-CHRONIQUES POUR LA PAIX –
ÉLIE BARNAVI INTERWIEVÉ PAR PAUL OUZI MEYERSON SUR RADIO SHALOM (94,8 FM)
C’est la rentrée, les activités politiques repartent avec la reprise des travaux parlementaires, en Israël les députés de la Knesset vont se retrouver. A leur ordre du jour, il y a l’adoption du projet de «Réforme de la justice» qu’une majorité de citoyens du pays considèrent comme étant, au mieux, un «changement de régime», au pire, un «coup d’état». C’est pour cela qu’ils manifestent par dizaines de milliers contre lui, depuis huit (8) mois, chaque semaine, dans toutes les villes d’Israël.
Certes, le projet inquiète, mais ce malaise exprime un refus plus général du gouvernement dirigé par Netanyahou et les idées, les valeurs, que ses ministres véhiculent. Donc, il y a de fortes tensions politiques et sécuritaires à l’intérieur du pays, en Judée et Samarie aussi et sur la frontière nord avec le Hezbollah en embuscade. Dans ces conditions, quels pourraient être les scénarios de la rentrée ? Reprise des manifestations de masse ? Recherche d’un consensus national ? Éclatement de la coalition gouvernemental ? Accélération de l’Intifada rampante dans les Territoires palestiniens ? Nous allons le demander à une personnalité que beaucoup d’entre nous connaissent : ÉLIE BARNAVI
ÉLI BARNAVI a été ambassadeur d’Israël en France, universitaire il a dirigé le centre d’études internationales à Tel-Aviv, historien et écrivain il est l’auteur de nombreux ouvrages dont une «Histoire moderne d’Israël» et une “Histoire universelle des Juifs ». ÉLI BARNAVI est directeur scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles.
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Note de la Rédaction : Nous publions ci-dessous un extrait de l’article d’ÉLIE BARNAVI intitulé “Le temps des zélotes”, publié par la revue “Regards” du Centre Communautaire Laïc Juif (Bruxelles). Dans ce texte, l’ancien ambassadeur d’Israël, reprend l’essentiel des idées développées lors de son interview à “Chroniques pour la paix”. (cliquer ici pour lire tout l’article dans la revue “Regards”)
..”Mais pourquoi, dira-t-on, un gouvernement issu d’élections démocratiques n’aurait-il pas le droit de réaliser le programme sur lequel il a été élu ? D’abord, parce que rien dans son programme n’annonçait la couleur et qu’une forte majorité d’Israéliens, y compris parmi ceux qui ont porté cette coalition aux affaires, n’en veut pas. Mais surtout, parce que, sous tous les cieux démocratiques, des changements constitutionnels ne sont légitimes qu’au terme d’un processus législatif long et compliqué, apte à véritablement exprimer la volonté populaire. En France, par exemple, il y faut un texte identique voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, après quoi les deux chambres réunies en parlement à Versailles sont appelées à le ratifier. Aux États-Unis, pour amender la Constitution il faut l’approbation des deux tiers des deux chambres ainsi que les trois quarts des législatures des États de l’Union. En Israël, les lois dites « fondamentales » ont le même statut que les lois simples et sont amendables à une voix de majorité.
Cette crise de régime est aussi une crise socioculturelle, voulue et attisée par Netanyahou est ses acolytes. Disons, pour simplifier, qu’elle met face à face les classes moyennes et supérieures, et le bloc disparate des partisans du Premier ministre – le noyau dur des «bibistes», qui ont noyauté le Likoud ; les ultra-orthodoxes ; et les sionistes religieux. Chacun de ces segments soutient le coup judiciaire au nom de ses intérêts propres : les premiers par fidélité au chef et haine des «élites», les seconds pour bétonner leur autonomie au sein de la société, notamment en exemptant une fois pour toutes leur progéniture du service militaire, et les derniers pour assurer leur emprise sur la «Judée-Samarie». Cependant, le judiciaire n’est qu’un aspect de la crise. C’est l’ensemble de la civilisation démocratique libérale qui se trouve dans le collimateur. On entend ici dans les corridors du pouvoir des propos sur les femmes, les Arabes, les minorités sexuelles, qui, en Europe, vaudraient à leurs auteurs de se voir traîner devant les tribunaux. Et la place me manque pour rendre compte des mesures législatives ou administratives racistes qui se suivent à jet continu.
C’est, enfin, une crise économique, sécuritaire et diplomatique. Le shekel s’effondre, les capitaux s’expatrient, 80% des start-ups créées ces derniers mois dans les hautes technologies, la fierté du pays et son moteur économique, se sont enregistrées aux États-Unis, la fuite des cerveaux s’accélère. Une caricature récente résume la situation : dans un avion d’El Al, une hôtesse demande s’il y a un médecin à bord ; tout le monde lève la main. Par milliers, les réservistes volontaires dans des unités d’élites – pilotes, officiers des commandos et des renseignements, haut-gradés des services – annoncent qu’ils refuseront dorénavant d’obéir à un gouvernement qui a rompu le contrat qui le liait à ses citoyens. Les ennemis d’Israël se frottent les mains. Les généraux, affolés, supplient Netanyahou de les entendre, celui-ci se bouche les oreilles et ses alliés les couvrent publiquement d’injures. Les relations avec les Américains, dont notre sécurité dépend, sont au plus bas. Fait sans précédent, le Premier ministre est persona non grata à la Maison Blanche et des voix s’élèvent au sein du Parti démocrate pour une «réévaluation» des relations avec Israël. En l’espace de huit mois, un pays puissant, prospère, respecté dans le monde et en bonne voie d’insertion dans son environnement, est en train de devenir méconnaissable, et son gouvernement, un ramassis de parias internationaux.
La divine surprise est l’étonnante réaction de la société civile. Huit mois durant, semaine après semaine, jour après jour désormais, du nord au sud du pays, des dizaines de milliers d’Israéliens hurlent à l’unisson leur rejet du coup d’État judiciaire d’un gouvernement de voyous qui a déclaré la guerre aux forces vives de son propre peuple. Si tous ne comprennent pas les subtilités juridiques de la «réforme», tous sentent au plus profond d’eux-mêmes qu’on entend les priver de leurs libertés”…