10000 personnes selon la police, 15000 selon les organisateurs, étaient rassemblées samedi soir place Rabin à Tel Aviv pour manifester pour la paix et la démocratie.
Cette manifestation organisée à l’appel des partis Meretz et Hadash, de Shalom Arshav, et d’un certain nombre d’associations comme « Une autre voix »[1] et « le cercle des familles endeuillées »[2] était prévue initialement pour se dérouler samedi dernier. Mais la police avait décidé de l’annuler la veille, suite à l’interdiction de laisser s’organiser des rassemblements de plus de 1000 personnes en période de guerre à cause des risques de bombardements. Cette semaine, grâce au cessez-le-feu encore en vigueur, la manifestation a pu se tenir. Pourtant toute la semaine, les organisateurs avaient craint qu’il ne fût trop tôt pour réussir à mobiliser « le camp de la paix ». D’ailleurs celui-ci n’était pas présent dans toutes ses composantes. Le parti travailliste, notamment, brillait par son absence.
Après plus d’un mois d’une guerre qui a bénéficié d’un soutien quasi-totale de la population et de celui des partis de l’opposition, à l’exception des partis arabes, il est difficile de faire entendre une autre voix dans le concert consensuel que l’on entend dans les médias israéliens depuis le début de l’opération « Bordure protectrice ». Une dizaine d’intervenants se sont succédé à la tribune, alors que la foule scandait successivement les mots d’ordre retenus par les organisateurs : « Juifs et Arabes refusent d’être ennemis » revenait en leitmotive, une fois au masculin et une fois au féminin ; « A Sdérot et à Gaza, les enfants veulent vivre » ; « Il n’y a pas de différence entre un sang et un autre, nous sommes tous des êtres humains » ; « Israël et Palestine, 2 Etats pour 2 peuples » ; «Oui à la paix, non à l’occupation » ; « Le racisme commence à la table du gouvernement »…étaient les principaux slogans répétés par les manifestants.
Zehava Galon, présidente du Meretz, a été la première à intervenir. Elle a fortement critiqué Netanyahu qui après 5 ans de pouvoir n’avait rien fait pour trouver une solution au conflit. Après avoir rappelé sa présence sur cette même place à la manifestation organisée jeudi dernier en soutien aux populations du sud du pays, et qui avait rassemblé également plus de 10000 manifestants, elle a accusé le gouvernement d’avoir failli depuis des années à apporter la sécurité aux habitants de ces localités du sud.
Mohamed Barakeh, député du Hadash, a insisté sur l’injustice faite aux arabes israéliens qui sont arrêtés quand ils veulent manifester leur soutien à la population de Gaza, sous le prétexte qu’en temps de guerre, de telles manifestations pouvaient être source de violences.
De tous les autres intervenants, je ne retiendrai que les propos de David Grossman. De sa voix triste, il a mentionné qu’il n’y avait pas d’images de victoire dans cette guerre des deux côtés, mais uniquement des images de destruction et de tuerie, constatant qu’après plus de 100 ans de conflit ces deux peuples n’étaient capables de se parler, presque uniquement, que dans la langue de la violence. Après avoir rappelé qu’il n’y avait pas de solution militaire à ce conflit, Grossman a affirmé que la sécurité des habitants du sud dépendait du degré d’espoir et de respect que l’on donnerait aux habitants de Gaza. Il a affirmé qu’il était temps de se réveiller et de ne pas sombrer dans la dictature de la peur. Pour lui, les problèmes sociaux, le racisme, la corruption, … sont les tunnels qui sont en train de miner la fragile démocratie israélienne, risquant de transformer en un temps très court, plus court qu’on ne l’imagine, un pays avancé tourné vers l’avenir en une secte extrémiste, militante, détestant les étrangers et refermée sur elle même. Enfin Grossman a rappelé la détresse des arabes israéliens qui voient parfois les enfants de leurs voisins tirer sur leurs proches vivant à Gaza et à qui l’on refuse le droit de crier. [3]
Est-ce que l’on a assisté hier soir à Tel Aviv au réveil du camp de la paix ? Il est encore trop tôt pour le dire.
Ce qui est sûr, c’est que la population israélienne peut être versatile. Après avoir regretté après l’acceptation du cessez-le-feu que le gouvernement n’ait pas « laissé Tsahal gagner », comme le répètent les dirigeants populistes comme Liberman et Bennett, la majorité, lasse de cette guerre et consciente du prix à payer, serait prête à accepter une solution qui ramènerait le calme dans le sud du pays, tout en étant consciente de la précarité d’un accord avec le Hamas. Bibi, qui avec plus de 70 % de soutien dans la population bénéficie d’une importante marge de manœuvre, l’a compris. D’ailleurs il ne voulait pas lui-même de cette guerre, alors que l’on connaissait l’existence des tunnels même si l’on avait sous estimé leur nombre. Il avait accepté toutes les demandes de cessez-le-feu et il n’a donné l’ordre à Tsahal d’entrer dans Gaza que lorsque, suite à une incursion déjouée à partir d’un tunnel, il ne pouvait plus prétendre garantir la sécurité des populations du sud en se cantonnant aux bombardements aériens et en se reposant sur le système « Dôme de fer ». S’il est prêt à faire aujourd’hui des concessions au Hamas, en négociant avec lui par Égyptiens interposés, alors qu’il avait refusé de le faire il y a encore 2 mois avec le gouvernement d’union nationale constitué par Mahmoud Abbas, il n’est pas prêt pour autant à prendre une initiative politique significative à l’égard de l’Autorité palestinienne. C’est ce qui amène de plus en plus de Palestiniens du Fatah en Cisjordanie à penser qu’Israël ne donne une prime qu’au Hamas qui, par la force, finit par obtenir une partie de ses revendications.
Il faudra encore beaucoup de manifestations comme celle d’hier soir pour faire bouger ce gouvernement, ou le suivant en cas d’élections qui dans le contexte actuel risqueraient de porter au pouvoir une coalition encore plus droitière que celle d’aujourd’hui.
David Chemla
[1] Association regroupant des Israéliens habitant dans des villes et des kibboutzim frontaliers avec Gaza, qui maintiennent des contacts depuis des années avec la population gazaouie et qui militent contre la déshumanisation de l’autre suite au conflit.
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[2] Association regroupant 600 familles, 300 israéliennes et 300 palestiniennes, qui ont perdu des proches dans des guerres et ou des attentats, et qui militent ensemble en se rendant devant des assemblées juives et palestiniennes pour expliquer qu’il faut mettre fin au conflit.
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[3] Pour écouter son discours en hébreu sur le site de Ynet, cliquer ici