La question du renforcement ou de l’affaiblissement de la démocratie sera au cœur des enjeux de l’année 2019, dans l’Union Européenne comme en Israël.
En Europe, les élections européennes seront l’occasion d’un grand rendez-vous démocratique qui permettra de mesurer si les listes qui se nourrissent de la vague populiste continuent à progresser ou non. En France, des éléments du mouvement des Gilets jaunes semblent vouloir entrer dans le jeu démocratique en présentant une ou plusieurs listes à ces élections. Si c’est le cas, et surtout s’ils réussissent à mobiliser ainsi un électorat jusqu’alors abstentionniste, ce sera indéniablement un gain pour la démocratie.
Un des marqueurs de la démocratie a toujours été l’importance de l’antisémitisme dans nos sociétés. Les réseaux sociaux ainsi que la presse se sont fait largement l’écho des démonstrations d’antisémitisme lors des différentes manifestations des gilets jaunes. Les exemples abondent: «quenelles» devant le Sacré-Cœur; photo du négationniste notoire Hervé Ryssen, affublé du fameux gilet, en couverture de Paris Match; calicot sur un pont autoroutier avec l’inscription «Macron pute à Juifs»; agression verbale d’une rescapée d’Auschwitz dans le métro parisien.…
Il ne faudrait pas tirer des conclusions hâtives de ces débordements: tous les Gilets jaunes ne sont pas antisémites, loin s’en faut, et beaucoup d’entre eux se sont souvent opposés aux déclarations et actes anti-juifs de quelques-uns. Cependant, il ne faut pas non plus se voiler la face: la fachosphère est présente dans les différents «Actes» numérotés du mouvement actuel, et les dérives ne concernent pas que les Juifs. La dénonciation d’immigrés cachés dans un camion, ou les menaces de mort à l’égard de députés noirs, montrent bien que le racisme et la haine anti-immigrés participent aussi de la contestation.
Cette fachosphère n’en est pas à son coup d’essai. Elle envahit depuis longtemps les réseaux sociaux, où les propos racistes, antisémites ou homophobes fleurissent à longueur de blogs et de forums. Les sites internet d’Alain Soral, de «Démocratie Participative», et bien d’autres encore, regorgent d’incitation à la haine. La nouveauté réside en ce que la haine descend dans la rue où elle s’exprime avec virulence. Nous avions déjà entendu il y a quelques années, dans un défilé d’extrême-droite, des jeunes crier «Juif, la France n’est pas à toi», mais cela pouvait encore passer pour un phénomène isolé. Aujourd’hui, le doute n’est plus possible: le phénomène est bien plus général. Sans complexe aucun ni pudeur, l’antisémitisme s’étale partout, au vu et au su de tous.
Le Président de la République a dénoncé cette haine dans ses vœux de fin d’année. Il n’est pas le seul à l’avoir fait: les médias, souvent si lents à s’en prendre à l’antisémitisme de nombreux jeunes musulmans, ont été cette fois prompts à pointer le phénomène. Il est vrai qu’ils ont été eux aussi victimes, au travers de leurs journalistes, d’agressions inacceptables.
Face à ces signes alarmants, les Français juifs ne peuvent qu’être inquiets. Sans avoir disparu, l’antisémitisme de l’ultra-droite était passé au second plan en comparaison de l’antisémitisme assassin des islamistes, et de celui de nombre de gauchistes, déguisé sous l’habit de l’antisionisme. Il réapparaît donc au grand jour, ravivant ainsi de très mauvais souvenirs. Les dirigeants de la communauté juive expriment leurs préoccupations – sans s’en prendre au mouvement des Gilets jaunes dans son ensemble, qui reflète un sérieux malaise social, territorial et politique; les condamnations politiques et médiatiques s’accumulent, mais que faire d’autre? La justice devient plus ferme – Alain Soral a été, il y a peu, condamné à un an de prison ferme –, mais cela est-il suffisant? On attend que la France adopte une loi condamnant la haine sur internet proche de celle que l’Allemagne a mis en œuvre, condamnant à de fortes amendes les sites qui diffusent de tels messages. L’antisémitisme, on le sait, est une menace contre la République, et celle-ci doit savoir se défendre et protéger les acquis démocratiques.
En Israël également la question démocratique est à l’ordre du jour – non pas au sens de l’expression de la volonté populaire à travers le vote, mais dans la problématique du respect du droit et de la loi. La veille même de son arrivée en France, le Président Réouven Rivlin s’est élevé contre un respect déclinant de l’État de droit en Israël: «Le respect pour l’État de droit s’est affaibli au cours des années», a-t-il souligné. Le président israélien a pris position à plusieurs reprises contre des tentatives de mise au pas de la Cour suprême; il a, par ailleurs, fermement dénoncé la loi de l’État-nation comme «mauvaise pour Israël et mauvaise pour le peuple juif».
Dans un peu plus de deux mois se tiendront en Israël les élections législatives. Selon des rumeurs persistantes, le procureur général de l’État, Avishaï Mandelblit, s’apprête à mettre en examen le premier ministre Benjamin Netanyahou dans au moins un des trois dossiers de corruption dans lesquels il est impliqué. Une telle décision, si elle est prise, aura un poids déterminant à la fois sur le climat de la campagne qui démarre, sur les résultats du scrutin, et sur les scénarios possibles de coalition post-électorale. Selon un récent sondage, le Likoud perdrait 4 députés si Netanyahou était mis en examen, passant de 29 à 25 députés (sur un total de 120 députés). Il resterait certes le parti le plus important des partis représentés à la Knesset, mais les listes centristes Yesh Atid [«Il y a un avenir»], menée par Yaïr Lapid, et Hossen LeIsraël [«Résilience pour Israël»], lancée par Benny Gantz, ancien chef d’état-major de Tsahal, recevraient chacune 14 députés. Un tel résultat ouvrirait la porte à une éventuelle coalition centriste, avec le parti travailliste (qui selon ce même sondage aurait 9 députés) et d’autres petites listes. Ce scénario a d’autant plus de chances de se produire que Moshé Kahlon du parti Koulanou, l’un des alliés actuels du Likoud, a annoncé qu’il ne participerait pas à un gouvernement dirigé par un premier ministre qui aurait été mis en examen. C’est pourquoi l’on assiste en ce moment à une attaque en règle menée par Netanyahou et ses ministres contre le procureur général, l’accusant de vouloir fausser les résultats des élections par sa décision, et contre les médias qui seraient selon eux les instigateurs de la campagne contre le premier ministre. Contrevenant au principe de la séparation des pouvoirs, sur lequel sont bâties nos démocraties libérales, ils affirment que ce ne sont pas les juges mais le peuple qui, en plébiscitant Netanyahou, jugeront du sort du premier ministre, le plaçant ainsi au-dessus des lois.
Face à cette menace, et alors que l’on assiste à une prolifération de listes au centre – mais aussi à droite, avec le parti de la Nouvelle droite créé par Naftali Bennett et Ayelet Skaked, qui veulent récupérer une partie de l’électorat du Likoud – , une campagne se développe dans le pays, encouragée par des personnalités comme Tzipi Livni, dont le parti Tnoua ne passerait pas le seuil minimum, et Ehoud Barak, appelant à une union des listes du centre et de la gauche pour gagner les élections. Il est encore trop tôt pour qu’un tel appel puisse être entendu par les leaders de ces listes, qui sont occupés à marchander les places éligibles avec les personnalités qu’ils veulent attirer à eux. Mais une fois les listes déposées, vers la mi-février, on entrera dans une nouvelle phase de la campagne. Et là, si ces appels à l’union réussissent à gagner une part croissante de l’opinion publique – et surtout si Netanyahou est mis en examen – on peut espérer assister à une nouvelle dynamique.
Mais deux mois et demi, c’est long en Israël, et on peut s’attendre à encore beaucoup de surprises. Nous suivrons donc avec attention cette campagne électorale, et nous vous communiquerons régulièrement analyses et sondages via notre site internet.