Dans cet article paru le 5 février 2015, Ari Shavit, l’éditorialiste-vedette du quotidien israélien Haaretz, juge sévèrement le bilan du premier ministre sortant. L’opposition, écrit Ari Shavit, doit axer ses critiques sur le fait que Benyamin Netanyahou a porté atteinte à la cause sioniste.
L’élection de 2015 n’est pas un référendum sur des histoires de bouteilles vides [1]. La question véritable est: quel est le dirigeant sioniste qui renouvellera le sionisme et rétablira l’Etat d’Israël? Le Likoud de Benyamin Netanyahou, Miri Reguev [2] et Yariv Levin [3] détient-il la clé du mouvement national juif? Le parti Habaït Hayéhoudi [La Maison juive] de Naftali Bennett, Yinon Magal [4] et Orit Struck [5] est-il le garde des sceaux de l’Etat juif démocratique? Est-ce que les colons sont les pionniers du vingt-et-unième siècle, et est-ce que les extrémistes sont notre colonne de feu [6]? C’est de la réponse à ces questions que dépendra l’issue des élections.
Quelques mots en faveur de Netanyahou. Contrairement à d’autres, je suis persuadé que c’est un patriote. Il est vrai que Netanyahou n’estime pas les Israéliens et qu’il ne les aime pas non plus, mais il éprouve un fort engagement envers l’Etat d’Israël. Il est vrai que le comportement de sa famille est scandaleux, mais cela ne va pas jusqu’à la corruption au sens criminel et avéré du terme. Ceux qui se sont tus quand Ehoud Olmert occupait la résidence du premier ministre [7], et ceux qui ont cru qu’Avigdor Liberman est un homme politique respectable [8], ne peuvent pas se plaindre des bouteilles vides de Sarah [9]. C’est pathétique? Oui, c’est pathétique. C’est répugnant? Oui, c’est répugnant. Cela doit faire l’objet d’une enquête? Oui, cela doit faire l’objet d’une enquête. Mais les hommes politiques et les journalistes qui ont prétendu qu’il ne fallait pas traiter de l’affaire Talansky ni de l’affaire Holyland [10] ne peuvent pas affirmer aujourd’hui que le ciel leur est tombé sur la tête. Notre mémoire n’est pas si courte que cela. Le public n’est pas si bête que cela. L’hypocrisie qui caractérise le déchaînement actuel contre Netanyahou joue finalement en sa faveur; elle provoque le renforcement de la droite de la droite et l’affaiblissement du centre-gauche.
Il est donc nécessaire de ramener le débat là où il doit être, et de parler des choses importantes. Seul un débat respectueux et respectable, portant sur les sujets essentiels, sauvera cette campagne électorale bourbeuse et pitoyable, et restaurera les chances d’un changement.
Rien n’est plus cher à Netanyahou que l’Etat juif. Mais pour servir l’Etat juif il faut comprendre que cet Etat doit être démocratique, qu’il doit avoir une majorité juive, et qu’il doit jouir d’une légitimité internationale. Netanyahou n’a intériorisé aucune de ces trois vérités fondamentales. Sa politique d’implantations est post-sioniste. Sa législation nationaliste est anti-sioniste. Le retentissant échec de sa politique internationale met en danger le sionisme.
Pour Netanyahou, la sécurité nationale est la prunelle de ses yeux. Il se raconte à lui-même que son rôle historique est de veiller à la sécurité d’Israël. Mais la sécurité d’Israël repose sur l’alliance stratégique avec les Etats-Unis, et Netanyahou inflige à cette alliance stratégique une érosion permanente. La sécurité d’Israël repose sur le fait que les soldats israéliens sont certains que si Israël entre en guerre, c’est parce qu’il n’a pas d’autre choix; Netanyahou lamine cette certitude. La sécurité d’Israël repose sur une société israélienne cohérente, résistante et porteuse d’espoir; Netanyahou mine la cohésion sociale du pays, met à mal la résilience nationale et engendre le désespoir. De manière continue, systématique et involontaire, Monsieur Sécurité met la sécurité en danger.
Le débat avec le chef du Likoud doit être mené sur son territoire à lui. Le changement ne viendra pas d’un déballage d’accusations personnelles, et ce n’est pas par des méthodes hypocrites que l’on provoquera l’alternance au pouvoir. Dans le cadre d’une confrontation argumentée et sérieuse, il faut montrer à la population que Netanyahou a échoué. Au cours des années écoulées, le chef du gouvernement n’a pas relancé l’économie, n’a pas renforcé la société et n’a pas fait progresser la justice sociale. Il n’a offert aux Israéliens aucune foi, aucun espoir, aucune perspective. Il n’a pas renforcé le bien commun, il n’a pas donné de signification à notre vie collective, et n’a proposé à la nation aucun objectif.
En définitive, la critique la plus radicale que l’on peut adresser au locataire de la rue Balfour [11] n’est pas portée par des arguments gauchistes ni par une aspiration à la pureté; cette critique est foncièrement sioniste. L’homme qui croit encore perpétuer la tradition de Herzl et de Jabotinsky a dangereusement affaibli Israël, et a échoué dans son rôle de dirigeant sioniste.
NOTES DU TRADUCTEUR
1. Allusion à une affaire qui a défrayé récemment la chronique: Sarah, l’épouse de Benyamin Netanyahou, a été accusée d’avoir durant des années fait rapporter les bouteilles vides des boissons achetées sur le compte de la résidence du premier ministre, pour empocher le montant de la consigne.
2. Miri Reguev est une députée du Likoud, connue pour ses discours enflammés et qui s’est illustrée en prenant une part active, en 2012, à des manifestations de rues contre les immigrants d’origine africaine. Elle occupe la cinquième place sur la liste des candidats du Likoud à la prochaine Knesset.
3. Yariv Levin, député du Likoud, est identifié à l’aile la plus extrémiste du parti. Il était le co-auteur d’un texte de loi (qui n’est jamais arrivé jusqu’à la plénière de la Knesset) sur la définition d’Israël en tant qu’Etat juif. Il occupe la douzième place dans la liste des candidats du Likoud.
4. Yinon Magal est un journaliste qui présenta notamment le journal du soir sur la première chaîne de télévision, et a rejoint fin 2014 le parti de Naftali Bennett où il occupe la septième place sur la liste des candidats à la Knesset.
5. Orit Struck est une Juive de stricte orthodoxie, résidente du quartier juif de Hébron et mère de onze enfants, qui adopte volontiers des positions extrémistes (elle a publiquement exprimé sa joie à l’annonce de la mort d’Ariel Sharon, avant de se rétracter). Députée sortante, elle occupe la quatorzième place sur la liste des candidats du parti Habaït Hayéhoudi.
6. Allusion à la «colonne de feu» qui guida les Hébreux lors de leur marche dans le désert, après la sortie d’Egypte (cf. Exode, 13, 21).
7. Ehoud Olmert, longtemps membre du Likoud, puis du parti Kadima créé par Ariel Sharon lors de la scission du Likoud, fut premier ministre entre 2006 et 2009. Il a été condamné en 2014 à une peine de six ans de prison pour corruption (la sentence n’a pas encore été exécutée en raison d’un appel suspensif devant la Cour suprême).
8. Avigdor Liberman, dirigeant du Likoud puis du parti Israël Beïténou, est ministre des affaires étrangères dans le gouvernement actuel de Benyamin Netanyahou. Soupçonné dans le passé d’irrégularités financières, il a été acquitté. De lourdes accusations de corruption ont été portées récemment par la police contre plusieurs cadres de son parti.
9. Sur les «bouteilles vides de Sarah [Netanyahou]», voir la note 1. ci-dessus.
10. Référence à deux des «affaires» pour lesquelles Ehoud Olmert a été mis en cause.
11. La rue Balfour est la rue de Jérusalem où se trouve la résidence du premier ministre.