Danny Rubinstein est conférencier sur les questions arabes à l’Université Ben Gourion de Beer-Sheva ainsi qu’à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il est également spécialiste des questions économiques palestiniennes et tient une chronique dans le journal israélien « Calcalist ». Danny Rubinstein vient de publier cet article dans le média I24News (cliquer pour consulter le site web).
Au cours d’une rencontre avec des journalistes israéliens à Ramallah (mardi 22 avril 2014), la question a été posé au président Mahmoud Abbas (Abou Mazen) de savoir si l’accord qui se profile entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement du Hamas à Gaza ne serait pas un coup porté aux négociations avec Israël.
Abbas a donné trois réponses:
Tout d’abord, le Hamas n’est pas un mouvement étranger. Il est une partie intégrante du peuple palestinien et tout comme chez vous, dit Abbas, il y a des partis politiques divers avec lesquels on signe des accords (il a cité Bennett et le Shass), c’est pareil chez nous.
Ensuite, le gouvernement israélien a mené des négociations avec le Hamas et a même abouti à un accord avec lui (à l’issue de l’opération de l’opération Pilier de Défense), pourquoi cela nous serait-il interdit, demande Abbas.
Enfin, le Hamas a accepté le compromis sur les frontières de 1967 (il y a eu des déclarations dans ce sens par Ismaïl Haniyeh lorsqu’il fut nommé pour diriger le gouvernement d’Union nationale palestinien à la suite des élections de 2006).
Mahmoud Abbas n’a pas cité la raison principale connue de tous, à savoir l’état de faiblesse du Hamas.
Le Hamas qui a pris le pouvoir dans la Bande de Gaza il y a presque 7 ans et qui a réussi à être le premier mouvement islamiste à former un gouvernement dans le monde arabe, a perdu ces derniers mois toute sa puissance, tant politique qu’économique.
Après une période de gloire qui a culminé lorsque l’organisation mère du Hamas, les Frères musulmans, fut au pouvoir en Egypte, on assista à un tournant et une descente aux enfers qui aboutit finalement à un gouvernement du Hamas totalement isolé.
L’évolution politique du Hamas est connue: la direction du mouvement a soutenu les rebelles syriens au sein desquels les Frères musulmans sont très actifs et fut punie par le régime de Bachar al-Assad.
Assad a expulsé de Damas les responsables du Hamas et leur dirigeant, le directeur politique Khaled Meshaal. Ils se sont partagés entre le Qatar et Le Caire.
Le régime syrien, suivi par l’Iran qui est le principal soutien d’Assad, ont coupé pratiquement tous les contacts et les soutiens, tant politiques que financiers, avec le Hamas.
Mais la crise avec la Syrie n’a pas causé tellement de torts au Hamas car en Egypte le pouvoir était détenu par les Frères musulmans et le président Mohamed Morsi lui accorda son soutien total.
Lorsque Morsi fut déchu, la junte militaire au pouvoir en Egypte a commencé à pourchasser le Hamas de toutes ses forces, avec la même ampleur qu’elle organise la répression des Frères musulmans et emprisonne ses dirigeants.
Cela est arrivé au point que le Hamas a été décrété en Egypte organisation terroriste ! En outre l’armée égyptienne a bouché les tunnels à la frontière à Rafah, ces tunnels qui étaient le poumon économique de Gaza qui est sous blocus car Israël restreint le passage de marchandises et de personnes depuis son territoire vers la Bande.
Le Hamas se trouve dans une grande difficulté. Le peu de soutien que continue de recevoir le gouvernement du Hamas provient de la Turquie et du Qatar qui sont en mauvais termes avec la junte militaire au pouvoir au Caire.
Mais cela ne suffisait pas. En désespoir de cause le gouvernement du Hamas a accepté il y a quelques jours de recevoir une délégation de Ramallah à la tête de laquelle se trouvait Azam al-Ahmed du Fatah accompagné de Moustapha Barghouti, l’ancien dirigeant du parti communiste qui se présenta à l’élection présidentielle, du milliardaire Mounib al-Masri et du membre du gouvernement Ahmed Majedlani. Comme geste de bonne volonté, le Hamas libérait dix membres du Fatah qui étaient emprisonnés dans les géoles de Gaza.
L’accord dont il est question, évoqué lors de la rencontre à Ramallah, n’a qu’un seul but. Il s’agit de former un gouvernement d’Union nationale pendant six mois ayant une seule mission: l’organisation d’élections générales en Cisjordanie et à Gaza afin que soit élu un président et qu’un gouvernement soit formé de manière démocratique et légitime.
C’est une mission très limitée pour le nouveau gouvernement. Et la raison est qu’il y a un abîme politique énorme entre les deux parties dont a dû mal à imaginer comme il pourra être comblé.
L’Autorité palestinienne de Ramallah exige par exemple que le gouvernement commun avec le Hamas accepte la politique et les accords signés avec Israël par le passé. Le Hamas s’y oppose.
Mais le fossé le plus significatif concerne un autre domaine: qui va contrôler les services de sécurité palestiniens?
Le Hamas a ses propres services, en fait les milices militaires des « Brigades Ezzedine al-Qassam » alors que l’Autorité palestinienne de Ramallah possède ses propres unités militaires.
Comment les unifier, et qui en seront les commandants? Chez les Palestiniens, il n’y a pas de distinction claire entre armée et politique, par conséquent il s’agit d’une question fondamentale.
Il y a déjà eu des rapprochements et des accords par le passé entre le Hamas et les autorités de Ramallah. Ils ont presque toujours abouti lors d’une crise dans les négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël.
Ceux qui ont négocié au nom de Mahmoud Abbas sont les mêmes que ceux qui ont fait partie de la délégation qui est arrivée à Gaza. Mais finalement, tous ces contacts se sont soldés par un échec.
Mahmoud Abbas sait très bien que son accord avec le Hamas provoque la colère en Israël et engendrera des tensions avec les pays occidentaux, qui ont désigné le Hamas comme organisation terroriste.
Pour Abbas, l’accord avec le Hamas est en quelque sorte un message: si vous n’abondez pas dans mon sens pour un accord durable avec Israël, j’utiliserai une autre voie qui sera dangereuse pour vous.
Dans le passé, lorsqu’il y a eu des contacts identiques entre Ramallah et le Hamas, une information a circulé selon laquelle Mahmoud Abbas était sur le point de se rendre à Gaza. Cela ne s’est jamais réalisé.
Et voilà que vient d’être publiée une information similaire. Mardi, le journal Al-Qods, proche de l’Autorité palestinienne, a cité un haut responsable du Fatah: « Mahmoud Abbas se rendra en visite à Gaza dans quelques jours ». Il sera intéressant de voir si cette visite aura vraiment lieu. En d’autres termes: si Abbas se rend vraiment à Gaza, on saura alors que c’est sérieux et qu’il y a une possibilité de réelle réconciliation. Et si la visite n’a pas lieu, on saura alors qu’il s’agit de nouveau d’une manœuvre politique comme ce fut le cas par le passé.