Carnet 1: «Entre perplexité et désespoir»

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Une centaine de Juifs européens favorables à la solution « Deux peuples, deux Etats », membres de JCall, se sont rendus en Israël et en Cisjordanie du 27 avril au 5 mai 2013 pour envisager sur le terrain les différents aspects de la réalité israélo-palestinienne. Ils sont allés à la rencontre de responsables politiques et de citoyens engagés dans ce conflit et à la recherche de solutions pour y remédier. Pour tous, ce fut des moments intenses de confrontation avec la réalité (Sdérot, Hébron) et avec les acteurs de cette réalité (israéliens, palestiniens, musulmans et chrétiens arabes d’Israël). Plusieurs d’entre eux ont tenu un carnet de bord, rédigés des articles, pris des photos et des vidéos, tracés des croquis… “Carnet de voyage” vous présente quelques extraits de ces travaux inspirés par l’urgence et la complexité des questions posées.

Tout d’abord, un article rédigé dans la revue « Regards » du Centre Communautaire Laïc de Bruxelles (CCLJ) par notre ami Nicolas ZOMERSZTAJN le 4 juin dernier. (Cliquer pour consulter la revue « Regards » et l’article cité).

« Sdérot, localité du Sud d’Israël située face à Gaza, est la première étape du voyage. Depuis douze ans, 28.000 roquettes ont été tirées et 8.600 d’entre elles ont touché cette localité déshéritée et désormais traumatisée. Selon les responsables d’un centre local d’aide aux handicapés, Sdérot compte quatre fois plus de psychologues et de travailleurs sociaux que n’importe quelle autre ville d’Israël ! Des militants associatifs israéliens ont pourtant décidé d’y vivre, en conjuguant engagement social et combat pour la paix dans un contexte sécuritaire sensible. En dépit des tirs de roquettes, ils se mobilisent contre la déshumanisation des Palestiniens de Gaza en s’efforçant de maintenir le dialogue avec ces derniers.

Ligne verte et barrière de sécurité

Le voyage se poursuit dans la région du « Petit triangle », où sont concentrés des villes et villages arabes d’Israël le long de la Ligne verte. C’est ici, dans la vallée de Dotan, qu’on prend la mesure du lien étroit entre la géographie et l’histoire. Dans cette zone où des villages palestiniens ont été séparés une première fois en 1948, le tracé de la barrière de sécurité les éloigne une seconde fois de leurs frères de Cisjordanie. En construisant cette barrière à l’intérieur même des Territoires palestiniens, Israël «incorpore» des villages palestiniens à l’intérieur du périmètre sécurisé par la barrière !

Même constat quelques jours plus tard dans les collines qui entourent Jérusalem. En compagnie de Shaul Arieli, colonel (en retraite) de Tsahal et spécialiste du tracé des frontières dans les négociations de paix avec les Palestiniens, les membres de J Call ont pu décrypter comment depuis 1967, les autorités israéliennes ont progressivement étendu les limites de Jérusalem en construisant des colonies juives. Aujourd’hui, 85% des Juifs établis dans les Territoires occupés vivent précisément dans une zone triangulaire de colonisation (de Givat Zeev au nord jusqu’à Betar Illit au sud, en passant par Maale Adoumim à l’est) autour de Jérusalem.

La veille de leur séjour à Jérusalem, les membres de J Call étaient à Ramallah où certains d’entre eux ont été reçus par le Premier ministre sortant de l’Autorité palestinienne, Salam Fayyad, pendant que d’autres rencontraient des signataires palestiniens du Pacte de Genève et un ancien ministre de l’Economie, Bassem Khoury. Tous ont affirmé leur volonté de bâtir un Etat palestinien en respectant la logique « Deux peuples, deux Etats ». Salam Fayyad a bien répété que la création de l’Etat palestinien, ses infrastructures et ses institutions demeure sa préoccupation majeure en dépit de l’occupation. Pas n’importe quel Etat : un Etat souverain et viable évidemment, mais un Etat conforme aux critères et aux exigences de bonne gouvernance d’un Etat de droit au service de ses citoyens.

Consensus autour de l’immobilisme

Le jour suivant, les rencontres politiques se sont succédé à la Knesset à Jérusalem. Des députés du Likoud, de Yesh Atid (parti centriste de Yaïr Lapid) et Hatnouah (parti de Tzipi Livni) ont exposé aux membres de J Call leur vision de la résolution du conflit israélo-palestinien. A l’exception du député Likoud, Rubi Rivlin, qui prône un seul Etat entre les rives du Jourdain et la Méditerranée (cliquer pour lire l’article : “Vers une solution à un seul Etat” ), ils se sont tous prononcés en faveur des deux Etats sans pour autant en faire leur priorité actuelle. Comme s’il se dégageait un consensus autour de l’immobilisme. Seul Nitzan Horowitz, député du Meretz (gauche sioniste siégeant dans l’opposition), s’est distingué de ses collègues en prenant en considération la nouvelle proposition concrète de paix de la Ligue arabe, une occasion qu’il faut saisir si Israël veut que la solution des deux Etats aboutisse.

Pour avoir une vue complète sur la situation israélo-palestinienne, il est nécessaire d’entendre les opposants à la solution « Deux peuples, deux Etats ». Côté palestinien, aucune rencontre n’a été organisée avec le Hamas ni aucun autre groupe extrémiste, mais la visite à Bethléem du camp de réfugiés d’Aïda, le long du mur de sécurité, a permis au groupe de prendre la mesure d’un discours palestinien intransigeant. Dans Aïda, qui a l’apparence d’un quartier parmi d’autres de Bethléem, la mystique du droit au retour en Israël des réfugiés palestiniens est sans cesse entretenue. La clé de la maison d’avant 1948, symbole du réfugié palestinien, est visible partout : une clé géante (« la plus grande au monde ») est placée au-dessus de la porte du camp, les murs des maisons sont recouverts de fresques et de dessins de cette clé… Après une heure de visite où la propagande domine largement, le guide finit par admettre qu’il n’acceptera jamais un Etat palestinien tant qu’il ne pourra pas retourner dans sa maison en Israël. Il en possède d’ailleurs la clé que son père lui a transmise, elle-même confiée par son grand-père ! Ce rêve de retour en Israël se heurte au pragmatisme et se transforme en cauchemar pour les Israéliens ouverts au dialogue et au compromis.

« L’Etat palestinien, c’est la Jordanie ! »

Le lendemain, la rencontre avec les colons prend les allures d’une confrontation tendue et insurmontable. Rendez-vous était donné à Kfar Etzion, une colonie du Goush Etzion située au sud de Jérusalem. Avec certaines variations, les interventions de ces colons n’offrent rien de plus qu’un miroir à la propagande du réfugié palestinien d’Aïda. Muni de sa Bible en guise de cadastre, Rony Akrich, un ancien gauchiste français ayant reporté son messianisme idéologique sur Eretz Israël, affirme que l’Etat palestinien existe déjà : c’est la Jordanie ! Ensuite, d’une voix fluette, Davidi Perel, le président du Conseil régional du Goush Etzion,  précise que l’Etat d’Israël doit s’étendre de la Méditerranée au Jourdain. Et dans cet Etat juif, les Palestiniens ne jouiront pas des mêmes droits que les Juifs israéliens. « Un homme, un vote » ne sera pas de mise dans l’Israël idéal de ce responsable du mouvement colon. « Que voulez-vous, Israël est un Etat spécial et particulier », répondra-t-il sans sourciller aux membres de J Call qui l’interrogent sur l’incompatibilité de son dessein avec les exigences démocratiques et éthiques d’Israël.

Dans le prolongement de cette rencontre tendue, la visite de Hébron en compagnie de Hagit Ofran, directrice de l’Observatoire des colonies de Shalom Archav (La Paix maintenant), laissera un souvenir amer et dérangeant. Huit cents colons juifs fanatiques et armés vivent aujourd’hui au cœur de cette ville palestinienne de 180.000 habitants. Depuis 1997, Hébron est divisée en deux zones : H1 revient aux Palestiniens et H2, la zone du centre de la ville, est placée sous contrôle israélien. H2, autrefois cœur de la vie économique de Hébron abritant de nombreux commerces, n’est plus qu’une ville fantôme interdite aux Palestiniens, où ne peuvent circuler que les colons, l’armée, les Israéliens et les étrangers. Cette situation inacceptable met cruellement en exergue la corruption morale que suscite l’occupation des Territoires palestiniens. Et que penser des soldats de la brigade d’infanterie Givati, une unité combattante de Tsahal, réduits à jouer au chat et à la souris avec les enfants palestiniens qui les narguent en tentant de pénétrer dans ces quartiers interdits.

Le voyage se conclut malgré tout par une note d’espoir : la visite du village de Neve Shalom-Nawat As-Salam, une oasis de la paix où vivent ensemble Juifs et Arabes. Cette micro-expérience utopique de cohabitation est impressionnante, mais au regard du contexte global du conflit, elle n’offre aucun cadre général applicable au conflit israélo-palestinien.

Sentiment d’urgence

Au terme des visites, des rencontres et des débats organisés chaque soir en présence de personnalités politiques et intellectuelles israéliennes, les participants à ce voyage d’études ont beaucoup appris. Ils ont surtout perçu de manière tangible ce qu’ils connaissaient déjà à travers leurs lectures. Quel bilan tirer de ce voyage ? «Je ne suis pas du tout revenu avec des réponses», avoue Philippe Zaouati (voir les extraits de son blog sur notre site), signataire français de J Call, « mais avec des questionnements supplémentaires tellement la situation m’est apparue plus compliquée et plus complexe que je ne l’imaginais ». Et à l’instar de la centaine de participants, Philippe Zaouati est également plus pessimiste qu’avant son séjour en Israël. « Même si les Israéliens que nous avons rencontrés nous disent tous que le pessimisme n’est pas une option possible, la route vers la solution des deux Etats à laquelle une majorité d’Israéliens souscrit me semble encore longue et incertaine », constate-t-il.

Loin d’être un militant de gauche ou de Shalom Archav, Philippe Zaouati est plutôt centriste et demeure convaincu que la solution des deux Etats est la seule capable de pérenniser le rêve du sionisme démocratique. « Les Israéliens ont construit en 65 ans un pays merveilleux, jeune, démocratique, fort, à la pointe de la technologie », souligne-t-il. « En tant que Juif, j’aime ce pays. Les Israéliens ont les moyens de poursuivre cette aventure extraordinaire en choisissant délibérément le futur plutôt que le passé. Cela passe par une séparation avec les Palestiniens. Aujourd’hui, il y a urgence ». Et c’est précisément ce sentiment d’urgence qui anime tous les membres et les sympathisants de J Call en Europe. »

 

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