Pour faire entendre une voix critique mais constructive à l’égard du conflit israélo-palestinien, des juifs de Suisse viennent de fonder JCall Switzerland, dans le sillage de JCall Europe. Si Israël a droit à la reconnaissance de son existence, et à la sécurité, son gouvernement ne peut impunément poursuivre sa politique de colonisation en Cisjordanie. Appel à une solution négociée, par Massia Kaneman-Pougatch et Marko Weinberger, membres du comité
Il y a plus d’un an, face au blocage du processus de paix au Moyen-Orient, des citoyens juifs européens ont décidé de faire entendre une voix différente sur la politique israélienne dans le conflit israélo-palestinien: un appel à la raison (LT du 26.11.2010).
La première assemblée européenne de JCall s’est tenue au Parlement européen, à Bruxelles, le 3 mai 2010. Cette initiative autonome n’est liée à aucun mouvement politique européen ou israélien et se place par-delà tout clivage partisan. Quelques signataires suisses de cet appel ont décidé de créer en Suisse une antenne locale. C’est fait: JCall Switzerland vient de se constituer en association.
JCall affirme et proclame son soutien indéfectible à l’existence de l’Etat d’Israël et à son droit de vivre en sécurité dans des frontières sûres et reconnues, mais craint que l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne constituent un danger majeur pour la solution de ce conflit. Cette politique, de plus en plus agressive, contribue à affaiblir et à isoler Israël sur la scène internationale. C’est pourquoi, seule la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien viable à ses côtés – dans des frontières à négocier sur la base de celles de 1967 – pourront garantir à Israël sa sécurité et sa pérennité en tant qu’Etat démocratique.
Dire que la situation actuelle est complexe est un euphémisme. Depuis les Accords d’Oslo en 1994, pourparlers et tentatives de paix – en particulier l’Initiative arabe de paix de Beyrouth en 2002 et Riyad en 2007 – se sont succédé et n’ont pas abouti. L’Initiative de Genève en 2003 a défini un plan pragmatique, détaillé et réalisable sur toutes les questions qui opposent les deux parties. Les efforts sporadiques du Quartette, le discours de Barack Obama au Caire et tant d’autres démarches ont échoué par manque de volonté et de courage politique.
Trop longtemps, les juifs de la diaspora se sont tus. Leur attachement à Eretz Israël et l’espoir immense qu’a suscité la création d’un Etat où les juifs seraient en sécurité, vivant sans crainte, à l’abri de la menace d’un nouvel Holocauste, ont paralysé toute critique à l’égard de la politique israélienne. Chaque juif qui élève une voix discordante est trop souvent stigmatisé et réprimandé par nombre de ses coreligionnaires qui lui font remarquer qu’il vit en sécurité, hors d’Israël, et qu’il ne peut pas comprendre les angoisses de ceux qui doivent s’abriter derrière un mur pour ne pas exploser dans un attentat meurtrier.
Il est vrai que les juifs de la Diaspora ne vivent pas au quotidien la crainte d’être victimes du terrorisme; mais ça n’a pas toujours été le cas, l’histoire du XXe siècle est là, encore proche, pour nous le rappeler. Par ailleurs, le gouvernement israélien ne proclame-t-il pas souvent qu’il mène cette politique au nom des juifs, de tous les juifs? Les révolutions arabes en 2011 ont surpris le monde entier par leur soudaineté et la chute rapide de leurs leaders traditionnels, quasi héréditaires. Ces révolutions portent un espoir démocratique certain, mais, évidemment, bouleversent tout autant un ordre établi et introduisent – comme toutes les révolutions – des sentiments d’incertitude et de déstabilisation, source d’inquiétude et d’angoisse et pas seulement pour Israël.
La menace nucléaire de l’Iran se greffe sur cette situation géopolitique précaire et dangereuse. Il est très vrai que la première cible de cette menace est Israël. Il faut en être conscient – tant les juifs que les non-juifs – et en tenir rigoureusement compte dans toutes les analyses.
Parallèlement, l’Autorité palestinienne a commencé un processus en vue de la reconnaissance formelle de leur Etat devant l’ONU et la communauté internationale. La reconnaissance par l’Unesco n’est qu’un premier pas dans cette démarche.
Dans un contexte aussi angoissant et inquiétant, il faut que nous, juifs, comprenions et acceptions que l’ambition des Palestiniens est légitime. En revanche, leur combat par le terrorisme est inacceptable. Leur combat par les instances internationales et la construction d’institutions et d’infrastructures d’Etat en Cisjordanie est légitime et honorable. Pour cela, nous estimons que Israël devrait soutenir Salam Fayyad et Mahmoud Abbas et tout faire pour renforcer leur crédibilité face aux ambitions extrémistes du Hamas. A notre sens, cette politique permettra, le jour venu, au peuple palestinien de choisir.
Le statu quo, maintenu depuis 1967, n’est plus tenable. En fait, face aux bouleversements géopolitiques cités plus haut, ce statu quo est l’élément le plus dangereux des menaces qui pèsent sur Israël. L’escalade de la violence augmente de part et d’autre. Israël poursuit la colonisation en Cisjordanie et le Hamas terrorise la population de Sderot en la bombardant régulièrement de roquettes. C’est un cercle vicieux qui se nourrit de ses propres excès de part et d’autre.
Israël est un fait. Israël existe. Les Palestiniens n’ont pas su saisir leur chance en 1947 lors de la partition de la Palestine mandataire? Soit. Mais cessons de ruminer le passé, et gardons-nous des arguments bibliques et religieux qui ne font qu’attiser les haines. A ceux qui craignent le déni de l’Etat d’Israël par les Palestiniens, rappelons qu’une frontière se situe à l’interface de deux territoires. Quand ces derniers réclament un Etat, ils reconnaissent de facto Israël puisque, en dessinant les frontières de la future Palestine, ils tracent celles d’Israël par la même occasion. Sans oublier le passé, tournons-nous résolument vers l’avenir et ayons la volonté et le courage de le construire en paix et pour la paix.
C’est pourquoi JCall Switzerland lance un appel solennel auprès de l’opinion publique et des communautés et organisations juives de Suisse afin de soutenir tous les efforts visant à mettre fin à ce conflit trop long, trop sanglant et trop dangereux. Ayant parfaitement conscience que la négociation et la décision politique appartiennent aux seuls dirigeants israéliens et palestiniens et à leurs sociétés civiles, JCall Switzerland souhaite promouvoir la solution de deux Etats, seule garantie d’un accord durable.
JCall a l’ambition de prouver que l’on peut s’ouvrir sans se perdre et se réinventer sans se trahir et, ainsi, retrouver sagesse, dignité et éthique qui fondent les valeurs profondes et millénaires du judaïsme.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1cf3a0c4-1aba-11e1-9dce-5f35c469c761|1#.UN17nhwnibw