Deux images resteront dans l’histoire de ce début d’année 2025 : celle de Donald Trump signant devant son public une centaine de décrets pour montrer à tous les Américains et au monde que le shérif est revenu à la Maison Blanche pour remettre de l’ordre. Et celle des trois premières otages israéliennes libérées après plus de 460 jours de détention dans les tunnels de Gaza, suivie une semaine plus tard de celle de quatre des soldates capturées le 7 octobre et encore en vie, qui étaient observatrices dans la base de Nahal Oz.
La juxtaposition de ces deux images survenues presque simultanément n’était pas fortuite. Celle de la libération des otages aurait pu se produire dès le mois de mai dernier parce que l’accord qui vient d’être signé entre Israël et le Hamas avait été préparé par l’administration américaine précédente. Mais comme vient de le déclarer Itamar Ben Gvir, lui et les autres ministres des partis d’extrême droite membres de la coalition au pouvoir avaient réussi à empêcher sa signature. Cette fois-ci, Netanyahou a accordé au nouveau président américain cette image des otages libérés, qu’il avait refusée il y a huit mois au président Biden, et que Trump voulait voir le jour de son intronisation.
Tout d’abord, nous nous réjouissons, comme la quasi-totalité de la population israélienne, de la signature de cet accord qui ouvre pour la première fois une perspective pour mettre fin à cette guerre, revoir tous les otages retrouver leurs familles et permettre à la population palestinienne de Gaza de commencer à reconstruire leurs villes détruites.
Mais nous devons aussi tirer de cette nouvelle séquence quelques conclusions importantes qui doivent nous guider pour la suite dans nos engagements et nos actions.
- La première conclusion est que, malgré les succès militaires très significatifs obtenus sur tous les fronts par l’armée israélienne qui s’est relevée après les défaillances du 7 octobre, Israël n’a pas atteint les deux objectifs qu’il s’était fixés pendant cette guerre : l’éradication du Hamas et le retour des otages. Le Hamas très affaibli n’est pas défait et la mise en scène qu’il a organisée pour la libération des soldates montre sa capacité de se présenter comme la force toujours dominante à Gaza. Même si 20000 de ses membres, dont pratiquement tous ses dirigeants, ont été éliminés, comme l’affirme Herzi Halevi le Chef d’État-major israélien, ils ont été remplacés par de nouvelles recrues selon l’ancien secrétaire d’Etat américain Antony Blinken dans sa déclaration lors d’une conférence à l’Atlantic Council à Washington le 14 janvier[1]. Quant aux otages, elles n’ont pu être libérées vivantes que dans le cadre d’un accord. C’était la conclusion à laquelle étaient arrivés aussi les responsables de l’armée qui ont déclaré à plusieurs reprises que les principaux objectifs militaires avaient été atteints à Gaza et que l’on pouvait signer un accord. Après la mort de près de 1900 Israéliens, dont près de 850 soldats, la seule photo de victoire qui restera pour les Israéliens sera celle de ces otages libérées parce qu’il ne peut pas y avoir de victoire militaire dans ce conflit pour aucun des deux camps.
- Le responsable de la survie politique du Hamas est d’abord le gouvernement israélien qui a toujours refusé de parler du « jour d’après » et répondre aux attentes des Américains et des pays arabes pour préparer une alternative au Hamas pour gérer la situation de la population palestinienne à Gaza. La seule possibilité pour que cette guerre soit peut-être la dernière entre Israéliens et Palestiniens, c’est de donner une perspective politique à ces derniers, au bout de laquelle ils obtiendraient leur État.
- Sur le plan intérieur, malgré les succès de l’armée et le retour des premiers otages, tous les sondages montrent qu’en cas d’élections, la coalition au pouvoir en Israël aujourd’hui les perdrait. 63 % de la population souhaiterait la démission de Netanyahou et même un tiers des électeurs du Likoud. Pour mesurer le rejet de ce gouvernement, notons que 72 % de la population pense qu’il est responsable seul ou autant que l’armée des défaillances du 7 octobre et que 83% – dont 73 % des électeurs de la coalition au pouvoir – réclame toujours la mise en place d’une commission d’enquête nationale que Netanyahou continue à refuser.
- L’accord signé avec le Hamas prévoit trois étapes pour mettre fin à la guerre et libérer tous les otages, vivants ou morts. Bezalel Smotrich, qui n’a pas voté pour cet accord, a choisi de ne pas démissionner, à la différence de Ben Gvir qui aurait la promesse de Netanyahou de pouvoir retrouver son poste de ministre de la sécurité nationale en cas de reprise la guerre. Aujourd’hui le Hamas comme le gouvernement israélien ont tout intérêt à la poursuite de cette première étape. Les vrais difficultés se poseront à la fin de celle-ci, quand Netanyahou devra décider s’il s’engage dans la deuxième étape de l’accord qui doit mener à la fin de la guerre, ce que refusent ses alliés d’extrême droite.
- Les premières déclarations du nouveau président américain montrent que son objectif est de mettre fin à cette guerre, d’obtenir la signature d’un accord entre Israël et l’Arabie saoudite et, comme parait-il il le souhaite, de se voir décerner le prix Nobel de la paix. Encore faut-il qu’il abandonne cette lubie d’imaginer transférer la population gazaouie en Égypte ou en Jordanie, ce que ces deux pays ne veulent pas et qui, de plus, déstabiliserait leurs régimes, pas plus que les Palestiniens qui aspirent à leur indépendance. Mohamed Ben Salman (MBS), le prince héritier d’Arabie Saoudite, quant à lui, a compris que sa population, comme celle de tous les pays arabes, même ceux ayant signé un accord de paix avec Israël, sont avant tout sensibles à la situation des Palestiniens et se refuseront de le suivre dans ses projets s’il n’y a pas un changement pour ceux-ci. Cet accord de paix avec Israël, aussi important soit-il pour MBS dans ses plans pour construire l’Arabie du futur, ne pourra se faire sans le début d’un processus politique avec les Palestiniens qui leur donne une perspective d’obtenir à sa fin leur État.
- Donc en conclusion, il y a une conjonction d’intérêts internationaux pour mettre fin à cette guerre. Israël, qui a retrouvé sa position de puissance militaire dominante dans la région et recrédibilisé sa force de dissuasion, est dans une meilleure position s’il acceptait de s’engager dans un processus politique, ce qui nécessiterait un changement de pouvoir. Nous devons soutenir toutes les initiatives qui vont dans ce sens et alerter d’abord tous les citoyens européens juifs et les amis d’Israël sur le danger que font peser sur l’avenir du pays les colons et les partis d’extrême droite avec le développement de la colonisation en Cisjordanie, comme ils le font déjà depuis deux ans[2], et avec leurs projets de réinstaller des colonies à Gaza.
[1] https://legrandcontinent.eu/fr/2025/01/15/accord-de-cessez-le-feu-a-gaza-le-hamas-a-recrute-presque-autant-de-combattants-quil-nen-a-perdu-face-a-israel/
[2] Voir le message sur X de Shaul Arieli du 19 janvier https://x.com/shaulari/status/1880861237451411962?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Eembeddedtimeline%7Ctwterm%5Escreen-name%3Ashaulari%7Ctwcon%5Es1