Bernard-Henri Lévy avait pris position contre la résolution 2334 du Conseil de sécurité dans son Bloc-notes sur le site de la Règle du jeu. Je lui réponds :
Cher Bernard
Oui, cher Bernard, tu as raison dans ton article « Israël, Obama et les Nations Unies » de t’en prendre en premier lieu à cette enceinte des Nations Unies qui « n’ont de cesse, depuis des décennies, de condamner, diaboliser, ostraciser Israël ». L’ancien secrétaire général Ban Ki-moon en a convenu lui-même dans son discours d’adieu le 18 décembre dernier, devant le Conseil de sécurité, où il déclarait que «des décennies de manœuvres politiques ont créé un nombre disproportionné de résolutions, de rapports et de comités contre Israël».
Tu as également raison de t’indigner en écrivant que « les mêmes mains qui se sont levées pour condamner la politique israélienne dans les territoires n’ont pas été capables de le faire quelques jours plus tôt pour arrêter le massacre d’Alep ».
Il est malheureusement vrai que la communauté internationale brille trop souvent par son absence et son manque de volonté face aux tragédies et aux guerres qui ensanglantent notre planète, ces conflits qui sont beaucoup plus meurtriers que le « nôtre » : ce vieux conflit israélo-palestinien auquel, génération après génération, tous les leaders du monde ont fini par se résigner, impuissants, en venant à le considérer presque comme une calamité naturelle, un volcan qui de temps à autres passe par des phases éruptives.
Mais est-ce parce que la communauté internationale est défaillante qu’il faut condamner les rares initiatives qu’elle prend, surtout quand elle le fait dans l’intérêt des premiers concernés ? Car de quoi parle-t-on au juste ? Quel est l’objet de cette résolution du Conseil de sécurité que tu récuses et qui est tant décriée par le gouvernement israélien – bien qu’elle reconnaisse la légitimité d’Israël dans les frontières de 1967 et le principe de modification de leur tracé par “voie de négociations”? Il s’agit tout simplement de sauver la solution à deux États, ceux d’Israël et de la future Palestine. Cette même solution dont tu es, et a toujours été, un indéfectible partisan, cette solution dont les contours ont été dessinés lors de cet accord de Genève que tu as ardemment soutenu en 2003. Mais cette solution qui risque bientôt de ne plus pouvoir être mise en œuvre.
En effet depuis 2003, sur le terrain, la situation ne cesse de se dégrader. Le nombre des Israéliens installés en Cisjordanie – hors Jérusalem et ses 200 000 Israéliens habitant dans les nouveaux quartiers construits dans la partie Est de la ville – est passé de 231 800 à 385 900 en 2015, soit 13 % de la population de ce territoire. Tu condamnes, certes, sans ambiguïté cette politique d’expansion continue des implantations. Mais tu penses aussi que l’on n’est pas encore arrivé à un point de non retour parce que la majorité de cette population vit le long de la frontière de 1967, dans ces « blocs de colonies » qui devraient être rattachés à Israël dans le cadre d’un accord basé sur des échanges de territoires pour tenir compte de la nouvelle réalité démographique depuis 1967. Il est vrai que cette idée, qui était déjà au cœur du plan de Genève, reste toujours théoriquement possible. Mais n’oublions pas qu’elle repose sur les deux principes suivants pour pouvoir, le jour venu, être réalisable :
- Le futur État palestinien devra être établi sur un territoire qui devra représenter 22 % de celui de la Palestine mandataire. Si les Palestiniens consentent en effet à des modifications de frontières, ils ont toujours exigé de récupérer l’équivalent de ces 22 % qui correspondait à celui de la Cisjordanie, Jérusalem Est et la bande de Gaza après 1948.
- Les échanges de territoire devront se faire sur la base de 1 pour 1, sans tenir compte de la valeur immobilière du terrain – celui sur lequel par exemple ont été construits les nouveaux quartiers juifs à Jérusalem Est sera équivalent à celui du Negev jouxtant la bande de Gaza .
Je ne retiens pas le scénario prôné par Lieberman d’échanger territoire et population, en donnant au futur État palestinien la zone du « triangle » limitrophe à la Cisjordanie en compensation de la conservation de ces blocs de colonie. Outre les problèmes éthiques, politiques et juridiques qu’il pose – voir un État destituer de leur nationalité une partie de sa population entrainerait sans aucun doute une levée de bouclier internationale – ce scénario se heurterait à l’opposition de la quasi-totalité de la population arabe israélienne concernée, risquant de provoquer une véritable guerre civile.
Mais cette notion de « blocs de colonie » n’est pas la même pour tout le monde en Israël. Il est nécessaire de préciser que dans ceux-ci ne sont pas pris en compte les quartiers juifs créés dans Jérusalem Est qui, dans tous les cas de figure, resteraient israéliens et seraient comptabilisés dans le territoire à échanger.
Il y a une version minimaliste qui n’est pas loin de celle du plan de Genève, ne prenant en considération que les implantations construites à proximité de la ligne verte. Elle permettrait d’intégrer au territoire israélien de 3 à 4 % de la Cisjordanie, ce qui permettrait de maintenir de 75 à 80 % des Israéliens sur place et ramènerait la future frontière entre Israël et l’État palestinien à 450 Kms ou un peu plus selon le pourcentage retenu – Rappelons que celle de la ligne verte est de 313 Kms. Dans ce scénario il faudrait quand même déplacer de 80 000 à 100 000 Israéliens et trouver de 3 à 4 % de territoire israélien à donner en échange.
L’idée que tu avances de maintenir une partie d’entre eux dans le futur État palestinien pour qu’ils y constituent une minorité nationale, à l’instar de la minorité arabe en Israël, peut paraitre séduisante théoriquement, sauf qu’elle se heurte à trois difficultés majeures :
- La plupart des Israéliens potentiellement concernés par ce scénario se trouvent être les plus ardents partisans de l’annexion et souvent les plus extrémistes. Il est donc difficilement imaginable de concevoir qu’ils puissent accepter de prendre la nationalité palestinienne pour rester vivre en Judée et Samarie.
- Leur présence profondément à l’intérieur du territoire palestinien poserait un problème sécuritaire majeur qui contraindrait, sans doute, l’armée à y maintenir des forces bien plus supérieures à celles discrètes qu’Israël exigerait de conserver, notamment dans la vallée du Jourdain, pour contrôler les frontières extérieures. Il est évident que cette contrainte serait difficilement compatible avec un État palestinien indépendant.
- Dans ce cas, les Palestiniens pourraient être enclins à demander en compensation un territoire équivalent à celui représenté par ces implantations israéliennes qui resteraient au sein de leur État, même avec un statut, pour sa population, de minorité nationale ; ce qui augmenterait d’autant le territoire israélien d’avant 1967 à leur donner.
Il y a des scénarios beaucoup plus maximalistes qui intégrerait dans ces blocs les « deux doigts » d’Ariel et de Kedumim situés respectivement à 21 et 23 Kms de la ligne verte. Un tel scénario non seulement allongerait considérablement la frontière entre les deux États, mais surtout il couperait en deux la Cisjordanie, rendant impossible la constitution d’un État palestinien viable et continu. Je te rappelle que dans toutes les négociations qui ont eu lieu jusqu’à présent les Palestiniens n’avaient accepté d’échanger au plus que 2% du territoire.
Et il y enfin le scénario proposé aujourd’hui par Bennett, le leader du parti Habayit hayehoudi, qui propose d’annexer la zone C soit 60 % de la Cisjordanie – les accords d’Oslo ont divisé la Cisjordanie en 3 zones : la zone A sur 20 % du territoire qui comprend essentiellement les villes palestiniennes et est sous administration civile et militaire palestinienne, la zone B sur 20 % avec les villages palestiniens et qui est sous administration civile palestinienne et militaire israélienne et la zone C sur 60 % sous administration civile et militaire israélienne et où se trouvent les implantations israéliennes. Ce scénario a du point de vue de Bennett le mérite d’écarter la menace démographique palestinienne parce que seulement 75 000 d’entre eux y vivent. Mais ce dernier se garde bien de dire que la future frontière serait de 1800 Kms et que cela nécessiterait de démanteler la barrière de sécurité, dont le coût a été de 4 milliards de $, et qu’il faudrait en reconstruire une nouvelle pour un coût de 27 milliards $, auxquels s’ajouteraient 4 autres milliards pour sa maintenance annuelle, sans parler des expropriations indispensables de terrains privés palestiniens.
Je sais bien que ce scénario n’est pas le tien. Mais si on veut vraiment sauver la solution des deux États nous ne pouvons plus rester dans des généralités et il nous faut être précis dans les positions que nous défendons. C’est pour cela que nous avons décidé avec JCall de soutenir cette résolution 2334 du Conseil de sécurité- prise ne l’oublions pas avec le soutien de pays dont l’amitié avec Israël ne peut être mise en doute, comme la France, la Grande Bretagne et l’accord tacite des Américains. Elle a le mérite de demander aux Israéliens : Quel État voulez-vous ? Si la réponse à cette question ne revient qu’à ces derniers, elle concernera par ses conséquences tous les Juifs de diaspora, qui, comme nous, sont attachés indéfectiblement à cet État. Nous le savions déjà quand nous avions ensemble lancé l’appel de JCall en 2010. Et l’absence de réponse – qui est de facto celle des dirigeants actuels israéliens en maintenant un statu quo avec lequel ils s’accommodent – est aussi une réponse parce qu’elle conduit inéluctablement, à plus ou moins long terme, aux deux éventualités de l’alternative que nous refusons, à savoir l’État binational ou l’État apartheid. Cette question est certainement la question existentielle la plus importante pour notre génération de juifs, nés après la Shoah, contemporains de ce miracle qui est la résurrection d’Israël. Et si aucune réponse n’y est apportée, elle ne sera sans doute plus d’actualité pour les générations à venir. C’est pour cela que nous n’avons pas le droit de l’esquiver.
David Chemla