L’éditorial que vous lirez ci-dessous a été publié par le quotidien israélien Haaretz en janvier 2012. Il s’agit d’un texte rédigé par YAIR SHELEG, responsable de recherche à l’Institut pour la Démocratie en Israël (IDI) en réponse à un article écrit par BENNY KATZOVER, un des leaders historique du mouvement des implantations en Cisjordanie et du Goush Hahimounim (bloc de la foi), qui estime que certains principes démocratiques sont incompatibles avec les lois juives et reflète la tension récurrente entre les notions «d’Etat Juif» et «d’Etat démocratique».
Pour Yaïr Sheleg, la bonne position c’est de considérer la tension entre judaïsme et démocratie comme une expression des différentes manifestations de la dignité humaine : dignité pour la personne universelle et pour la personnalité juive qui a droit à la souveraineté.
Malgré les six années passées, depuis la publication de ce texte, la question des libertés démocratiques reste toujours d’une brûlante actualité. Le gouvernement Netanyahou, encouragé par l’extrême-droite nationale-messianique, multiplie les initiatives législatives contre les piliers institutionnels de la démocratie israélienne (« la seule du Moyen-Orient », pour le moment ! ). Aucune institution n’est épargnée, en tout premier lieu la Cour Suprême mais aussi le Ministère de l’éducation, de la culture, de la justice, de l’intérieur, sans oublier les très respectées armée et police. Fort heureusement, rien n’est joué pour le moment mais il faut demeurer vigilant.
Benny Katzover a bien fait de clarifier, dans le journal d’aujourd’hui, les remarques qui lui ont été attribué au sujet de l’abandon de la démocratie (en Israël). Mais ses dernières explications atténuent seulement le style violent dont il a fait usage et ne réduit en rien le danger de ses déclarations.
Selon lui, et pour résumer, l’application des principes démocratiques universels empêcherait de préserver – il n’écrit pas « développer »- l’identité juive de l’Etat d’Israël. En conséquence, la démocratie doit être abandonnée en faveur du judaïsme (ou, comme l’exprime Katzover, «il faut préférer la chose «juive» à la chose «démocratique » tant qu’il n’y a pas de conflit moral entre les deux»).
Pour mettre en évidence le sens de ses remarques, soulevons quelques questions pratiques. Est-ce que cela veut dire que Katzover et ses amis supporteraient des lois qui autoriseraient la limitation des naissances chez les femmes arabes cela dans le but de maintenir l’équilibre démographique en faveur des juifs ? Katzover et ses comparses supporteraient-ils le meurtre des bébés de familles arabes qui dépasseraient la limite (comme le pharaon de la bible qui s’inquiétait de l’inclinaison de la balance démographique en faveur des juifs) ? J’espère que non ! Mais une telle suggestion hypothétique est exactement ce qu’ils sous-entendent quand ils «préfèrent quelque chose de juif à quelque chose de démocratique dans les cas où les deux s’opposent».
Malgré les fortes réticences que peut soulever l’opinion de Katzover, il faut reconnaître que ses remarques sont le pendant de certaines idées émises avant lui par quelques dirigeants de l’extrême-gauche. Eux aussi reconnaissent l’existence d’une contradiction entre «Etat Juif» et «Etat démocratique» et ils demandent également qu’un choix définitif soit pris. Katzover et ses comparses leurs répondent mais, évidemment, dans une direction qui n’est absolument pas celle que les autres attendaient bien que la question ai été posée dans les mêmes termes.
Les personnes qui pensent en terme de monisme (1) -ou «un seul drapeau» comme l’exprimait Zeev Jabotinsky (2) – et brandissent une seule bannière, sont conformes à eux-mêmes lorsqu’ils optent sans hésiter soit pour la démocratie, soit pour le judaïsme. Mais en réalité la condition humaine est complexe et il y a toujours des tensions entre «identités» et «valeurs». Chacun d’entre nous est un individu avec ses propres besoins, mais nous sommes également conjoint, parent, enfant, ami et citoyen et donc constamment requis de choisir entre ces identités et les exigences qu’elles conditionnent. Est-ce qu’un d’entre nous, parce qu’il attache plus d’importance à une de ces identités, pense abandonner entièrement toutes les autres ?
Au contraire, nous pouvons considérer la tension entre judaïsme et démocratie à l’image d’un enfant qui a deux parents, chacun d’entre eux ayant sa propre conception du monde. Cet enfant aime sincèrement ses deux parents et a besoin d’eux pour son développement et pourtant il a toujours à faire des choix entre l’un et l’autre : judaïsme pour le père et démocratie pour la mère. Ce n’est pas la meilleure recette pour un développement harmonieux…
La vie publique est aussi pleine de tensions entre valeurs qui s’opposent, comme par exemple le droit de la presse et le respect de la vie privé, ou comme la prospérité économique et la justice sociale. Une société qui préfère continuellement une seule extrémité du spectre des valeurs se condamne à des souffrances. En vérité, aucune société ne peut vouloir cela. Pourquoi, par conséquent, cette demande ne se poserait que par rapport à la tension entre le judaïsme et la démocratie ?
La bonne solution est de considérer la tension entre judaïsme et démocratie comme une tension entre deux manifestations de la dignité humaine : dignité pour la personne universelle et dignité pour la personne juive qui a droit à sa souveraineté politique et culturelle. Toute tension de cette nature doit être examinée au “cas par cas”pour essayer de la résoudre avec un minimum de dommages à l’une ou l’autre de ces deux valeurs.
Finalement, c’est également une valeur universelle d’admettre que les personnes puissent avoir des identités propres qui s’inscrivent dans un cadre supérieur et souverain.
Yaïr Sheleg pour Haaretz le 22 janvier 2012 (cliquer sur ce lien pour lire l’article en anglais).
Edition et traduction par Paul Ouzi Meyerson
NOTES
1/ Monisme. En philosophie, système qui considère l’ensemble des choses comme réductible à un seul principe (opposé à dualisme, pluralisme).
2/ Zeev Jabotinsky. Une des grandes figures du sionisme et de la création de l’Etat d’Israël. Fondateur et dirigeant de la droite nationaliste, concepteur de la « muraille d’acier » (militaire) et partisan du « grand Israël ». Il s’est fortement opposé aux solutions politiques de partage avec les Arabes proposées par la gauche sioniste menée par David Ben Gourion.
3/ Image à la “Une” : paraphes de la déclaration d’indépendance de l’état d’Israël.