Gérard Unger, président de JCall France, et David Chemla, secrétaire général européen de JCall, appellent, dans Libération du 13 juin, Israël à répondre positivement à la nouvelle initiative de paix arabe.
La nouvelle Initiative de Paix Arabe, formulée récemment à Washington par tous les ministres des Affaires étrangères arabes (y compris palestinien) conduits par le Qatar, reprend les propositions de la Ligue Arabe de 2002 et de 2007 pour mettre fin au conflit israélo-palestinien, mais elle va plus loin. Elle réaffirme bien la volonté des États arabes de signer des traités de paix avec Israël et d’établir avec lui des relations normales, en échange d’un retour aux lignes d’armistice de 1967 et d’un accord sur le problème des réfugiés (ce qui ne signifie pas un retour) ; mais elle envisage en outre maintenant un échange de territoires autour de ces lignes pour laisser à Israël les blocs de grandes colonies où résident environ 80 % des 530.000 « colons » israéliens, installés progressivement depuis quarante cinq ans en Cisjordanie .
Cette proposition n’est pas en elle-même révolutionnaire : elle avait été évoquée en 1999-2000 entre Ehud Barak, alors Premier Ministre israélien et Yasser Arafat, et largement envisagée en 2008 entre Ehud Olmert et Mahmoud Abbas. C’est cependant la première fois que les États arabes la reprennent à leur compte, sans doute à la demande du secrétaire d’État américain John Kerry. Ils manifestent ainsi leur volonté d’aller de l’avant dans un processus de paix actuellement au point mort.
Face à cette avancée, les réactions israéliennes ont été plus que mesurées. Le président Shimon Peres se montre certes favorable ,mais le Premier Ministre Benjamin Netanyahu a fait part de ses « réserves », puis les autorités ont approuvé jeudi 9 mai la construction de 296 logements dans l’implantation de Beit El en Cisjordanie.La légalisation de quatre colonies sauvages a suivi. Quant à Naftali Bennett, dirigeant de la formation de droite « La Maison juive », membre de la majorité, il a demandé qu’un futur et éventuel accord de paix soit soumis à un référendum, ce qui constituerait une novation en Israël (où la représentation parlementaire se fait à la proportionnelle intégrale) et compliquerait encore un peu plus une solution négociée au conflit.
Ces positions et ces actes sont regrettables, au moment où les États-Unis s’impliquent à nouveau dans la recherche d’une solution au conflit et annoncent un véritable « Plan Marshall » de 4 milliards de dollars en faveur des Palestiniens. Elles tendent à montrer que, plutôt que de rechercher une paix à des conditions raisonnables, Israël se satisfait au mieux de la situation actuelle de « ni guerre, ni paix », au pire continue sa politique de faits accomplis sur le terrain. Or les « fenêtres » pour aboutir à un accord ne sont pas si fréquentes qu’il faille les négliger. Cette fois Mahmoud Abbas n’évoque plus guère ses préconditions habituelles (arrêt de la colonisation avant toute négociation) et les États arabes, notamment les pétromonarchies, sont prêts à un compromis avec Israël car eux aussi considèrent la menace iranienne comme le danger n° 1 dans la région. Quant à la Jordanie, l’afflux massif de réfugiés syriens l’amène à se rapprocher d’Israël.
Aujourd’hui Israël est fort comme il l’a rarement été : sa situation économique est bonne, même si l’écart entre les classes sociales supérieures et les autres ne cesse de s’accroître ; sa sécurité face à ses voisins est assurée et le pays peut faire face au danger iranien ; sa position géostratégique s’est renforcée – grâce aux États-Unis , un accord avec la Turquie pour améliorer les relations , détériorées depuis l’épisode du Marmara, est en passe d’être trouvé tandis que tous les États de la péninsule arabique sont devenus ses alliés tacites – ; enfin la nouvelle majorité de la Knesset comporte en son sein des partis centristes qui devraient être plus ouverts, le cas échéant, à un compromis historique avec les Palestiniens ; et tout le monde sait en Israël que le gouvernement pourrait compter sur des voix de gauche pour soutenir un réel accord de paix .
Il faut saisir la chance offerte par l’Initiative de Paix Arabe. 43 députés israéliens (sur 120) ont signé une pétition demandant au Premier ministre d’y répondre officiellement. Une telle proposition qui aurait fait sauter de joie David Ben Gourion à l’époque où il dirigeait l’État est devenu un non -évènement. Là se situe sans doute le pire ennemi de ceux qui recherchent depuis des années une paix de compromis basée sur deux États : l’indifférence, le sentiment partagé par la majorité des populations, à la fois israélienne et palestinienne, de ne pas avoir de prise sur la réalité. Régulièrement questionnées par des sondages, ces deux populations confirment leurs préférences, à une majorité des deux tiers, pour la solution à deux États, mais répondent avec sensiblement les mêmes taux qu’elles ne croient pas cette solution envisageable en raison de l’absence de partenaire fiable pour la mettre en place. C’est pourquoi il faut prendre en compte sérieusement cette initiative de Paix Arabe.
C’est quand la situation sécuritaire est calme qu’il faut avancer politiquement. L’environnement régional est trop instable et dangereux pour laisser le conflit israélo-palestinien s’enliser une fois de plus. En diaspora, les trois organisations qui se sont créées ces dernières années, se revendiquant à la fois comme « pro- israéliennes » et « pour la paix » (Jstreet aux États-Unis, Yachad en Grande-Bretagne et JCall en Europe occidentale) ont lancé pour la première fois un appel commun pour soutenir la démarche de ces 43 députés et appellent le gouvernement israélien à donner une réponse positive à l’Initiative de Paix Arabe. La communauté internationale, et notamment les États membres de l’Union Européenne, doit à son tour se mobiliser pour que cette Initiative ne devienne pas un nouveau rendez-vous manqué comme il y en a déjà trop eu dans le passé au Proche Orient. Elle doit aider le gouvernement israélien à prendre conscience de l’opportunité apparue et qui ne se représentera peut être plus à l’avenir dans un contexte aussi favorable. Abba Eban, ancien ministre des Affaires étrangères d’Israël dans les années 1960-1970, avait coutume de dire que « les Palestiniens ne manquaient jamais une occasion de manquer une occasion ». Il ne faut pas qu’Israël ,à son tour, commette la même erreur.
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