Le soutien de Biden à Israël lui coûtera-t-il sa réélection en 2024 ?

Facebook
Twitter

L’année 2024 qui démarre sera celle de l’élection présidentielle américaine, une nouvelle fois décisive pour l’avenir des Etats-Unis mais aussi du monde. Cette élection pourrait bien être fortement influencée par la guerre entre Israël et le Hamas déclenchée par les massacres du 7 octobre.

Un soutien franc et massif de Biden à Israël

Joe Biden a apporté depuis le début de la guerre un soutien massif à Israël, et pas uniquement sur le plan politique ou militaire. 3 jours après le massacre, Biden a pris la parole et parlé d’Israël en des termes personnels qui ont profondément touché les Israéliens, en pleine défiance envers leur propre gouvernement en Netanyahu au premier chef.

Il s’est ensuite rendu en Israël pour réaffirmer le soutien des Etats-Unis à Israël, en personne, et en prenant le temps de rencontrer longuement les familles d’otages israélo-américains.

Cet engagement ne s’est pas démenti depuis avec des vétos opposés à l’ONU à tout appel au cessez-le-feu, et avec un flot constant d’armes et d’argent dont Israël a absolument besoin pour poursuivre la guerre en cours. Cet engagement est d’autant plus marquant que Biden est candidat à sa réélection en 2024, et a besoin du soutien unanime de son parti, dont la base la plus jeune et la plus militante est de plus en plus critique envers la guerre, reflet d’une évolution profonde du Parti Démocrate.

Un Parti Démocrate en pleine mutation démographique et politique

Si le soutien à Israël reste globalement bipartisan, comme le montre la résolution votée le 10 octobre, votée par 200 députés démocrates sur 210 (et les 225 républicains), il est variable dans son intensité. Le Parti Démocrate est ainsi traversé par des courants plus réticents envers le pays, de la critique de certaines parties de sa politique à une remise en cause de sa légitimité pour les plus extrêmes guère plus de 2-3 sur 200 élus à la Chambre).

Au sein de l’électorat démocrate, le soutien à Israël s’est quelque peu affaibli, en particulier chez les plus jeunes. Ainsi, selon un sondage de CNN de novembre 2023, 70% des Démocrates voient le soutien à Israël comme un intérêt national pour les Etats-Unis, mais ce pourcentage n’est que de 40% pour les Démocrates de moins de 35 ans.

Biden est en fait sur une ligne de crête, entre attachement personnel indéfectible, soutien politique du Parti démocrate « historique », et prise en compte d’une évolution démographique et politique de son parti alors qu’il joue sa réélection en 2024, pour laquelle il a besoin du soutien unanime et de l’engagement de son camp, qui pourrait lui manquer en raison de la guerre entre Israël et le Hamas.

L’élection de 2024 peut-elle se décider à Gaza ?

Biden a remporté les élections de justesse en 2020. Si 25,000 voix s’étaient déplacées de Biden à Trump dans 3 États (Georgie/ Arizona/ Wisconsin) il aurait perdu l’élection malgré un écart de voix conséquent sur le plan national (7 millions de voix d’avance), en raison du système électoral.

Au-delà du poids démographique et politique des Arabes américains, uniquement significatif dans le Michigan (500,000 personnes sur une population totale de 10 millions), c’est le vote des jeunes qui est la plus grande menace pour Biden. Les derniers sondages sur les 18-29 ans mettent Trump et Biden au coude à coude. En 2020, Biden l’avait largement emporté sur cette tranche d’âge (59%-35%), lui donnant un matelas de voix confortable. Sur les 7 millions de voix d’avance au niveau national, 80% provenaient des 18-29 ans…

Reprenons nos 3 états clés, pour y voir la aussi l’impact des jeunes électeurs :

Marge de victoire

Biden- Total

Marge de victoire

sur les 18-24 ans

Marge victoire

%- Total

Marge victoire

%- 18-24 ans

Arizona 11,000 voix 101,000 voix +0.3 point +31 points
Georgia 13,000 voix 64,000 voix +0.2 point +23 points
Wisconsin 20,000 voix 90,000 voix +0.6 point +28 points

 

En clair, sans la marge confortable sur les jeunes, Biden ne remportait pas ces 3 États, et donc l’élection.

L’enjeu pour Biden sera de mobiliser pour lui cette jeunesse américaine sans lâcher Israël, dans un contexte de méfiance profonde envers Netanyahu et son gouvernement, qui précède de beaucoup les événements du 7 octobre.

Biden et Netanyahu, une longue histoire…

Soutien d’Israël, Biden se méfie de Netanyahu, comme la grande majorité du Parti Démocrate. Biden incarne en fait à la perfection le découplage entre soutien à Israël et soutien à son gouvernement.

Cette méfiance ne date pas du 7 octobre, ni même de l’entrée en fonction du dernier gouvernement Netanyahu en janvier 2023, le plus à droite de l’histoire du pays. Elle existe en fait depuis l’accession de Netanyahu au poste de Premier Ministre en 1996, mais elle s’est accentuée depuis l’accession de Biden a la Vice-présidence alors qu’Obama était président. Lors d’une visite en Israël de Biden en 2010, Netanyahu annonça l’extension, d’implantations, puis Netanyahu montra son soutien à Romney de manière assez évidente en 2012, mais c’est surtout en 2015 que cette relation s’est fortement détériorée, à l’occasion de l’accord sur le nucléaire iranien, à l’occasion duquel Netanyahu est venu plaider contre cet accord devant le Congrès républicain, dans le dos du Président Obama.

Les œillades appuyées de Netanyahu à Trump, qualifié de « meilleur ami d’Israël jamais installé à la Maison Blanche » n’ont rien arrangé, pour Biden mais aussi pour le Parti Démocrate, dont les liens avec Netanyahu sont aujourd’hui au plus bas.

La réforme judiciaire a achevé de détériorer cette relation, Biden ayant fait des valeurs démocratiques un axe majeur de son élection et de sa présidence. Il a d’ailleurs apporté son soutien aux manifestants et a mis en garde Netanyahu de manière répétée contre cette réforme, et Netanyahu n’a pas oublié cette défiance américaine qui l’a considérablement affaibli en Israël, et on peut estimer qu’une défaite de Biden ne serait pas pour lui déplaire…

Netanyahu souhaitera-t-il faire battre Biden ?

Biden est aujourd’hui très populaire en Israël, bien plus que Trump, ce qui est un immense changement par rapport à 2020. Selon un sondage du Times of Israel, 40% des Juifs israéliens préfèrent Biden contre 26% pour Trump pour l’élection de 2024.

Le paradoxe de la situation est que cette popularité pourrait bien aller de pair avec sa chute en 2024 aux Etats-Unis.

On l’a vu, la gauche du Parti démocrate pourrait ne pas pardonner à Biden son tropisme pro-israélien, même si cela signifie faire élire Donald Trump.

Pour Netanyahu, un affrontement avec le président des Etats-Unis est bénéfique d’un point de vue purement cynique, pouvant se présenter comme le défenseur d’Israël contre les pressions extérieures. Netanyahu a donc tout intérêt au clash avec Biden pour ressouder son gouvernement, et à faire battre Biden en radicalisant son action et en faisant durer la guerre sans jamais proposer de plan politique, qui est demandé avec insistance par les Américains pour justifier leur soutien continu à la guerre. Il place ainsi Biden devant un casse-tête politique électoral dont Netanyahu ne peut que se réjouir…

La prise de position courageuse de Joe Biden traduit son affection sincère pour Israël, et non un calcul politique qui l’aurait conduit à adopter une autre politique. Netanyahu préfèrerait de loin Donald Trump, dont l’attachement à Israël est avant tout transactionnel, et surtout indépendant de toute défense des valeurs démocratiques dont Trump se méfie au moins autant que Netanyahu. Une victoire de Trump permettrait à Netanyahu de retrouver ses marges de manœuvre tant sur le plan diplomatique qu’en politique intérieure, et il est impossible de ne pas voir dans le conflit qui grossit entre Biden et Netanyahu de réelles arrière-pensées chez Netanyahu.

Le courage politique de Biden est donc d’autant plus admirable qu’il soutient un pays alors qu’il se méfie de son leader Netanyahu, qui n’hésitera pas à le faire battre en 2024 s’il en a l’occasion…

Sébastien Lévi

franco-américain-israélien, membre de JStreet

Facebook
Twitter

Tribune Libre

Agenda

Atlas du conflit Israélo-Arabe

Communiqué

Facebook

Newsletter