C’est le 3ème colloque que nous organisons à Paris depuis la création de JCall, il y a bientôt 6 ans. Nous avions lancé en mai 2010 notre Appel à la raison parce que nous étions conscients de l’urgence qu’il y avait à mettre fin au conflit israélo-palestinien et à sauver la solution à deux États avant qu’il ne soit plus possible de le faire.
Devant, alors, l’absence totale de négociations, la poursuite continue de la colonisation et les risques d’embrasements constants, nous savions que l’État d’Israël, auquel nous sommes tous très attachés, risquait de disparaître. Or nous refusions les deux branches de l’alternative à laquelle Israël risquait de se trouver acculé en l’absence d’une solution raisonnable de compromis : à savoir soit celle d’un État unique du Jourdain à la mer, où les Juifs deviendraient à terme une minorité dans leur propre pays, ou soit celle d’un État qui, en maintenant sous son contrôle un autre peuple sans lui donner ses droits civiques, risquait d’évoluer vers un régime d’apartheid.
Notre appel était destiné, d’abord, aux citoyens européens juifs pour les appeler à se mobiliser s’ils partageaient notre analyse. Il était aussi destiné aux chancelleries européennes et à l’Union européenne pour les appeler, compte tenu de leurs responsabilités historiques au Proche-Orient, à faire pression sur les deux parties pour les aider à aboutir à une solution raisonnable et rapide du conflit. Tout en reconnaissant qu’évidemment seuls les Israéliens détermineraient leur destin par leur vote, nous voulions faire entendre cette voix de la raison que partagent beaucoup de citoyens européens juifs et amis d’Israël.
La situation internationale dans laquelle nous nous trouvions en 2010 était totalement différente de celle que nous connaissons aujourd’hui.
Au Proche Orient, les régimes arabes semblaient stables, malgré les nombreuses violations des droits de l’homme qui ne mobilisaient pas beaucoup la communauté internationale.
Deux ans après sa première élection à la Maison Blanche, Barak Obama, qui voulait effacer les années Bush, avait entamé le désengagement des troupes américaines d’Irak laissant le pouvoir à l’ancien Premier ministre chiite Nouri al-Maliki malgré des élections très contestées. Ce retrait, qui allait se terminer en quasi débandade, était le prélude d’un autre retrait quelques années plus tard en Afghanistan, annonçant un changement stratégique de la politique américaine dans la région.
En Syrie, 10 ans après son arrivée au pouvoir, Bashar El Assad semblait immuable. Il avait renoué des relations avec la Russie qui, pour la première fois depuis la chute de l’URSS, revenait dans la région en fournissant des armes à l’armée syrienne.
Quant à l’Égypte, Moubarak se préparait à transmettre le pouvoir à son fils.
Entre Israël et l’Autorité palestinienne, après une énième guerre à Gaza en attendant la prochaine, les négociations étaient au point mort.
Le seul espoir que nous avions en lançant notre appel était de nous tourner vers la communauté internationale, et surtout vers le nouveau président américain, pour appeler à leur intervention pour sauver la solution à deux Etats.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Après un éphémère printemps arabe, la région est plongée dans un chaos total : les États créés artificiellement par les anciennes puissances coloniales ont explosé. Les conflits opposent les factions et courants au sein de l’islam – sunnites contre chiites, sunnites modérés contre sunnites radicaux – et il est de plus en plus difficile aux non spécialistes de comprendre cette dynamique destructrice qui pousse les populations civiles à fuir leurs pays et à forcer les portes de l’Europe. L’État islamique, dont les premières victimes sont, ne l’oublions pas, les musulmans, après avoir conquis des territoires qu’il contrôle par la terreur, est aujourd’hui en repli dans la région suite à l’intervention russe et aux bombardements de la coalition occidentale. Poutine, profitant du retrait américain de la région, a permis à la Russie de retrouver la place qu’elle occupait il y a un quart de siècle en volant au secours d’Assad. Cet affaiblissement de l’État islamique en Syrie ne l’empêche pas de continuer à exercer une certaine attraction sur des milliers de jeunes musulmans européens fascinés par son idéologie mortifère. Il s’attaque aujourd’hui à ce qu’il appelle « le ventre mou » de l’Occident, à savoir les pays européens.
Dans ce contexte chaotique, le conflit israélo-palestinien n’est plus la priorité de la communauté internationale. Barak Obama, après l’échec des négociations menées en 2014 sous l’égide de l’infatigable John Kerry, ne semble pas prêt à réouvrir ce dossier, bien qu’un président américain dispose généralement d’une relative liberté de manœuvre à la fin de son second mandat. Les gouvernements européens confrontés au terrorisme islamique et à l’afflux des migrants ne sont pas tentés non plus de s’atteler à résoudre le conflit israélo-palestinien. Seule, la France échappe à cette tentation de repli sur soi après les succès de sa diplomatie dans le rôle qu’elle a joué en obtenant un meilleur accord sur le nucléaire iranien et dans la réussite de la Cop 21. Le projet d’organiser une conférence internationale pour sauver la solution des deux États, en y associant les États arabes voisins d’Israël, reste aujourd’hui la seule initiative en cours.
En Israël, un an après les élections, Benjamin Netanyahou, à la tête de la coalition la plus à droite de l’histoire du pays, est incapable de prendre la moindre initiative politique pour désamorcer un nouveau cycle de terrorisme. Son gouvernement multiplie les initiatives et les projets de lois qui mettent en danger les fondements de la démocratie israélienne, tout en poursuivant la colonisation, rendant ainsi de plus en plus difficile un partage de la terre.
L’Autorité palestinienne, quant à elle, a renoncé à toute négociation directe avec les Israéliens, privilégiant une démarche internationale. Mais, impuissante devant la nouvelle intifada, menée le plus souvent par des jeunes Palestiniens incontrôlés, elle ne condamne ni les attentats commis contre les civils israéliens, ni la glorification de ces attentats dans les médias et les réseaux sociaux.
C’est parce que nous ne voulons pas rester des acteurs passifs devant cette situation que nous avons décidé d’organiser ce colloque. Comprendre les processus historiques en cours est nécessaire pour mieux construire notre action. Avec l’aide de nos invités, que je remercie vivement d’avoir accepté de participer à notre colloque, nous nous demanderons quel nouveau Proche et Moyen-Orient est en train de se dessiner devant nous, et nous essaierons de mesurer l’impact de ces bouleversements sur le conflit israélo-palestinien.
Puis, nous écouterons les témoignages et analyses de différentes personnalités israéliennes présentes à ce colloque, toutes engagées dans le combat pour mettre fin à une occupation dont on va marquer dans un an le 50ème anniversaire. Et avec eux nous essaierons de dégager les axes de notre action pour mieux les aider à sauver la solution à deux États.
David Chemla
photo de gauche à droite David Chemla, Alain Finkielkraut, Elie Barnavi et Ilan Paz