Toutes les nations ont leur récit national dans lequel elles forgent leur conscience collective et c’est la transmission de ce récit qui participe à leur construction. Quand deux peuples s’opposent dans un conflit existentiel, comme celui entre Israéliens et Palestiniens, ils n’ont évidemment pas le même récit des évènements vécus et s’intéressent peu à celui de la partie adverse. Avant d’être militaire, la confrontation entre des populations en guerre est d’abord idéologique. Ce sont dans les livres d’histoire que celle-ci est encore plus manifeste. Chacun y présente son narratif qu’il considère le seul vrai et tend à délégitimer celui de la partie adverse. L’autre est ainsi d’une certaine façon nié puisque son narratif est ignoré ou tout au plus évoqué pour mieux le discréditer. Ainsi les élèves qui vivent dans des pays en guerre n’apprennent que leur récit national qui, en déconsidérant celui du pays adverse, peut conduire à justifier l’usage de la force pour l’affronter.
Conscients de l’impact des livres scolaires et des enseignants sur les élèves dans la construction de leur identité et de leur représentation de l’autre, Sami Adwan, un pédagogue palestinien, et Dan Bar-On, un psychologue israélien, avaient lancé en 2002 un projet dont l’objectif était de rédiger un manuel scolaire d’histoire où seraient présentés côte à côte les deux narratifs israélien et palestinien, donnant ainsi aux élèves l’accès à l’histoire de l’autre. Avec l’aide de deux historiens, les professeurs Adnan Massallam de l’université de Bethleem et Eyal Nave de l’université de Tel Aviv et du séminaire des enseignants du mouvement kibboutzique, ils avaient réuni une équipe de douze enseignants d’histoire, six Palestiniens et six Israéliens, pour mener à bien ce projet qui s’est déroulé jusqu’en 2007.
Liana Levi réédite aujourd’hui le livre « Histoire de l’autre », qu’elle avait publié en 2004 et qui est la traduction française du livre paru en 2003 en Israël et dans les territoires palestiniens, que j’ai préfacé et pour lequel Elie Barnavi a rédigé une postface.
Présenter l’histoire de l’autre aux élèves des deux peuples permet d’abord de rendre cette histoire de l’autre légitime, de faire de l’autre un interlocuteur. Cette reconnaissance de son histoire, sans pour autant en accepter sa présentation des faits ni ses conclusions, est indispensable pour pouvoir comprendre son identité et entamer avec lui un dialogue sur un pied d’égalité, un dialogue qui seul permettra de revenir un jour à une négociation politique. Il aide à comprendre que ce conflit oppose deux légitimités, et que seule cette prise de conscience permettra un jour de partager cette terre. Connaître l’histoire de l’autre est la première étape indispensable sur ce chemin.
David Chemla