Une nombreuse assistance est venue assister au débat qui s’est tenu le 24 juin 2014 à Paris, à l’initiative de JCall France, avec la participation de Elie Barnavi, Alain Finkielkraut et Hubert Védrine, et en présence de Rémi Féraud, maire du Xe arrondissement.
En introduction au débat, Rémi Féraud a exprimé son enthousiasme à l’idée d’accueillir cet événement, en rappelant que la Mairie est étymologiquement la «maison commune», un lieu qui doit favoriser l’engagement des hommes et la paix. Il a également insisté sur le fait qu’il s’opposait à l’importation du conflit israélo-palestinien en France, en particulier dans les écoles. Le maire du Xe arrondissement de Paris a conclu son intervention en évoquant le travail des collectivités territoriales en faveur du processus de paix, et notamment le voyage en Israël et dans les territoires palestiniens auquel Anne Hidalgo a participé et qui a permis d’établir ou de renforcer des partenariats entre plusieurs communes locales et la Ville de Paris.
Il revenait ensuite à Elie Barnavi d’analyser la situation intérieure en Israël, Hubert Védrine évoquant le contexte international et Alain Finkielkraut s’exprimant sur l’ensemble du débat et les répercussions du conflit en France. Les intervenants s’étant retrouvés sur de très nombreux points, les redondances ne seront pas reprises dans ce compte-rendu.
Sur la photo ci-dessus, de gauche à droite: Alain Finkielkraut, Elie Barnavi, David Chemla (secrétaire général de JCall), Rémi Féraud et Hubert Védrine. Gérard Unger, président de JCall-France, avait été contraint de partir avant la fin de la réunion.
Elie Barnavi estime que la tâche qui lui était impartie était la plus désagréable, en tant que citoyen israélien. Il a débuté son intervention par une «bonne nouvelle», néanmoins riche de paradoxes: la situation d’Israël n’a jamais été meilleure. Personne ne peut lui faire de l’ombre dans la région: l’Iran est affaibli, la Syrie en pleine guerre civile. L’économie est prospère, la population croît et la vie à Tel Aviv est très agréable et dynamique – c’est même la deuxième destination gay mondiale, a-t-il plaisanté.
Et pourtant, la situation de la société israélienne est grave. L’occupation a dépassé la ligne verte. Surtout, on constate selon ses propres termes un «affaissement de l’esprit public», un manque de sensibilité généralisé pour ce qui arrive aux Palestiniens mais aussi aux réfugiés, aux immigrés. Cela se sent à la lecture des journaux. On vit bien à Tel Aviv et l’on refuse de voir ce qui se passe à quelques dizaines de kilomètres.
Pire encore, la parole s’est vraiment libérée, et elle n’est pas toujours belle à entendre. Des tentatives de législation douteuses défraient la chronique.
La diaspora refuse d’admettre la réalité de ce sombre tableau et renvoie ces discours à un clivage droite-gauche, ce qui n’a pas de sens pour analyser le processus de paix. Heureusement, le pays est encore debout grâce à une presse et un système juridique efficaces, et les élections sont respectées.
Elie Barnavi affirme en être arrivé au point où la paix ne l’intéresse plus tellement. Israéliens et Palestiniens sont incapables d’aboutir d’eux-mêmes à un arrangement raisonnable. La paix doit être imposée ou elle n’aura pas lieu.
Or, la visite de Kerry a été un «coup d’épée dans l’eau». Pour avancer, il faut un vrai plan américain, qui soit à prendre ou à laisser, avec un vrai prix à payer pour celui qui refusera de s’y soumettre. La seule solution est d’aboutir à des accommodements raisonnables.
Pour Elie Barnavi, le vrai problème demeure l’occupation. C’est le plus urgent, le plus douloureux et surtout le plus dangereux. L’occupation condamne Israël s’il n’y est pas mis fin.
Toutefois, on ne peut parler d’apartheid à propos de la situation d’Israël; il s’agit d’un abus de langage, bien que l’on risque d’y arriver en poursuivant l’occupation.
Aujourd’hui, une majorité d’Israéliens est prête à accepter ces accommodements raisonnables, ces sacrifices nécessaires pour aboutir à une solution viable. Si le processus est bloqué, il s’agit donc d’un problème de gouvernement mais pas d’un problème d’opinion; un problème lié au système et à la politique interne.
C’est pourquoi le coup de fouet doit venir de l’extérieur. Un vent de panique souffle en Israël quand il y a un fossé trop profond entre Jérusalem et Washington. Et Israël ne peut se couper économiquement et commercialement de l’Europe, qui est ainsi un levier très utile.
En ce qui concerne Gaza, Elie Barnavi estime qu’Israël est infiniment mieux sans un territoire qui représentait une saignée quotidienne, même si le retrait aurait pu être effectué autrement. Sharon n’a pas voulu négocier avec l’Autorité Palestinienne, il voulait quitter la bande de Gaza en en faisant un acte de souveraineté israélienne. Au même moment, Sharon a également quitté deux colonies du nord de la Cisjordanie. Sharon était au début d’un processus, d’une dynamique qui aurait sûrement permis d’avancer vers une solution de paix viable, aujourd’hui au point mort.
En bref, une situation aussi catastrophique mériterait une «action ininterrompue de sauvetage», des manifestations quotidiennes.
Il est surtout regrettable que toute critique d’un gouvernement absurde passe pour une attaque de l’Etat juif. Il est temps de se mobiliser pour aider Israël à se sauver de lui-même. Sheldon Adelson (milliardaire américain, proche des Républicains) a bien gaspillé des fortunes pour tenter de faire élire Mitt Romney, et a contraint le gouverneur du New Jersey a présenter des excuses publiques pour avoir osé évoquer la situation des territoires palestiniens. Il faut agir de manière aussi influente en Europe, mais pour la paix et la fin de l’occupation.
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, va dans le même sens qu’Elie Barnavi. Il constate qu’il n’y a aucune motivation interne en faveur d’une solution à long terme, surtout s’il y a un prix à payer. Le pays va bien, Tel Aviv est une bulle et l’on évite de penser à l’avenir.
Hubert Védrine revient sur les révoltions arabes, soutenues avec enthousiasme et beaucoup de naïveté en Europe mais qui, du point de vue d’Israël, ont représenté une menace. Elles ont contribué à démontrer que le «monde arabe» était constamment en fusion, ingérable voire dangereux pour beaucoup. Assad père et fils n’étaient pas spécialement gênants pour Israël. En outre, les pourparlers en vue d’un accord Iran-USA inquiètent aujourd’hui, surtout que Rouhani et Obama semblent déterminés.
Contrairement à ce qu’estime Elie Barnavi, pour Hubert Védrine il n’y a rien dans le contexte international qui permette de donner de l’impulsion au processus de paix, il n’existe aucun levier extérieur réel.
L’Europe n’est pas une force politique en tant que telle et n’est surtout pas en position d’imposer ses vues. On constate une paralysie des initiatives européennes pour la paix, et la fin d’un discours politique français qui osait se montrer critique envers les Israéliens. Les Européens ont aujourd’hui peur de ce sujet qu’ils évitent soigneusement.
La Russie, elle, a seulement un pouvoir de nuisance et subit en outre l’influence des Juifs russes plutôt intégristes. Les autres pays ne s’intéressent pas vraiment au problème.
Personne au monde n’est réellement capable de faire pression sur Israël. Dès lors, il faut que l’impulsion vienne de la société israélienne elle-même.
JCall demeure un point de vue minoritaire mais courageux et intelligent.
Alain Finkielkraut commence son intervention en rappelant le caractère militant de JCall. Un militant est censé être porté par l’espoir; or ce n’est pas vraiment la tonalité de la réunion, souligne-t-il plaisamment. Lui-même est plutôt désespéré, ou du moins découragé. Il a le sentiment de devoir se battre sur deux fronts sans aucun résultat.
Le premier front est l’Europe, et la France en particulier, où l’image d’Israël ne cesse ne se dégrader – et pas seulement, selon lui, à cause de l’occupation. Alain Finkielkraut estime qu’Israël est visé dans son existence même, dans sa spécificité d’Etat juif. Ce caractère particulier irrite la sensibilité de certains mondialistes, ou plus généralement d’individus qui se prévalent de plusieurs identités.
A ce sujet, Alain Finkielkraut évoque un article datant d’une dizaine d’années où Tony Judt définissait Israël comme «un anachronisme», en raison du critère ethnico-religieux choisi pour définir les citoyens juifs. Israël est alors considéré comme un «ethno-Etat» agressivement intolérant.
Pour Alain Finkielkraut, les campagnes de boycott à l’encontre d’Israël s’inspirent de ce type de rhétorique et de ce sentiment d’animosité généralisé. Le mot de «sioniste» paraît ignominieux, mal-famé; il devient toujours plus difficile de déclarer que l’on a de l’affection pour le projet sioniste.
Le multiculturalisme en Europe a conduit au conflit, à la violence et même à un vrai choc des civilisations. Les Juifs, grâce à leur identité forte, sont la première cible de ce choc des civilisations.
Le deuxième front évoqué par Alain Finkielkraut concerne Israël. Le mouvement La Paix Maintenant est né en 1978, et le nom même ce ce mouvement signifiait l’urgence. C’est aujourd’hui un «vieux maintenant». En 1996 déjà, Shimon Pérès avait déclaré: «We are running out of time». Entre-temps, rien n’a été fait. Aujourd’hui, le gouvernement israélien est «le plus anti-sioniste qui soit» et mène le pays sur une voie négative qui conduit à la violence et à l’apartheid. Nous avons plus que jamais besoin, conclut Alain Finkielkraut, d’un «optimisme de la volonté».