Cet article de Daniel Shek, ancien ambassadeur d’Israël en France, a été publié le 3 mars 2015 par l’édition française du média israélien en ligne i24news
La transformation de la menace nucléaire iranienne d’une question israélienne en un enjeu international est considérée comme l’un des succès les plus importants de la diplomatie israélienne.
Mobiliser les grands acteurs internationaux, avec leur force militaire, économique et diplomatique, semblait un énorme défi il y a dix ans. Mais c’était le seul moyen réaliste de combattre ce qui est considéré, à juste titre, comme une menace majeure pour Israël. Faire partie d’une coalition a toutefois un prix, puisque vous ne décidez pas de tout en dernier ressort.
Sans coalition, il aurait cependant été impossible de réellement faire pression sur l’Iran, de prendre des sanctions à son encontre et de représenter une réelle menace militaire.
En raison d’une série d’erreurs grossières, tout cela est maintenant en grande partie compromis. Israël se retrouve à nouveau isolé du reste du monde, y compris de l’administration des États-Unis. L’Iran, de son côté, ne pourrait rêver mieux.
Un accord entre l’Iran et la coalition internationale, représentée par le groupe des 5 + 1, est encore loin d’être conclu, mais les détails qui ont émergé jusqu’ici ne sont pas prometteurs. Le projet ne permet pas aux Israéliens d’être rassurés à long terme et il ne devrait pas satisfaire davantage les autres acteurs, au Moyen-Orient comme ailleurs, qui se soucient vraiment de la stabilité dans la région.
Dans la vie tout est question de faire des choix entre des alternatives, et être suffisamment avisé pour considérer uniquement celles qui sont réalistes. Une intervention militaire israélienne sans soutien américain n’est pas l’une d’elles, ni un accord qui réduirait le programme nucléaire iranien à néant. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il faut cesser d’espérer une amélioration de l’accord avec des changements dans un certain nombre d’aspects. Une fois que nous avons établi ces prémisses, nous pouvons poser la simple question: le Premier ministre Netanyahou a-t-il adopté la stratégie la plus efficace afin d’influencer les Etats-Unis à poursuivre leurs efforts pour améliorer l’accord? Est-ce que prononcer son discours devant le Congrès va y contribuer? Selon la sagesse populaire, il faut cultiver ses relations à long terme afin de pouvoir en récolter les fruits pour les temps difficiles. Eh bien, en ce moment, les temps sont difficiles et malheureusement, la relation avec ceux qui comptent est en ruine et les relations restantes ne comptent pas ou, du moins, ne comptent pas assez.
Avec le recul, était-il sage de soutenir l’adversaire d’Obama aux dernières élections? Était-ce sage de nous l’aliéner en le confrontant constamment sur des questions beaucoup moins cruciales que celle-ci, comme par exemple avec la question des implantations? Était-ce une bonne idée de conspirer avec la majorité républicaine au Congrès derrière le dos du président? Et d’ailleurs, cela nous a-t-il aidés de négliger les relations avec les dirigeants européens, qui ont également un rôle central dans ces négociations? Ou encore d’ignorer les opportunités de coalitions régionales et d’arrangements sécuritaires?
Cette attitude de confrontation envers le président a réduit la capacité d’Israël à influencer le résultat de l’effort international visant à restreindre les ambitions nucléaires de l’Iran. Il faut dire la vérité, c’est sous le mandat de Netanyahou que Téhéran a le plus développé ses capacités nucléaires militaires. Même s’il n’est pas le seul qu’il faut blâmer, Netanyahou n’est pas en très bonne posture pour jeter la pierre aux autres. L’homme qui vénère tant les mots a tout misé sur un discours. Ce sera un grand discours et il sera applaudi à tout rompre. Mais cela ne fera aucune différence au bout du compte
Dans le meilleur des cas, ce qui a dû se passer est que Bibi a vu qu’un accord allait être conclu et, sachant qu’il n’avait aucune influence sur l’administration, il a paniqué (ce ne serait pas la première fois) et a été tenté par l’option du Congrès. Le pire des cas serait que, par opportunisme électoral, il a saisi l’opportunité d’une superbe photo de campagne électorale, compromettant de façon cynique le plus vital atout stratégique d’Israël comme si demain n’existait pas.
Le problème, c’est qu’il y a un lendemain et il n’est pas seulement composé de la menace iranienne. Presque tous les aspects de l’existence et de l’avenir d’Israël comportent un angle américain. L’atout majeur de la relation spéciale avec les États-Unis a toujours été son ADN bi-partisan. En forçant les démocrates à choisir entre leur loyauté envers Israël et leur fidélité à leur président, le Premier ministre a compromis cet aspect de la relation israélo-américaine. Il l’a politisée à la fois en Israël et aux États-Unis. Heureusement, cette relation est profondément ancrée dans la société américaine et pourra probablement s’en remettre. Cependant, il ne faudrait pas trop y compter tant que Netanyahou et Obama seront au pouvoir.
Une fois que les mots, brillamment écrits et prononcés, se seront estompés et que les “standing ovation” se seront rassises, je crains que le discours de Netanyahou reste inscrit dans l’Histoire comme ayant été son succès le plus inutile.