Réflexions sur les mobilisations des étudiants pour la Palestine

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Les manifestations propalestiniennes dans les universités européennes et américaines, dont un des derniers exemples a été la tentative d’empêcher la participation d’Elie Barnavi à une conférence prévue le 3 juin à l’Université Libre de Bruxelles, ce qui a contraint de la déplacer dans une autre salle sous protection policière, m’ont poussé à écrire ces quelques réflexions.

Les générations qui se sont succédé depuis les années soixante n’ont pas eu l’occasion de s’engager contre des guerres comparables à celle du Vietnam – une guerre «impérialiste» menée par la superpuissance américaine contre un pays pauvre du continent asiatique. À l’exception de la guerre d’Irak, contre laquelle la jeunesse occidentale a manifesté, les causes qui l’ont mobilisée ces dernières années étaient généralement des causes sociétales ou écologiques.

Les années de paix que l’Occident a connues depuis la seconde guerre mondiale ont heureusement épargné à sa jeunesse d’être directement confrontée à la guerre. Pourtant, la guerre est loin d’avoir disparu de la planète. On ne compte plus celles qui ont ravagé le continent africain, l’Asie, l’Amérique latine ou le Moyen-Orient, dans la quasi indifférence de la jeunesse occidentale, malgré les millions de morts tutsis, soudanais, syriens, kurdes, ouïghours, sahraouis, yéménites, congolais… Et la guerre qui, depuis deux ans, voit une démocratie au cœur de l’Europe agressée par son voisin russe, ne mobilise pas non plus les masses dans les rues des capitales occidentales.

Lorsque survint l’attaque barbare commise le 7 octobre par le Hamas sur le territoire israélien, des images filmées et diffusées en direct par les assaillants eux-mêmes ont bouleversé pendant quelques heures tous ceux qui les ont vues. Mais, dès le premier bombardement effectué en réaction par l’armée israélienne à Gaza, ces images se sont effacées, au point que certains commencent même à douter de leur véracité. Et les manifestations de soutien à l’un ou l’autre camp n’ont pas tardé.

Ce n’est certes pas la première fois que le conflit du Moyen-Orient enflamme les passions et s’impose dans le débat public en Occident. Mais les manifestations n’avaient jamais atteint un tel degré de mobilisation, surtout parmi ceux des jeunes qui prennent fait et cause pour les victimes palestiniennes en ignorant les victimes dans l’autre camp.

Comment expliquer ce «deux poids, deux mesures» entre, d’une part, un silence assourdissant devant des guerres proches ou lointaines, et d’autre part les réactions à la guerre en cours entre Israéliens et Palestiniens? Il y a, tout d’abord, un point commun entre cette guerre et celles entreprises par les États-Unis au Vietnam ou en Irak: une démocratie «puissante» est opposée à une population plus «faible». En Occident, il est évidemment facile, et surtout potentiellement plus efficace, de manifester contre une démocratie que contre une dictature. Manifester contre la guerre en Ukraine ou les massacres des Ouïghours en Chine ne perturberait guère les régimes de Poutine ou de Xi Jinping.

Je ne doute pas du degré d’engagement des manifestants actuels pour la cause palestinienne. Mais je constate qu’en se mobilisant contre lui, ces manifestants reconnaissent que l’État d’Israël, quelles que soient ses imperfections, appartient à la famille des démocraties libérales et que l’on peut donc espérer pousser son gouvernement à changer de politique. Les Israéliens, d’ailleurs, ne s’en privent pas eux-mêmes. Ils l’ont prouvé tout au long de l’année dernière, en rassemblant chaque semaine plusieurs centaines de milliers de manifestants – l’équivalent d’autant de millions à l’échelle de la France – contre une réforme juridique mettant en cause les pouvoirs de la Cour suprême, que le gouvernement voulait faire adopter. Et les Israéliens continuent de manifester aujourd’hui pour demander la libération des otages ou des élections anticipées.

Une autre explication de ce «deux poids, deux mesures» me semble beaucoup plus inquiétante quant à ses conséquences. Elle procède d’une lecture manichéenne du conflit, avec d’une part le côté du «bien», du «faible», du «non-blanc», de «l’opprimé», du «non-occidental», et de l’autre le côté du «mal», du «fort», du «blanc», du «colonialiste», de «l’occidental»… Une vision aussi simpliste, fruit de la culture wokiste en vogue aujourd’hui, est porteuse des malheurs actuels et à venir pour les deux peuples. A ces manifestants qui aspirent surtout à se trouver du « bon côté de la barrière », je voudrais rappeler ce qu’Amos Oz écrivait à propos du conflit dans «Aidez-nous à divorcer ! Israël-Palestine, deux États maintenant», Gallimard 2004.[1]

À cela s’ajoute, hélas, une autre lecture que je ne pensais plus voir surgir avec cette force dans le débat public: la résurgence de l’antisémitisme. Nous nous étions habitués (bien que non résignés) à la présence de l’antisémitisme dans les franges nauséabondes de l’extrême droite.

Mais, aujourd’hui, le mot «sioniste» est utilisé à la place du mot «juif» pour attaquer tous ceux, Israéliens ou citoyens juifs vivant en diaspora, qui soutiennent le droit des Israéliens à défendre leur État – même ceux qui critiquent la politique de son gouvernement à l’égard des Palestiniens. Et cela ne trompe personne.

Car que signifie le mot «sioniste»? C’est reconnaître aux Juifs le droit à leur État, alors que la moitié du peuple juif s’y est rassemblé et qu’une bonne partie de ceux qui vivent en diaspora y est indéfectiblement attachée. Et ne pas reconnaître ce droit relève de l’antisémitisme alors que le mouvement sioniste compte en son sein, comme tous les mouvements nationaux, autant de partisans de droite que de gauche – ces derniers militant, depuis des années, pour un État palestinien à côté d’Israël.

Constater qu’aujourd’hui, en France, c’est parmi les citoyens se réclamant d’une certaine gauche que le discours antisioniste est de plus en plus dominant est très inquiétant pour l’avenir de nos démocraties et pour celui de la gauche. Et le fait que certains tiennent ce discours par électoralisme – ou, pire, sous l’influence des islamistes –  est plus inquiétant encore.

 

David Chemla

 

[1] Ce n’est pas une lutte entre le Bien et le Mal. Mais plutôt une tragédie au sens ancien, un conflit entre deux causes aussi justes l’une que l’autre…. Les Palestiniens sont en Palestine, parce que la Palestine est la patrie, et la seule patrie, du peuple palestinien…. Les Juifs israéliens sont en Israël, parce qu’il n’y a aucun autre pays au monde que les Juifs, en tant que peuple, en tant que nation, peuvent appeler leur patrie…. Les Palestiniens veulent le pays qu’ils appellent la Palestine. Ils ont de bonnes raisons de le vouloir. Les Israéliens veulent exactement le même pays, pour exactement les mêmes raisons…. Cela donne lieu à une tragédie….Ce dont nous avons besoin, c’est d’un douloureux compromis…. Pour moi, le mot compromis signifie la vie. Le contraire signifie le fanatisme et la mort…. Un compromis signifie que jamais le peuple palestinien, pas plus que le peuple juif israélien, ne sera écrasé et humilié». Et Amos Oz conclut en disant aux Européens: « Si vous avez le plus petit élan d’aide et de sympathie à offrir, qu’il aille non pas à l’un ou l’autre des patients, mais aux deux. Vous n’avez plus à choisir entre pro-israélien ou pro-palestinien, vous devez être pro-paix. »

 

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