Avec le recul nécessaire, et la déception passée, il est possible de tirer un certain nombre d’enseignements des élections israéliennes.
Tout d’abord, et malgré tous nos espoirs de voir les sondages préélectoraux contredits, la victoire du bloc de droite (Likoud, partis d’extrême droite et orthodoxes) était attendue. Comparée aux élections de 2015, ce bloc s’est même affaibli, passant de 67 à 65 députés. Si on rajoute les 256 000 voix perdues qui se sont portées sur deux listes d’extrême droite (« La nouvelle droite » de Bennett et Shaked et « Identité » de Feiglin), qui n’ont pas réussi à passer le seuil minimal de 3,25 % des voix exprimées, il y a une relative stabilité du corps électoral.
Mais il est indéniable que Netanyahou a réussi son pari de voir le Likoud arriver en tête des suffrages. Il a pris pour cela le risque de siphonner les voix des partis qui se présentaient à sa droite, en menant dans les derniers jours une campagne « Gewalt » (1) pour pousser au vote utile des électeurs de droite. Ce qui explique la perte de voix enregistrée par Koulanou (centre-droit) qui passe de 10 à 4 députés ou la disparition du nouveau parti créé par Bennett et Shaked, né d’une scission du Bait Hayehoudi (Le Foyer juif). Netanyahou a même poussé ce qui restait de ce parti à fusionner avec le parti Otzma yehudit (Puissance juive), un parti kahaniste (2), pour constituer l’Union des partis de droite qui obtient 5 députés dont, pour la première fois depuis leur exclusion de la Knesset en 1988, des députés Kahanistes. Quant à la progression des deux partis orthodoxes (Le Shas et le Judaïsme unifié de la Torah) qui passent ensemble de 13 à 16 députés, elle est le reflet de leur croissance démographique dans le pays.
Et malgré le soutien de Trump et de Poutine à Netanyahou, une campagne très agressive menée contre son adversaire principal, l’ancien chef d’état-major Benny Gantz, faite de « Fake-News » et d’attaques personnelles, et l’inexpérience politique de ce dernier, le Likoud ne devance la liste centriste Bleu-Blanc conduite par Gantz que de moins de 15 000 voix sur les 4 309 270 votes exprimés.
Il est vrai qu’au centre et à gauche on a assisté au même phénomène de vote utile : beaucoup d’électeurs travaillistes et du Meretz ont reporté leurs voix sur la liste Bleu-Blanc, espérant ainsi battre Netanyahou ; le parti travailliste obtenant le plus mauvais score de son histoire avec seulement 6 députés et le Meretz ne réussissant à passer le seuil électoral avec 4 députés que grâce au vote des Arabes qui lui ont apporté 40 000 voix sur les 156 362 qu’il a obtenues. Il faut rappeler que parmi les 5 candidats éligibles du Meretz, il y avait un arabe et un druze. Les Arabes, qui votent généralement moins que les Juifs, se sont plus abstenus que d’habitude. La liste arabe unie, qui avait réussi en 2015 à faire entrer à la Knesset 13 députés, s’était scindée en deux listes qui cette fois n’obtiennent ensemble que 10 députés. Leurs électeurs se sont plus abstenus cette année pour, selon certains commentateurs, punir « leurs députés » de ne pas suffisamment les défendre à la Knesset et surtout pour manifester leur défiance à l’égard d’un État qui ne leur reconnait pas les mêmes droits que les Juifs, suite au vote de la loi État-nation.
Mais au-delà de ces chiffres, il faut analyser ces résultats en n’oubliant pas que ces élections ont été un référendum pour ou contre Bibi. L’entrée en politique de personnalités comme Benny Gantz ou Gabi Ashkenazi, un autre ancien chef d’état major, leur ralliement à Moshé Boggie Yaalon, également un autre ancien chef d’état major et ancien ministre de la défense de Netanyahou, et Yaïr Lapid pour constituer la liste Bleu-Blanc, n’avaient comme seul objectif que de constituer une alternative centriste, crédible sur les plans sécuritaire et moral, afin d’attirer les électeurs de droite qui auraient pu avoir des réticences à voter pour Netanyahou, compte tenu des affaires de corruption dans lesquelles il est impliqué. Et ce pari n’a pas réussi. Cet échec en dit long sur l’état de la démocratie israélienne et c’est très inquiétant. Sans en revenir à l’année 1976 où Yitzhak Rabin avait démissionné de son poste de Premier ministre parce que sa femme avait oublié de clôturer un compte bancaire en dollars qu’elle détenait aux États Unis – ce qui était alors interdit par les règles monétaires israéliennes-, un autre Premier ministre, Ehoud Olmert, avait décidé de lui-même de démissionner en septembre 2008 parce qu’il était mis en cause dans différentes affaires de corruption. Le chef de l’opposition d’alors, un certain Benjamin Netanyahou, l’avait plus d’une fois apostrophé depuis le podium de la Knesset pour exiger sa démission. Alors qu’aujourd’hui le même Netanyahou, pour lequel le conseiller juridique au gouvernement, sous recommandation de la police après enquêtes, a demandé la mise en instruction judiciaire sur 3 dossiers avec de lourdes charges, s’apprête à dépasser la longévité de Ben Gourion comme chef du gouvernement, avec le soutien d’une majorité de la population.
Alors que les négociations en vue de former la future coalition viennent seulement de commencer, Bezalel Smotrich, le leader de l’Union des partis de droite, qui brigue le poste de ministre de la justice, a déjà annoncé qu’il demanderait le vote d’une loi garantissant l’immunité parlementaire rétroactive pour le Premier ministre et tous les autres députés qui risquent d’être inculpés dans des affaires de corruption. Que promettra Netanyahou à ses futurs alliés en échange ? Une annexion, sans doute dans le cadre du « deal du siècle » de son ami Trump, de la partie de la Cisjordanie où se trouvent les implantations, soit tout ou partie de la zone C qui représente 60 % de la Cisjordanie ? Si tel était le cas, cela mettrait fin définitivement à la solution des deux États.
Signe des temps en cette semaine de Pessah, où l’on rappelle dans chaque famille le soir du seder en lisant la Haggadah les évènements fondateurs du peuple juif, à savoir la sortie d’esclavage d’Egypte et la réception de la Loi sans laquelle un peuple ne peut pas être libre, de constater à quel point Israël risque de s’écarter des fondements de la démocratie imaginée par ses pères fondateurs si l’on en arrivait à exonérer un Premier ministre de ses inculpations.
Si cela venait à arriver, nous nous mobiliserons pour soutenir les nombreux Israéliens qui ne manqueront pas de s’opposer à cette dérive. Et avec beaucoup d’autres organisations juives dans le monde, nous manifesterons également notre opposition si le prochain gouvernement devait s’engager à annexer unilatéralement une partie de la Cisjordanie parce que, le faisant, il conduirait à la fin, à plus ou moins long terme, du projet sioniste d’un État juif et démocratique !
Pessah est la fête de la liberté. Israël ne sera jamais libre tant que l’occupation continuera.
Nous vous souhaitons à vous et vos proches des bonnes fêtes de Pessah. Hag sameah
(1) mot yiddish et allemand « violence » et que l’on retrouve à travers l’expression yiddish « Oï Gewalt » annonciatrice d’un grave danger
(2) du nom du rabbin Méïr Kahana, rabbin annexionniste et raciste qui avait été élu en 1984 et dont le parti avait été exclu en 1988 suite au vote d’une loi portant son nom.