Le Nouvel Obs.com – Blog de David Chemla — 23 janvier 2011 – Israël face au défi démocratique à l’odeur de jasmin

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Israël face au défi démocratique à l’odeur de jasmin (23/01/2011)

Trois sujets auraient mérité d’être traités cette semaine dans ce blog : la démission de Barak du parti travailliste, l’annulation de la conférence de BDS à l’ENS et les évènements de Tunisie. J’ai choisi d’aborder celui qui est, et de loin, le plus important  d’abord pour les premiers concernés, le peuple tunisien, et pour les conséquences potentielles qu’il aura certainement dans le monde arabe et au Moyen Orient. Je dirai malgré tout quelques mots des deux premiers sujets.

Le départ de Barak du parti travailliste a le mérite de clarifier les choses.  Cela fait des mois que, devant la fronde de la majorité des députés travaillistes, faisant pression pour quitter le gouvernement, il leur répondait que ce n’était pas le moment de le faire alors que l’on se trouvait à la veille d’un accord. Alors que celui-ci s’éloigne de jour en jour, le roi est maintenant nu. En décidant de s’accrocher à son siège de ministre de la défense et de quitter le parti avec 4 autres députés, Barak renforce la coalition gouvernementale qui continue à avoir le soutien de 65 membres de la Knesset. Bibi peut continuer à diriger le pays sans être soumis aux menaces de crise gouvernementale. Aux 8 députés travaillistes restant revient la responsabilité de reconstruire le parti et d’en refaire le grand parti social démocrate dont la société israélienne a besoin. Ils ont deux ans jusqu’aux prochaines élections pour cela, pour rédiger un programme et trouver des alliés à leur gauche (Meretz) et à leur droite (Kadima)  afin de préparer une alternance.

L’annulation de la réunion de BDS à l’ENS et le débat public qui l’a entourée nécessite un développement plus long où j’aborderai ma position sur la question du boycott. Je veux juste ici regretter la prise de position prise par le président du CRIF qui, en se félicitant publiquement de l’annulation de cette manifestation, en a fait au contraire la promotion, offrant aux acteurs de BDS, ravis, une tribune nationale.

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Venons en maintenant à l’évènement majeur de ces dernières semaines.

L’Occident n’a jamais été regardant sur la nature des régimes arabes. Il a toujours préféré avoir affaire à des pouvoirs forts et autocratiques et ne s’est jamais soucié de leur respect des droits de l’homme. Il est vrai que jusqu’à aujourd’hui il n’y avait pas beaucoup d’alternatives dans le monde arabe : monarchies absolutistes puisant leur légitimité dans l’islam, dictatures militaires d’inspiration laïque ou républiques dirigées par des présidents réélus régulièrement avec des majorités de plus de 90 %. Israël n’échappe évidemment pas à cette analyse, préférant traiter avec des régimes pro occidentaux gouvernées par des dirigeants autocrates capables de s’opposer à la montée de l’islamisme.

La révolution en cours en Tunisie va peut être le forcer à se positionner face à un nouveau type de régime, inconnu jusqu’à présent parmi les pays arabes, une démocratie laïque. Il est certes trop tôt pour le dire car beaucoup de dangers existent encore qui peuvent compromettre les espoirs portés par cette révolution de jasmin.  Ces dangers peuvent venir d’abord de la Tunisie elle-même : des caciques de l’ancien régime corrompus qui n’ont peut-être pas dit leur dernier mot, des islamistes qui sont aux aguets ; ou encore des pays voisins qui ne verront certainement pas d’un bon œil l’installation d’une république démocratique à leurs frontières. Mais les évènements actuels qui ont surpris tout le monde, y compris les leaders de l’opposition tunisienne en exil en Occident, sont certainement les plus importants survenus dans le monde arabe depuis l’indépendance de ces pays.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, lui, n’y a vu que le côté instable de la région, justifiant ses craintes de voir un éventuel traité non respecté en cas de changement de régime. S’il est vrai que les seuls accords signés par Israël avec des pays arabes l’ont été avec des régimes autocrates qui les ont respectés malgré les conflits survenus depuis dans la région, il ne faut pas oublier que ces accords n’ont permis d’instaurer avec ces pays et leurs populations qu’une paix froide. L’émergence de démocratie dans le monde arabe ouvre peut être la porte à un autre type de relations et les dirigeants israéliens ont tout intérêt à bien analyser ce qui se passe en Tunisie s’ils ne veulent pas rater ce tournant historique.

D’abord le monde arabe n’est pas condamné à ne connaître que des régimes totalitaires. Les arabes aspirent eux aussi aux droits de l’homme et à vivre en démocratie. Et contrairement à ce que pensait l’administration Bush, celle-ci ne s’impose pas de l’extérieur mais doit être conquise par le peuple.

La maturité des jeunes, confrontés à un chômage qui touche 40 % des siens, force le respect. Ils ne se sont pas contentés de vagues promesses faites à la dernière minute par un despote mafieux, abasourdi par son peuple qu’il pensait avoir asservi et volait impunément, au su des dirigeants occidentaux qui laissaient faire préférant ce régime au risque islamiste. Ils n’ont pas eu peur d’affronter à mains nus les balles tirées par les milices de Ben Ali faisant des dizaines de morts, gagnant ainsi à leur cause une armée qui, depuis Bourguiba, a toujours eu une position légitimiste.

Cette révolution, à laquelle on a donné le nom de cette fleur qui embaume les jardins tunisiens, met aussi en évidence le rôle de la société civile auxquelles les réseaux sociaux donnent une arme qui transcende les censures et les frontières. L’exemple tunisien peut faire tâche d’huile dans la région et les dirigeants et la société israélienne ont tout intérêt à entendre ces voix jusqu’à présent étouffées qui se manifestent aujourd’hui dans le monde arabe. Il ne faut pas oublier que le mur de Berlin avait commencé à se fissurer avec les grèves de Gdansk 10 ans avant sa chute.

Enfin nous ne pouvons qu’être émus devant la fierté retrouvée par ce peuple paisible, étonné lui-même de la notoriété mondiale acquise en quelques jours. C’est d’abord la victoire du petit peuple que la majorité des occidentaux friands des plages tunisiennes ne considéraient que comme du personnel à leur service pour leurs vacances. C’est celle des intellectuels et des élites qui ont aujourd’hui la lourde responsabilité d’inventer la première démocratie arabe. C’est une nouvelle preuve, si nécessaire, que c’est non seulement de pain mais aussi de dignité et de justice dont l’homme a besoin. Et cette vérité est universelle. Les Israéliens ne devraient pas l’oublier quand ils négocient avec les Palestiniens.

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