Deux semaines après le vote de l’auto-dissolution de la 21e Knesset, moins de deux mois après son élection, la classe politique israélienne semble encore tétanisée par cette décision sans précédent dans l’histoire du pays.
Pourtant, le soir du 9 avril, la victoire de Netanyahou semblait incontestable. Il avait réussi à faire élire 35 députés sur la liste du Likoud, un résultat qui se rapprochait de celui de Sharon en 2003 ou de ceux de Begin. De plus, le simple calcul arithmétique semblait lui assurer d’obtenir, avec le soutien de ses alliés de droite et d’extrême droite et celui des partis orthodoxes, une confortable majorité de 65 députés. Après une campagne où il s’était beaucoup impliqué, il avait réussi à faire jouer le vote utile, éliminant ainsi la liste de son principal adversaire à sa droite, celle de «La nouvelle droite» de Naphtali Bennett et d’Ayelet Shaked. Mais, malgré cette confortable avance sur le bloc du «centre gauche» mené par Benny Gantz, un homme a mis fin à son espoir de constituer le futur gouvernement: Avigdor Lieberman, avec ses 5 sièges indispensables pour obtenir une majorité.
Les relations entre ces deux hommes pourraient donner matière à l’écriture d’une tragédie shakespearienne. Après avoir été le chauffeur de Netanyahou, Lieberman l’a aidé à gagner la direction du Likoud en 1992, à la suite de la défaite de Yitzhak Shamir face à Rabin et après le retrait de la politique de Moshé Arens, un ancien ministre de la défense qui avait été le mentor de Bibi en le nommant ambassadeur d’Israël à l’ONU. En 1996, dans les élections organisées après l’assassinat de Rabin, c’est Lieberman qui apporta à Netanyahou les voix indispensables des immigrants russes, lui assurant une courte victoire face à Shimon Peres. Connu pour ses positions va-t-en guerre et parfois outrancières, Lieberman n’a cessé depuis une vingtaine d’années de rejoindre ou de quitter les coalitions, en fonction de sa possibilité de se rapprocher du pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de commentateurs en Israël émettent des doutes sur la raison qui l’a conduit cette fois-ci à ne pas soutenir Netanyahou. Son exigence de demander la conscription des jeunes ultra-orthodoxes, que les partis orthodoxes refusaient malgré les compensations financières promises par Netanyahou, semble un prétexte. On y voit plutôt une vengeance personnelle contre celui dont il doit connaître nombre de secrets. «Yvet» (son prénom en russe), très ambitieux, sait qu’il ne peut pas pour l’instant devenir Premier ministre. Alors, il se contente d’être un faiseur de rois. Convaincu que la carrière de Bibi est finie et qu’il n’a aucun intérêt à le soutenir, il s’apprête à oindre son successeur.
Netanyahou avait pourtant accepté toutes les demandes de ses futurs alliés pour former sa coalition, notamment celle de constituer un gouvernement pléthorique d’une trentaine de ministres au lieu des 16 prévus par la loi, malgré le surcoût pour les dépenses publiques, alors que le dépassement du déficit budgétaire prévu en 2020 est de 3,8 % du PIB. A la dernière minute, il avait même essayé de gagner le soutien d’Avi Gabbay, le leader travailliste, en échange de portefeuilles significatifs comme celui de la Justice. Refusant de rendre son mandat au Président pour que celui-ci puisse demander à un autre député, comme le prévoit la loi, de tenter de former un gouvernement, Netanyahou a compris qu’il n’avait pas d’autre choix que celui de la dissolution. Avant de la faire voter, il a pris néanmoins la précaution de faire passer deux décisions au sein du Likoud: la fusion avec Koulanou, la liste de droite dirigée par Moshé Kahlon, en échange de places éligibles, afin d’éviter toute velléité de celui-ci de rejoindre une coalition du centre-gauche, et l’absence de l’organisation de primaires au sein du Likoud, afin de bloquer toute tentative d’un éventuel candidat alternatif à la direction du parti. Car l’objectif de Netanyahou reste le même: celui d’éviter de devoir affronter la justice. L’anticipation des dernières élections avait déjà eu comme but de prendre de vitesse les juges. Finalement, le procureur général a décidé de repousser à octobre prochain la convocation de Netanyahou pour engager l’instruction sur les trois dossiers dans lesquels il est poursuivi pour corruption. Même s’il gagne les prochaines élections prévues le 17 septembre, Netanyahou fera face à deux difficultés: il aura du mal à convaincre ses futurs alliés d’entrer dans une coalition alors qu’il risque d’être inculpé dans les mois qui suivent, et il lui sera difficile, compte tenu du calendrier, de faire passer une loi pour obtenir l’immunité parlementaire.
Israël est donc engagé dans une nouvelle élection – la troisième en onze mois, si l’on compte les élections municipales d’octobre 2018. Certains craignent que cela n’encourage l’abstention. Cette élection coûtera 2 milliards de shekels, soit 300 millions d’euros. Est-ce que les résultats seront différents de ceux d’avril? Rien n’est moins sûr. L’élection risque de donner une meilleure majorité à la droite, si les listes de droite qui n’avaient pas passé le seuil électoral en avril (perdant ainsi 257.000 voix) réussissent à s’unir cette fois-ci. Netanyahou a envisagé d’offrir à Ayelet Shaked, une figure très populaire dans l’électorat de droite, une place prépondérante dans la liste du Likoud, mais Sara, sa femme, y a mis son veto – preuve que le pouvoir se situe plus à «Balfour» (l’adresse de la résidence du Premier ministre à Jérusalem) qu’au comité central du Likoud.
Face à ces manœuvres de la droite, l’opposition semble pour l’instant aux abonnés absents.
La liste Bleu-Blanc a confirmé que l’accord d’alternance pour le poste de Premier ministre en cas de victoire, conclu entre Benny Gantz et Yaïr Lapid, serait maintenu, bien qu’il lui ait coûté, selon les enquêtes d’opinion, de 3 à 4 sièges – à cause notamment du refus des religieux de voter Bleu-Blanc par détestation de Lapid, connu pour ses positions anticléricales.
Le parti travailliste a décidé d’organiser prochainement une élection pour désigner son nouveau président, et il y a pour l’instant autant de candidats que de députés travaillistes élus à la dernière Knesset. Parmi les candidats: Ehoud Barak qui, de tous les opposants à Netanyahou, est celui qui tient un des discours les plus offensifs, mais qui aura bien du mal à surmonter le désamour que lui voue le public.
Les listes arabes, qui ont voté la dissolution, ne veulent pas reproduire l’erreur des dernières élections et envisagent de s’unir à nouveau en une liste commune. Elles espèrent ainsi mieux mobiliser leur électorat, qui s’était fortement abstenu en avril. Le pourcentage des votants dans les villes et villages arabes a été de 49%, alors qu’il a été de 67% dans les villes juives ou mixtes. Sur les 60 villes où le taux de participation a été inférieur à 40%, 57 sont arabes – alors que dans les villes des ultra-orthodoxes comme Elad, Beitar Illit ou Modiin Illit, le taux de participation a atteint 80%.
Parallèlement plusieurs débats sont en cours au sein de la gauche en vue de permettre à certaines listes de se rapprocher, voire de fusionner: entre le parti travailliste et Meretz, ou entre Meretz et Hadash (communiste, à majorité arabe).
Il reste à tous ces prétendants jusqu’au 2 août pour déposer leurs listes. Ce deuxième tour se présente, comme le précédent, comme un référendum pour ou contre Bibi, mais cette fois-ci avec un candidat plus endommagé. Est-ce que l’opposition saura en profiter et se mobiliser? La récente élection par la Knesset au poste de contrôleur de l’Etat du candidat de Netanyahou, Matanyahu Englman, sans que l’opposition ait tenté de s’y opposer en soutenant l’autre candidat, Guiora Rom, n’est pas un signe très encourageant. Il est temps pour celle-ci de se reprendre et, à la différence des élections d’avril, de proposer la véritable alternative dont la démocratie israélienne a besoin.