Analyse élections : “stop ou encore ?”

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 Mardi 30 mars 2021 par Frédérique SCHILLO, twitter@FredSchillo

Centre Communautaire Laïc Juif (Bruxelles)

Les résultats définitifs des élections étant maintenant connus, quels enseignements tirer de ce scrutin ? Israël peut-il sortir de l’impasse ? Réponse en cinq points qui dévoilent des tendances, certaines très positives pour l’avenir de la politique israélienne

 

Ce 23 mars, les Israéliens se sont rendus aux urnes pour la quatrième fois en moins de deux ans avec un enthousiasme étonnant (67,3% de participation) au vu des scrutins à répétition et de la pandémie. Une fois encore, l’élection avait des allures de référendum pour ou contre Netanyahou. Et une fois encore, c’est le « Non » qui l’a emporté (54%). Cependant, ni les opposants au Premier ministre ni lui-même ne semblent capables d’atteindre les 61 sièges pour former une coalition. Le bloc anti-Netanyahou totalise 57 sièges ; le bloc pro-Netanyahou 52. Restent deux non-alignés : le parti de droite Yamina (7) et le parti islamiste Raam (4). Le blocage paraît si total qu’un cinquième scrutin est déjà dans tous les esprits. Alors, stop ou encore ?

D’emblée, un constat s’impose : le blocage est du en grande partie à la présence de Netanyahou, dont la stature écrasante polarise la vie politique depuis 12 ans (un record en Israël). Pour reprendre l’image d’Amos Harel dans Haaretz, Netanyahou est pareil au cargo géant bloquant le canal de Suez ; qu’il se retire de la vie politique et une coalition se dégagera aussitôt. La droite est en effet largement majoritaire avec 72 sièges. Cependant si Netanyahou s’accroche tant au pouvoir c’est qu’à la différence de ses rivaux il ne joue pas seulement son avenir politique, mais sa liberté : inculpé dans trois affaires pour corruption, fraude et abus de confiance, il pourrait être condamné à la prison au terme de son procès, dont les audiences reprendront le 5 avril. Un nouveau mandat est pour lui la promesse de former un gouvernement d’immunité qui fera adopter une « loi française » (en référence à l’immunité dont jouit le Président de la République) et torpillera les pouvoirs de la Cour suprême. Une perspective qui s’éloigne néanmoins vu l’éventail des listes avec lesquelles il devra composer.

Le blocage du système israélien s’explique aussi pour beaucoup par la fragmentation des partis. Or, c’est le deuxième constat : la 24e Knesset est encore plus divisée. Elle compte 13 partis contre 8 auparavant. Cet émiettement s’explique notamment par la guerre des droites ayant opposé Netanyahou à son ex-allié Gideon Saar (Nouvel espoir) et aux listes nationalistes emmenées par ses anciens proches Naftali Bennett (Yamina) et Avigdor Liberman (Israel Beitenou), ainsi qu’à la présence de l’extrême-droite qu’il a faite émerger (Parti Sioniste religieux). De l’autre côté du spectre politique, des divisions se font jour qui servent toutefois les partis grâce à la proportionnelle quasi-intégrale. Ainsi, Meretz et les Travaillistes font mieux séparés (13 sièges) qu’ensemble (7) à l’issue d’une campagne « Gevalt » où ils ont alerté leurs électeurs sur les risques de ne pas franchir le seuil électoral de 3,25% (l’un des plus bas du monde). Les Arabes désunis perdent en voix, mais Mansour Abbas à la tête du parti islamiste Ra’am se paie le luxe d’être le nouveau faiseur de roi.

Troisième enseignement : le Likoud sort très marqué par ce nouveau round électoral. Certes, il est aujourd’hui le premier parti d’Israël avec 30 sièges (1 066 595 voix), mais c’est 6 de moins qu’aux dernières élections. Netanyahou en attendait plus. Et il n’est pas le seul : beaucoup, subjugués par le succès de la campagne de vaccination, le donnaient grand gagnant. Or ni le vaccin dont il avait fait son thème de campagne (en s’attribuant le slogan du ministère de la Santé « Retour à la vie ») ni les Accords d’Abraham ne lui ont permis de faire la différence. Il a été incapable de compenser la perte des Likudnikim partis avec Saar. Pire, les 300 000 voix perdues proviennent de ses bastions du Sud (Ashkelon, Sdérot). Preuve de la grande fatigue des sujets du « Roi Bibi », que la reprise de son procès pourrait achever de lasser. A Jérusalem, il est devancé par les ultra-orthodoxes ashkénazes de Judaïsme unifié de la Torah, ses alliés traditionnels qui refusent désormais de le suivre automatiquement.

Car c’est le quatrième constat de ces élections : la stratégie de Netanyahou a enfanté d’un monstre. Pour marginaliser ses opposants de droite, il a favorisé l’extrême-droite juive au risque d’affaiblir les ultra-orthodoxes ; pour diviser les Arabes, il a encouragé les islamistes. Et cela a marché. En 1984 quand le rabbin extrémiste Meir Kahane était venu à la tribune de la Knesset, tous les députés Likoud avaient quitté la salle. Aujourd’hui, c’est Netanyahou qui fait entrer au Parlement le kahaniste Itamar Ben Gvir, grand admirateur de Baruch Goldstein, l’assassin du Caveau des patriarches. Son groupe Sioniste religieux emmené par Bezalel Smotrich, « fier homophobe » qui appelle à régir Israël « comme au temps du roi David », obtient 6 sièges. Fait marquant, il peut toujours compter sur les votes de Loubavitch (59% à Kfar Habad, le village fondé par le rav Schneersohn) mais désormais aussi d’ultra-orthodoxes (10% à Beitar Ilit et à Elad), signalant la droitisation des jeunes haredim. D’où la colère des ultra-orthodoxes ashkénazes, obnubilés par la gauche laïque, surpris de voir leur pouvoir menacés par les nationalistes d’extrême-droite.

Côté arabe, la stratégie de Netanyahou pour défaire la liste arabe, arrivée troisième il y a un an, a réussi. Logique quand on sait qu’elle rassemblait aussi bien des communistes que des islamistes. Mais il est allé plus loin. Lui, le concepteur de la loi Etat-nation, qui alertait sur le vote « en masse » des Arabes, s’est métamorphosé en « Abou Yaïr » pour séduire leur électorat. Certes, l’apport en voix est faible. Le Likoud empoche 881 votes à Nazareth, la plus grande ville arabe, où il avait le soutien du maire Ali Sallam. Mais le succès de Netanyahu est ailleurs : l’abstention dans la communauté arabe a bondi de 20 points (55%, le pire résultat depuis 20 ans) tant par désintérêt (plus besoin de se mobiliser contre les incitations racistes) que par découragement (face à la désunion arabe). L’entrée des islamistes à la Knesset est aussi son succès. Netanyahou leur a fait miroiter des postes, des budgets, une protection ; autrement dit tout ce qu’il offre déjà aux ultra-orthodoxes. Sa stratégie auprès de Sioniste religieux et Ra’am paraît insensée ? Elle est pourtant cohérente. Tous deux sont des conservateurs, classés à droite, et correspondent à l’axe identitaire qu’il a tracé depuis sa première campagne en 1996 où il se présentait sous le slogan « Netanyahou est bon pour les Juifs ». Reste que cette stratégie est non viable : chaque liste s’opposant à la présence de l’autre, le gain est faible, sinon nul.

Dernier constat, encourageant cette fois : les Arabes sont entrés de plain pied dans la vie politique israélienne et jamais ils n’ont été aussi prêts d’entrer au gouvernement. Pour obtenir une majorité, Netanyahu n’a d’autre choix que de débaucher ses opposants. Or, même en échange d’un ministère et du rôle de « sauveur de la nation » – celui qui empêchera la tenue de cinquièmes élections – leur ressentiment à son égard est tel que le réservoir de candidats paraît bien mince. Saar a perdu beaucoup (donné à 20 sièges, il en obtient 6), mais pas assez pour brader son honneur. Benny Gantz, qui contre toute attente fait 8 sièges avec Bleu-Blanc, refusera d’être à nouveau le dindon de la farce. Du côté du « bloc du changement », les négociations vont bon train, entamées dès vendredi par Yair Lapid, le chef du deuxième parti du pays (Yesh Atid, 17 sièges). Mais difficile pour une opposition réunie sous la bannière « tout sauf Bibi » avec des sensibilités aussi différentes que la droite annexionniste, le centre libéral et la gauche d’accepter les compromis nécessaires. Sans parler des querelles d’ego. Liberman (7 sièges) recommande Lapid, tandis que Bennett (7 également) se voit Premier ministre. Diverses combinaisons sont envisagées comme une rotation (encore !) ou un gouvernement minoritaire. Reste une option : Lapid avec Saar, Liberman et les deux partis de gauche obtiendrait 61 députés si les partis arabes acceptaient de le rejoindre. : obtiendrait 61 députés si les partis arabes acceptaient de le rejoindre dans le gouvernement ou de lui apporter un soutien de l’extérieur.

Une révolution, assurément, mais pas une surprise. En 2019 déjà, les partis arabes ont accompli un geste historique en recommandant Gantz au poste de Premier ministre. 76% de l’opinion arabe israélienne s’était alors prononcée en faveur d’une participation gouvernementale, ce qui témoigne d’une tendance de fond. Depuis, il y a eu la crise du covid-19, qui a rapproché Juifs et Arabes. Ces derniers ont gagné en visibilité (ils représentent 17% des médecins, ¼ des infirmiers et un pharmacien sur deux) tandis que les autorités sanitaires ont aidé les localités arabes (l’occasion d’être perçues autrement que sous l’angle répressif). Aujourd’hui, les Arabes israéliens veulent tout simplement plus d’intégration. A l’image des conditions demandées par Mansour Abbas pour soutenir Lapid : plus de sécurité, plus de police, des plans de développement pour les villes arabes, un changement de la loi Etat-nation. Ironie de l’histoire, l’avenir politique d’Israël reposerait donc entre les mains du leader du parti islamiste antisioniste. oseront-ils franchir le pas ?

Cliquer ici pour lire l’original de l’article publié par le CCLJ David Susskind (Bruxelles)

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