dessin de Biderman dans Ha’aretz. Sur la pancarte est écrit : “Je suis le 4000ème mort”
Dans deux mois, Israël retournera aux élections pour la quatrième fois en deux ans. Une nouvelle élection qui coûtera des milliards de shekels, alors que le pays n’est pas sorti de la crise économique qui a réduit des centaines de milliers de personnes au chômage et des milliers d’entreprises à la faillite. La seule cause à ce retour aux urnes est la volonté de Netanyahou d’échapper à son procès, reporté en février suite au confinement, en espérant cette fois-ci obtenir une majorité qui lui assurerait une immunité, tout en évitant de transmettre le pouvoir à Benny Gantz en novembre prochain, comme il s’y était engagé dans l’accord de coalition signé en avril dernier.
Ce quatrième tour dégagera-t-il enfin une majorité stable qui permettrait à un gouvernement de fonctionner ? Rien n’est moins sûr, au vu du nombre important des listes électorales annoncées à ce jour, dont beaucoup sont construites autour d’une seule personne et non plus d’un parti avec un programme.
Pour l’instant, à moins de trois semaines de la date de dépôt des listes, les différents sondages montrent que la droite reste majoritaire dans le pays. Netanyahou se prévaut du succès de la campagne de vaccination pour en tirer un profit personnel. Il est, certes, indéniable qu’avec plus de deux millions de vaccinés, soit près d’un quart de sa population, Israël caracole largement en tête dans la course à la vaccination dans le monde. Mais ce succès ne repose pas uniquement sur le fait que Netanyahou a obtenu des laboratoires Pfizer et Moderna la livraison en priorité des millions de vaccins nécessaires à la vaccination de toute la population – en les payant 40% plus cher que les Européens, ce qui était un bon calcul parce que ce surcoût ne représente le prix que de deux jours de confinement pour le pays. Le succès de la vaccination en Israël repose aussi et surtout sur l’organisation des caisses d’assurance-maladie, qui sont un héritage du système de santé publique fondé par le mouvement sioniste socialiste bien avant la création de l’État d’Israël – et renforcé par la loi sur l’assurance maladie universelle votée sous le gouvernement Rabin en 1995. Un système qui a survécu malgré toutes les tentatives de Netanyahou pour le détruire dès son arrivée au pouvoir en 1997 (abolition de la taxe de santé payée par les employeurs) et depuis lors (coupes budgétaires, qui ont mis Israël à la traîne des pays de l’OCDE pour son système de santé)…
Netanyahou ne cache pas son objectif de réussir à obtenir une quarantaine de mandats pour le Likoud. Il s’est adressé la semaine dernière à une assemblée des travailleurs indépendants – le socle de son électorat, représentant les centaines de milliers de personnes qui sont les premières victimes de la situation économique – pour les dissuader de former une liste aux élections qui pourrait obtenir jusqu’à 7 mandats. Il leur a dit que la réussite de son objectif dépendait de la régression de l’épidémie: plus celle-ci progresserait, plus il baisserait dans les intentions de vote, et au contraire plus l’épidémie faiblirait, plus les intentions de vote pour le Likoud se renforceraient. Un tel message, faisant de la lutte contre l’épidémie un enjeu électoral, alors que celle-ci continue avec 9000 contaminations quotidiennes à faire des victimes tous les jours – plus de 4000 décès depuis le début dont 243 la semaine dernière – montre le cynisme avec lequel Netanyahou dirige le pays.
Autre exemple de ce cynisme : le discours qu’il a tenu le 13 janvier à Nazareth à la conquête des électeurs arabes, où le premier ministre affirma qu’ « une nouvelle ère s’ouvrait dans les relations du pays avec sa minorité arabe ». Ces mêmes électeurs dont Netanyahou disait, afin de mobiliser son propre électorat à quelques heures de la fermeture des bureaux de vote en 2015, qu’ « ils venaient en masse [aux bureaux électoraux], dans des autobus payés par les ONG de gauche».
Cette visite de Netanyahou dans la principale ville arabe d’Israël faisait suite aux négociations qu’il a menées avec Mansour Abbas, le leader de la liste islamiste Ra’am (dont les quatre députés actuels font partie de la Liste arabe unie), pour obtenir son soutien dans le cadre d’une future coalition en échange d’avantages pour son public. En franchissant ainsi le Rubicon pour légitimer le vote arabe, Netanyahou fait ce que Gantz n’avait pas eu le courage de faire en avril dernier, quand il avait refusé de constituer un gouvernement avec la Liste arabe unie. D’autres partis israéliens essaient également d’attirer les électeurs arabes, d’autant plus que beaucoup d’Arabes israéliens ne se sentent plus, ou mal, représentés par les quinze députés de la Liste arabe unie, auxquels ils reprochent de s’occuper plus des problèmes des Palestiniens sous occupation que des leurs. Cette intégration des Arabes israéliens dans la vie politique est une conséquence indirecte de la lutte contre l’épidémie, où l’on a vu médecins et infirmiers, juifs et arabes, travailler ensemble dans les hôpitaux pour sauver la population. Paradoxalement, cela restera un acquis positif de l’ère Netanyahou.
A différence des scrutins précédents, la principale menace pour Netanyahou, au vu des sondages, semble venir cette fois-ci de sa droite. A Naphtali Bennett, qui espère depuis longtemps le remplacer, s’est ajouté cette fois-ci un nouveau challenger à droite, Gidéon Saar, qui a constitué une nouvelle liste, Hatikva haHadasha (Un nouvel espoir). Dissident du Likoud, rejoint depuis par d’autres caciques du parti, Saar s’engage clairement – à la différence de Bennett – à ne jamais rejoindre Netanyahou pour constituer une coalition, tout en s’affirmant nettement sur des positions de droite. Saar, comme Bennett, essaie d’attirer à lui les électeurs de la liste Bleu-Blanc déçus par Gantz qui, à leurs yeux, n’a pas respecté son engagement de ne pas participer à un gouvernement avec Netanyahou.
Le mouvement de contestation sans précédent qui a marqué la trentième semaine consécutive de manifestations n’a pas réussi encore à trouver sa traduction politique. Pour l’instant, entre le Meretz et le parti Yesh Atid dirigé par l’actuel chef de l’opposition Yaïr Lapid, huit listes cherchent à se positionner. Il est probable que l’on assistera dans les deux semaines à venir à des fusions pour éviter une perte des voix.
Tant que les listes finales de candidats ne sont pas déposées, il est difficile de faire des pronostics. Beaucoup de scénarios sont possibles, et ils dépendront de plusieurs facteurs :
– Le taux de participation globale de la population, dont une grande partie ne fait plus confiance à la classe politique qu’elle juge insensible à ses problèmes alors que le pays vit une de ses plus graves crises sociales l;
– Le taux de participation spécifique des Arabes israéliens qui peuvent, s’ils se mobilisent, faire b asculer des coalitions ;
– Le taux de mobilisation des jeunes, qui sont très actifs dans le mouvement de contestation, et leur choix pour les représenter à la prochaine Knesset ;
– La capacité des listes du centre et de la gauche de se rassembler, malgré les erreurs passées.
Cette élection se jouera encore une fois, comme les précédentes, autour de la personnalité de Netanyahou – entre ses partisans qui ne semblent plus être majoritaires, et ses opposants de droite comme de gauche qui veulent certes l’écarter du pouvoir mais sont loin de pouvoir se rassembler sur un autre programme.
David Chemla