnes raisons, qu’il prendra des décisions en fonction de ses intérêts personnels et non en fonction de l’intérêt public». Olmert fut condamné, et il purgea une peine de prison de 16 mois (après une remise de peine).

Netanyahou, au lieu de suivre pour son propre compte les recommandations qu’il avait faites jadis concernant Olmert, a choisi d’accuser les appareils judiciaire et policier de vouloir faire contre lui un «coup d’État», alors qu’en tant que Premier ministre il devrait être le garant de leur légitimité. Il a demandé que «l’on enquête sur les enquêteurs», les qualifiant de « malhonnêtes …dirigés par des éléments extérieurs», sachant très bien que de telles déclarations risquaient de conduire à des violences à l’encontre des juges concernés (au point qu’ils sont contraints, depuis, de bénéficier d’une protection rapprochée). Il a appelé enfin son électorat à manifester pour le soutenir. Mais la manifestation organisée le 27 novembre à Tel Aviv n’a rassemblé que 5 à 7000 personnes, malgré les moyens mis en place pour y convoyer la population de tout le pays – et les députés du Likoud ont brillé par leur absence, à l’exception de trois d’entre eux.

Netanyahou dispose de trente jours, à partir de la déclaration du Procureur général de l’État, pour demander l’immunité à la Knesset; mais il est certain qu’il ne l’obtiendra pas. Il est donc probable qu’Israël se rendra aux urnes pour la troisième fois, en mars prochain.

Tous les sondages d’opinion montrent que cette perspective n’a pas le soutien du public. Son coût est estimé à plusieurs milliards de shekels pour l’État et pour l’économie du pays – la journée étant chômée. Le seul moyen de l’éviter serait, soit qu’un autre candidat prenne la direction du Likoud, soit qu’au moins un des deux partis orthodoxes rejoigne le bloc de centre gauche dirigé par Gantz. Pour l’instant, aucun de ces deux scénarios ne semble avoir des chances de se produire. Certes, Guideon Saar, un des postulants les plus crédibles à la succession de Netanyahou, s’est porté candidat à la direction du Likoud et a demandé l’organisation rapide de primaires. Mais Netanyahou, après s’y être opposé, affirme maintenant être d’accord pour le faire d’ici… six semaines – ce qui écarte toute possibilité d’un gouvernement d’union nationale à court terme, et impose la tenue d’un troisième tour électoral.

Les principaux acteurs politiques sont partis en campagne pour convaincre l’opinion que tout cela n’est pas de leur faute. Selon un récent sondage de l’Institut israélien pour la Démocratie, 43% des Israéliens considèrent que Netanyahou est le principal responsable de cet état de choses, 37% pensent que c’est Lieberman, et 7% accusent Gantz. Mais les autres sondages prévoient aussi une relative stabilité des deux blocs, si de nouvelles élections avaient lieu aujourd’hui. Certes, la liste Bleu Blanc peut gagner quelques mandats, mais aux dépens des listes de gauche (Parti travailliste et Union démocratique), de sorte que le système politique continuerait d’être bloqué.

Le seul moyen de sortir du blocage serait qu’un autre candidat prenne la direction du Likoud. Mais les sondages montrent que Netanyahou reste le leader de droite le plus populaire: une liste dirigée par lui obtiendrait aujourd’hui 33 députés. Cela explique le silence des «barons» du Likoud (à l’exception de Guideon Saar) suite aux graves accusations portées par Netanyahou contre les juges et les policiers qui ont mené l’enquête sur lui. Une liste dirigée par Saar obtiendrait 26 députés, les autres voix se reportant sur des listes de droite et d’extrême droite.

Conclusion: un homme s’efforce depuis un an de bloquer la vie de tout un pays, pour éviter de devoir faire face à la justice. Devant cette situation inédite, le monde politique et médiatique est en ébullition. De graves questions se posent. Un Premier ministre mis en examen pour corruption peut-il diriger un gouvernement de transition? Et s’il remportait la victoire lors de nouvelles élections, le Président peut-il lui confier un mandat pour constituer un gouvernement ? Autant de questions dont les réponses détermineront le caractère de la démocratie israélienne pour les prochaines années.

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