Il est toujours bon, pour se rendre compte du sens de l’histoire, de regarder en arrière. Il y a un an, à l’orée de 2018, notre mail de vœux était intitulé « Une nouvelle année pleine de défis ».
Un an après on constate que ces défis demeurent et deviennent même plus pressants.
En France, l’élection d’un nouveau président qui, au soir de sa victoire, avait marché sur L’Hymne à la joie, nous laissait l’espoir de voir s’ouvrir une nouvelle page de la construction européenne. Or, un an après, ce président, qui avait l’ambition de moderniser la France tout en la réconciliant avec elle-même, est affaibli par une crise sociale dont personne n’avait prédit l’ampleur. Au-delà des fractures sociales, cette crise est aussi une crise territoriale qui nous montre qu’une société ne peut se développer en abandonnant sur ses côtés les laissés pour compte d’un système qui ne bénéficie principalement qu’aux couches citadines favorisées et connectées. Cette crise est aussi révélatrice d’une remise en cause du mode de fonctionnement de nos démocraties. Il n’est plus possible, à l’heure des réseaux sociaux, de ne répondre aux attentes d’une opinion qu’au moment des échéances électorales – au risque de voir, comme c’est le cas avec la crise des Gilets jaunes, un rejet de notre modèle de démocratie représentative. Une telle remise en question, par certains qui prétendent parler « au nom du peuple », est porteuse de tous les dangers comme l’a montré l’histoire du XXème siècle. Et les actes antisémites et les déclarations complotistes ou conspirationnistes qui ont accompagné certaines des manifestations des Gilets jaunes ne peuvent que renforcer notre inquiétude.
En Israël, l’année se termine avec l’annonce d’élections anticipées pour le mois d’avril, sans doute les plus importantes depuis l’assassinat de Rabin. La coalition la plus à droite qu’ait connue le pays depuis sa création n’est plus en mesure d’aller au bout de son mandat, à cause de l’affaiblissement politique de son premier ministre. Après que la police a demandé sa mise en examen pour au moins trois des dossiers de corruption dans lesquels il est impliqué, l’avenir de Benjamin Netanyahou est entre les mains du procureur général Avishaï Mandelblit. Et il y a tout lieu de croire que ce dernier – qui a fait l’objet récemment de menaces personnelles – a décidé de le mettre en examen. La seule question en suspens est de savoir s’il le fera avant ou après les prochaines élections.
C’est pour se retrouver en position de force à ce moment, confiant dans les sondages qui donnent encore à un Likoud sous sa direction une trentaine de mandats, que Netanyahou a décidé d’appeler à des élections qu’il espère transformer en plébiscite personnel. Mais le pays a d’autres défis à affronter que celui de l’avenir d’un premier ministre qui, à l’issue de son quatrième mandat, aura eu une longévité politique supérieure à celle de David Ben Gourion, mais qui, à la différence du fondateur de l’État, le laissera à son départ – s’il n’est pas réélu – plus divisé que jamais. Et il est grand temps de répondre aux véritables défis qui sont essentiels pour l’avenir du pays.
Amos Oz, qui vient de nous quitter, en était conscient. Auteur de dizaines de livres et de centaines d’articles traduits dans des dizaines de langues, ce grand écrivain dont chaque année on attendait la nomination au prix Nobel était une des consciences morales du pays. Tel un prophète, il n’a cessé dès le lendemain de la guerre des six jours d’alerter sur les dangers de l’occupation. Membre fondateur du mouvement La Paix Maintenant, Amos Oz n’était pas un pacifiste mais un combattant pour la paix, fervent partisan de la solution des deux États.
Lors de sa dernière conférence qu’il a donnée l’été dernier à l’université de Tel Aviv, Amos Oz expliquait qu’il n’était pas sûr que l’on réussirait à aboutir à une séparation d’avec les Palestiniens, mais qu’il était certain que si l’on échouait à le faire, on aboutirait à un État binational qui finirait par devenir un État arabe. (cliquer ICI pour voir cette conférence traduite en anglais, à partir de la minute 9:40).
Son dernier livre, Chers fanatiques (traduit en français aux éditions Gallimard), résonne aujourd’hui comme un testament. Il l’a fait traduire à ses frais en arabe et en russe, l’a fait distribuer gratuitement dans les colonies israéliennes de Cisjordanie, et a fait en sorte qu’il ne coûte pas plus que le prix d’une tasse de café en librairie. Il y décrit notamment le retour de la haine qui caractérise la montée des fanatismes et des populismes aujourd’hui en Israël, comme ailleurs dans le monde. Amos Oz souligne que « les gens redécouvrent la haine. Ils se lèvent le matin, et se mettent à haïr tous ceux qui ne leur ressemblent pas ». Cela tient, selon lui, à « la distance grandissante qui nous sépare des horreurs de la première moitié du XXe siècle… À leur insu, Staline et Hitler ont transmis aux deux ou trois générations suivantes la hantise de l’extrémisme et une certaine maîtrise des pulsions fanatiques. Durant plusieurs décennies, grâce aux pires assassins du XXesiècle, les racistes avaient un peu honte de l’être. […] Depuis quelques années, c’est à croire que le « cadeau » de Staline, de Hitler ou des militaristes japonais arrive à la date de péremption. L’effet du vaccin partiel que l’on nous a injecté s’estompe. La haine, le fanatisme, la xénophobie, […] tout cela relève de nouveau la tête. »
Il nous incombe aujourd’hui de ne pas laisser s’éteindre la voix de ce prophète, et de poursuivre son engagement pour la solution des deux États et contre tous les extrémismes qui mettent en danger notre modèle de démocratie libérale, en Israël comme ailleurs dans le monde. Ce défi est le nôtre, et il est un formidable enjeu de mobilisation pour cette année nouvelle.
Nous vous souhaitons une bonne année pour vous et vos proches, en espérant que 2019 verra enfin l’élection d’une nouvelle direction politique en Israël qui remettra au centre de son programme un retour à une négociation avec les dirigeants palestiniens pour aboutir à la solution des deux États.
Dessin de Kichka