Cinq indicateurs pour décrypter le résultat des élections israéliennes

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Si l’on suit leur couverture médiatique en Europe, les élections israéliennes semblent se présenter comme un non évènement. Les demandes d’accréditations des journalistes venant les couvrir ont chuté de 50 % par rapport aux élections précédentes. Certes, vu d’ici, les sondages récurrents, donnant toujours le tandem Biberman[1] gagnant, ne laissent pas la place à beaucoup de suspens. C’est une erreur, témoignant, une fois de plus, à quel point nombre d’observateurs comprennent mal le fonctionnement de la société israélienne. En effet, au-delà des résultats annoncés par les sondages, dont on peut par ailleurs douter de la fiabilité[2], ces élections sont intéressantes à plus d’un titre. Cinq indicateurs me semblent particulièrement intéressants à observer parce qu’ils donneront, chacun, des informations sur l’avenir de la société israélienne et sur sa capacité à se renouveler.

 

Le premier indicateur est le taux de participation aux élections. Traditionnellement Israël était toujours un pays où ce taux se situait entre 75 et 85 %. Or dans les trois dernières élections, il a avoisiné entre 62 et 66 %. De plus ces trois élections se sont souvent caractérisées par une dispersion des voix sur des petites listes qui ne passaient pas la barre des 2% [3]ou sur des listes fantaisistes, comme celle des retraités il y a quelques années. Verra-t-on cette fois-ci un retour des électeurs vers les urnes, signe de santé d’une démocratie qui accorde à sa représentation nationale un crédit pour résoudre les nombreux problèmes auxquelles elle est confrontée ? Ou au contraire assistera-t-on à la poursuite de la désaffection du public, surtout des jeunes, pour sa classe politique, trop souvent associée à des affaires ces dernières années ? Un tel processus, s’il s’avérait, serait un signe inquiétant pour l’avenir.

 

Le deuxième indicateur est le taux de vote de la population arabe israélienne. Représentant aujourd’hui plus de 20 % de celle du pays, elle pourrait, si elle se mobilisait, faire entrer à la Knesset jusqu’à une vingtaine de députés, ce qui, compte tenu de l’éclatement des listes, pourrait constituer une force de blocage dans la formation de toute coalition. Or on assiste ces dernières années à une baisse constante des votes de cette population, signe de son manque de confiance dans le système ainsi que dans celui de ses propres partis qui la représentent traditionnellement[4].

 

Le troisième indicateur est le résultat du match en cours entre les 3 listes « centristes » pour attirer les voix de l’opposition actuelle. Une comparaison de leurs programmes montre que chacune de ces listes a construit son image sur sa capacité à être la meilleure alternative pour attirer le vote de l’électorat mobilisé par l’une des trois principales fractures existant au sein de la société israélienne.

Depuis son élection à la tête du parti travailliste Shelly Yachimovich a voulu reconstruire l’identité de son parti en revendiquant un rattachement à la sociale démocratie, cherchant ainsi à attirer à elle les centaines de milliers de mécontents du mouvement des tentes de l’été 2011. Intentionnellement, elle évite de s’exprimer sur la question palestinienne, restant sur des principes très généraux, de peur de se couper d’une partie de son électorat potentiel. Cette absence de position sur une question aussi cruciale décrédibilise sa candidature comme future Premier Ministre.

A l’opposé, le « come back » de Tzipi Livni est motivé par sa conviction de la nécessité d’arriver au plus vite à un accord avec les Palestiniens. Pour gagner la confiance de l’électorat acquis à cette idée, elle se différencie de ses concurrents en mettant en avant son expérience politique, conséquence de sa participation aux précédentes négociations sous le gouvernement Olmert, et la bonne image qu’elle a conservée sur la scène internationale. Toute sa campagne est axée sur ce slogan que l’on retrouve placardé sur les bus à Tel Aviv « Bibi et Liberman asson » (catastrophe) écrit en jaune sur fond noir et « Tzipi Livni Shalom » écrit en blanc sur fond bleu.

Face à ces deux femmes, le nouveau venu sur la scène politique, l’ex journaliste vedette de la télévision,Yaïr Lapid, a construit sa campagne sur un seul message : « Pour un changement du système et une meilleure répartition de la charge entre tous », condamnation implicite des orthodoxes qui ne travaillent pas et ne font pas le service militaire. A la différence de son père Tommy Lapid[5], Yaïr a même intégré des rabbins libéraux sur sa liste constituée de personnalités issues de la société civile.

Qui sortira vainqueur entre ces trois chefs de liste dont la confrontation réjouit tant Bibi ?

Lequel de ces trois messages sera le plus attractif et mobilisateur pour l’électorat, présageant des combats de demain : celui du combat social, celui de la recherche d’un accord politique avec les Palestiniens ou celui du changement de société ? Qui demain sera le futur chef de l’opposition : Shelly, Tzipi ou Yaïr, à moins que l’un d’entre eux ne soit sensible aux sirènes de Bibi et accepte de le rejoindre dans son futur gouvernement[6].

A moins aussi que, comme dans la fable, ce soit le petit quatrième, le Meretz, qui se voit récompensé de sa fidélité à ses engagements, à la fois sociaux et politiques, par un retour des électeurs qui l’avaient quitté pour voter « utile » aux précédentes élections.[7]

 

Le quatrième indicateur à observer est évidemment le résultat de la confrontation entre la liste Biberman et celle du Baït Hayehoudi, parti représentant les nationalistes religieux qui est le fer de lance du mouvement des colons. Déjà, les élections internes au Likoud avaient écarté les « barons » du parti, traditionnellement plus légitimistes comme Benny Begin, fils de Menachem Begin, l’ancien Premier Ministre, ou plus libéraux comme Dan Méridor, au profit des plus extrémistes comme Moshé Feiglin ou Danny Danon. Il est notoire que Bibi n’a pas apprécié cette droitisation du Likoud qui compromet l’image respectable qu’il s’attache à conserver sur la scène internationale. Mais cette droitisation de l’appareil du parti est à l’image de celle d’une partie importante de la société israélienne. Il n’est donc pas étonnant que les sondages donnent aujourd’hui près de 12 mandats[8] au parti national religieux dirigé par Naftali Bennet, un ancien homme d’affaire qui a fait fortune dans la Hi Tech après avoir effectué son service dans une unité d’élite où il a fini avec le grade de commandant. Le renforcement de ce parti, au détriment du Likoud Beteinou[9], explique certainement les annonces successives faites par le gouvernement de projets de constructions dans les territoires ces dernières semaines.[10] Bibi réussira-t-il avec ces déclarations à récupérer la partie de son électorat qui l’a quitté ? Le rapport des forces entre ces deux listes donnera une idée de la ligne politique du futur gouvernement, dirigé probablement par Bibi.

 

Enfin je rajoute un dernier indicateur qui, s’il n’est pas significatif dans le court terme, peut avoir une portée à l’avenir.C’est le résultat de la liste dirigée par le rabbin Haïm Amsellem, actuel député du Shas, en opposition avec son parti parce qu’il a dit que les faux étudiants inscrits dans des yeshivot devraient faire leur service militaire et travailler plutôt que de vivre à la charge de la société. S’il est difficile d’imaginer aujourd’hui que les électeurs du Shas ne votent pas en masse pour leur parti, tant est forte sur eux l’emprise de son leader spirituel, le rabbin Ovadia Yossef, le résultat de cette liste sera un indicateur fort de la capacité du monde orthodoxe à évoluer et à sortir de son isolement.

 

En conclusion, on le voit, les résultats de cette élection sont porteurs de nombre de réponses aux questions que nous nous posons quant à l’avenir d’Israël. Ces indicateurs devront être observés avec attention pour comprendre les tractations pour constituer la future coalition qui dirigera le pays à un moment critique pour son avenir, tant les enjeux auxquels il est confronté sont importants.

David Chemla



[1] Contraction des deux noms Bibi (Netanyahu) et Liberman

[2] La méthode des sondeurs, fonctionnant par appel sur des numéros fixes appartenant à des échantillons de population, ne tient pas compte de la réalité nomade de notre civilisation où de plus en plus de monde ne fonctionne qu’avec des portables

[3] Seuil en deçà duquel les votes sont invalidés

[4] Il y a 12 députés arabes dans la Knesset sortante dont 10 élus sur des listes « arabes »

[5] Fondateur du parti Shinouï ‘ »Changement »,  il y a une vingtaine d’années, qui avait comme programme principale la lutte contre l’emprise des religieux dans la vie publique

[6] Des trois, seule Shelly a dit, suite à l’effritement de sa liste dans les sondages, qu’elle ne rejoindrait pas un gouvernement dirigé par Bibi.

[7] Disposant de 3 députés dans la Knesset sortante, les sondages font état d’une hausse régulière des intentions de vote à son profit, le créditant de 5 députés, voire 6 ou 7 !

[8] Plus de quatre fois le nombre des mandats dont ce parti dispose dans la Knesset actuelle (3)

[9] Ces deux partis disposent actuellement ensemble de 42 mandats (27 pour le Likoud et 15 pour Israël Beteinou)

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