Dans la perspective des élections israéliennes qui se tiendront en mars 2015, nous republions un article rédigé en 2013 sur le fonctionnement électoral de ce pays. S’il existe bien un consensus que partagent depuis longtemps les analystes politiques ainsi que les dirigeants des principaux partis israéliens, c’est la nécessité de changer le système électoral. Nous avions donc demandé au professeur Claude Klein, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste du système politique israélien, quelle était son analyse sur la possibilité de voir un jour ce système modifié.
Rédigé lors de l’élection de la dernière Knesset ce texte demeure toujours d’actualité, mais des changements sont intervenus que nous a signalé Claude Klein. Le seuil électoral a été effectivement élevé à 3,25%, ce qui signifie qu’un parti devra avoir au moins 4 sièges pour entrer à la Knesset. La conséquence est que les partis arabes qui sont en danger de ne pas parvenir au seuil sont contraints de présenter une liste unique pour franchir ce seuil. Cela pourrait d’ailleurs avoir comme conséquence de faire monter le taux de participation des Arabes (qui était tombé à 50%) ce qui pourrait entraîner une plus forte représentation des Arabes à la Knesset (ils ont actuellement 10 sièges et pourraient passer à 12 ou même plus).
Claude Klein
Précisions arithmétiques et autres à propos des élections israéliennes
Les systèmes électoraux comportent tous certains aspects techniques, liés le plus souvent au mode de scrutin et au calcul des résultats. Les élections israéliennes n’échappent pas à cette réalité.
On sait, bien entendu, que le mode de scrutin pratiqué depuis toujours (avant même la création de l’Etat, au sein des organisations sionistes et pré étatiques) est celui de la proportionnelle que l’on peut qualifier d’intégrale. Cela signifie que les 120 députés que compte la Knesset sont élus dans le cadre d’une seule circonscription, qui est formée par le pays tout entier[1].
Ce mode de scrutin est certainement le plus juste que l’on puisse imaginer, puisqu’il permet la réalisation d’une véritable photographie du corps électoral, en fournissant une représentation exacte des groupes formant la société, jusqu’à une résolution très précise. Néanmoins, le système emporte des effets « pervers » que je me contenterai de signaler ici très rapidement : d’une part, le plus connu celui de l’atomisation de la vie politique ; d’autre part, celui, plus profond de la contribution à la pérennisation des clivages.
Les résultats des élections du 22 janvier 2013 en sont une illustration parfaite qui se passe de tout commentaire : douze listes, sur les 34 inscrites, ont réussi à passer le seuil électoral de 2% (sur lequel je reviendrai). L’atomisation est encore plus nette si l’on rappelle que, par exemple aux élections de 1981, les deux plus grands partis (à l’époque les travaillistes et le Likoud) détenaient à eux deux 95 sièges sur les 120 de la chambre. Aujourd’hui, les deux plus grandes formations (le Likoud et Yesh Atid de Yaïr Lapid ne parviennent qu’à réunir 50 sièges, bien loin de la majorité absolue de 61 sièges).
La proportionnelle intégrale a également comme conséquence de pousser les partis (surtout les moyens et petits partis) à souligner fortement les particularismes. C’est ainsi qu’à chaque tour de scrutin, l’accentuation des caractéristiques ethnico-religieuses ne manque jamais de se produire.
Outre ces différents problèmes de fond, la proportionnelle intégrale façon israélienne pose d’autres questions, plus techniques, dont je voudrais donner ici un aperçu.
a) Le législateur n’a pas voulu prendre en considération le vote blanc ou nul. Certes, le chiffre est connu avec précision, mais il est comme extérieur aux calculs qu’implique le traitement des résultats. Le 22 janvier 2013 on a pu dénombrer 3 834 136 électeurs soit 67,79%. Ce chiffre est en légère augmentation par rapport aux élections précédentes[2] , mais il inclut 40 915 bulletins blancs ou nuls.
b) Le deuxième élément est celui de l’existence d’un seuil minimal de 2 % (3, 25 % désormais et applicable pour les élections de mars 2015) pour l’obtention de sièges à la Knesset . Ce seuil a été élevé progressivement de 1% à l’origine à 1,5%, à 2%[3) (puis à 3, 25 %). Le but de la manœuvre est évident : il faut réduire le nombre de partis représentés à la Knesset. C’est ainsi que depuis que le seuil a été établi à 2%, il n’y a plus de partis n’ayant qu’un seul député. Le 22 janvier 2013, le parti Kadima a pu franchir le seuil de justesse, en obtenant 79 487 voix, soit très précisément 2,10%. On peut imaginer que le seuil sera élevé au cours de la prochaine législature, pour atteindre 2,5% ou même 3%. Certains partis pourraient être menacés. C’est le cas des partis arabes[4]. Cela aurait pu être le cas du parti Meretz qui a obtenu 4,54% en 2013 mais n’en avait récolté que 2,95% en 2009. La recherche de l’efficacité a un prix politique évident. Il reste que 265 519 voix, au total, ont été données par les électeurs à des partis qui n’ont pas franchi le seuil.
c) La question de la répartition des restes a subi un changement radical en 1973. Je rappelle que, dans les scrutins proportionnels, se pose, en effet cette question des restes. L’origine en est évidente : si l’on a fixé par avance le nombre de sièges à répartir – dans le cas israélien il y a 120 sièges – le calcul simple, qui consiste à diviser le nombre de voix obtenues par un parti par le quotient électoral (celui-ci représente 1/120ème du total des voix des partis autorisés à participer à la répartition des siège), on obtient, au final, en additionnant les sièges de tous les partis un nombre inférieur à 120, car les partis ont des résultats qui ne s’arrondissent pas selon le quotient. Il faut donc savoir à qui seront attribués les « restes » en sièges. Jusqu’en 1973, ces sièges étaient attribués en fonction des plus forts restes de chaque parti. Si l’on suppose, par exemple que le quotient est de 10 000, un parti qui a obtenu 23 000 voix obtient 2 sièges. On peut décider d’attribuer au « plus fort reste », c’est à dire aux partis qui ont le plus fort reste de voix non utilisées, jusqu’à ce que l’on soit parvenu au chiffre de 120. Ce système ne favorise pas un type particulier de parti, car le montant des restes relève du pur hasard . Cependant, à partir de 1973 Israël a adopté un nouveau système, appelé ici « Bader-Ofer » (du nom des deux députés qui l’ont proposé) mais connu dans le monde sous le nom de système de Hondt ou système de la plus forte moyenne. On calcule pour chaque liste combien « vaut » chaque siège et l’on attribue ainsi les sièges par valeur décroissante. Ce système qui existe dans la plupart des pays qui pratiquent le scrutin proportionnel, favorise sans le moindre doute les grands partis. On peut le considérer comme une « mini-contribution » à la recherche de l’efficacité politique au détriment d’une justice électorale trop absolue.
d) Enfin, le système israélien a adopté une méthode qui avait été connue en France, sous la 4ème République, sous le nom d’apparentement. Cette méthode consiste pour un parti à signer, avant les élections, un accord d’apparentement (connu en hébreu sous le nom de Odfei Kolot c’est-à-dire de restes de voix). Cela permet à deux partis d’additionner au final les voix « restantes » et de réduire ainsi la perte éventuelle. Ainsi, au cours des récentes élections (2013), la parti travailliste qui, pendant des décennies avait signé un tel accord avec le Meretz avait-il préféré le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid, annonçant ainsi son virage centriste. Le Meretz, quant à lui, avait signé avec Tsipi Livni, alors que le Likoud signait avec La Maison juive de Bennett.
La réforme du mode de scrutin reste toujours à l’ordre du jour. Il faut rappeler qu’elle nécessite une majorité absolue pour être possible et qu’il est fort improbable qu’elle se réalise. A moyen terme, il est envisagé, à l’inverse des propositions présentées en France, d’instiller une dose de scrutin majoritaire. Cela pourrait se faire, à l’exemple de ce qui se passe en Allemagne, en permettant une élection double : l’une, proportionnelle (par exemple 80 sièges), l’autre majoritaire, concernant les 40 sièges restant. Le système restera bloqué, tant que le mode de scrutin ne sera pas modifié, serait-ce au prix d’une atteinte à la justice électorale absolue….
[1] Précisons que le vote par procuration ou par correspondance n’existe pas. Les nombreux Israéliens établis à l’étranger ne peuvent donc voter, sauf à se rendre en Israël le jour de l’élection. On estime à au moins 400 000 le nombre d’Israéliens vivant en permanence à l’étranger. Cependant, les diplomates et les marins de la flotte israélienne peuvent voter. De même, le législateur a prévu que les soldats et les personnes incarcérées peuvent voter dans des bureaux de vote spéciaux.
[2] Le chiffre était de 65,2% en 2009. L’augmentation du taux de participation marque une rupture avec le déclin entamé il y a plus de vingt ans.
[3] En Allemagne fédérale, le seuil est de 5%, réaction aux excès de la proportionnelle sous la République de Weimar.
[4] Les trois partis arabes représentés dans la nouvelle Knesset ont obtenu respectivement 3,65%, 3% et 2,56%, engrangeant ainsi un total de 11 sièges. Cependant, ces partis pourraient soit s’unir pour passer facilement le seuil, soit, surtout, espérer une participation plus élevée du secteur arabe qui n’a été que de 57%. Si la participation arabe atteignait celle du secteur juif, les partis arabes auraient pu obtenir jusqu’à 18 députés.