Le crépuscule du roi Bibi

Facebook
Twitter
Il faut être bien cruel pour se réjouir du sort que les électeurs ont fait au Premier ministre d’Israël. Rançon du système électoral en vigueur ici -le scrutin de listes élues à la proportionnelle stricte avec un seuil de 2%-, bâtir une coalition n’est jamais une simple affaire, même avec un parti pivot conséquent. Avec les résultats des législatives du 22 janvier, cela risque de tourner au cauchemar.
Comment Netanyahou en est-il arrivé là, lui qu’on disait gagnant à tous les coups, le maître du calendrier, l’astre autour duquel tournait l’ensemble des forces politiques du pays? C’était oublier qu’en politique comme en sport, rien n’est jamais acquis, tout est toujours possible, jusqu’au dernier moment. C’était oublier ce qu’on savait pourtant: que l’homme n’était pas vraiment aimé de ses concitoyens, et que seules la force de l’habitude (being there…) et la nullité de ses adversaires le rendaient incontournable. Nous savions qu’une forte majorité d’Israéliens ne se reconnaissait pas dans ses choix idéologiques, et, ses rodomontades au Congrès américain ou à l’ONU nonobstant, les Israéliens supportent mal l’isolement croissant de leur pays sur la scène internationale. Selon un sondage récent, 57% des électeurs de droite et plus de 80% de l’ensemble du corps électoral se disent prêts à endosser un plan de paix selon les lignes de l’accord de Genève, division de Jérusalem comprise.
Nous savions aussi que l’état de l’économie n’était pas brillant, que l’écart des revenus dans cette société jadis la plus égalitaire du monde occidental la plaçait désormais parmi les plus inégalitaires, tout juste après les États-Unis, et que la proportion des pauvres y atteint désormais le double des la moyenne observable dans les pays de l’OCDE. Lorsque les gens ne parviennent pas à boucler leur fins de mois, peut leur chaut que, considéré sous l’angle de la macro-économie, la situation est encore plus mauvaise sous d’autres cieux. Il leur arrive même de descendre massivement dans la rue, comme lors des grandes manifestations des deux étés précédents, dont ces élections sont comme le lointain écho politique. Nous savions enfin que son dernier trimestre aura été catastrophique pour le Premier ministre: réélection d’Obama, mach nul avec le Hamas à l’issue de l’opération Pilier de défense à Gaza, déficit budgétaire double de ce qui avait été prédit, mise en examen de son principal partenaire, Lieberman, pour fraude et abus de confiance…
Que, malgré tout cela, il se retrouve encore au centre du jeu, même couvert de bleus, en dit long sur l’état de délabrement de la gauche israélienne. Face à lui et à ce qu’il représente, il eût fallu une gauche conséquente, sûre d’elle-même, un “camp national” alternatif. On est loin du compte. La gauche ne s’est jamais relevée de l’épuisement du sionisme séculier, de la violence insensée de la deuxième Intifada, de l’échec du “processus de paix” qui était tout son programme, de la trahison d’Ehud Barak enfin, fossoyeur du Parti travailliste et feuille de vigne de Netanyahou au sein du gouvernement le plus droitier de l’histoire du pays. Seule des “grands” candidats, Tzipi Livni a fait de la question des Territoires son cheval de bataille. Shelly Yachimovich, elle, l’a évitée soigneusement, en axant toute sa campagne sur le “social”. Bref, en ce temps de turbulences régionales, face à des chefaillons sans envergure occupés à s’entre-déchirer, Netanyahou apparaît encore à beaucoup comme une ancre de stabilité et d’expérience dans un monde incertain et dangereux. Un choix par défaut, en quelque sorte.
Douze formations ont réussi à franchir le seuil électoral, réparties en deux blocs égaux de 60 sièges chacun. A droite, la formation du Premier ministre, Likoud-Beitenou, forgée à la veille du scrutin par l’alliance du Likoud historique et du parti ultra-nationaliste à dominante russophone Israël Beitenou d’Avigdor Lieberman, a perdu douze sièges par rapport à la précédente législature, soit un bon quart de son électorat. 31 mandats, c’est peu pour un parti pivot. Ses alliés “naturels” sont le Bayit Yehoudi (Foyer juif) de Naftali Bennett, avatar de l’antique Parti national-religieux (11 sièges), et les deux listes ultra-orthodoxes, les Séfarades de Shass et les Ashkénazes de Judaïsme de la Torah (18 au total).
Au centre et à gauche, un nouveau venu, “Yesh Atid” (” Il y a un avenir”) de Yaïr Lapid, est sorti de nulle part pour se hisser à la deuxième place du palmarès avec 19 mandats. Kadima, le grand parti centriste de la Knesset sortante, a tout juste réussi à franchir le seuil électoral avec 2 mandats. L’autre perdante du scrutin est Tzipi Livini, ancienne ministre des Affaires étrangères, dont la liste, HaTnouah (“le Mouvement”), a réussi à arracher 6 maigres mandats. A ceux-là s’ajoutent le Parti travailliste de Shelly Yachimovich (15 mandats, là où les sondages lui en faisaient miroiter plus de vingt), qui se veut au “centre”, lui aussi. Statistiquement, le Meretz, seul parti de la gauche sioniste (6 mandats, soit le double de ce qu’il avait dans la Knesset sortante), et les trois listes arabes (12 mandats) font partie du bloc de centre-gauche ; politiquement, ils sont hors jeu. Aussi bien, les 60 mandats que totalise ce soi-disant “bloc” sont purement théoriques. L’avantage, toute relatif, de Netanyahou est la division de ses adversaires.
En effet, face à un “camp national” uni autour de quelques idées fortes et simples -oui à la tradition, non au sécularisme assimilateur, oui au droit des juifs de s’implanter partout sur la terre ancestrale, non aux pressions internationales -, et, surtout, d’un leader incontesté, le bloc de centre-gauche est plus éclaté que jamais. Ses chefs, tous dotés d’un ego puissant, se détestent, s’adonnent au culte de la petite différence, et, sauf Yachimovich, et, bien sûr, Meretz et les Arabes dont de toute manière personne ne veut, ont déjà fait part de leur souhait de rejoindre la future coalition.
Alors, de quoi sera faite la coalition de Netanyahou ? Une chose est certaine : même si l’arithmétique parlementaire le lui permettait, il se garderait bien de se contenter d’une équipe constituée exclusivement de ses alliés “naturels”. Déjà, sa propre liste est sortie des primaires du Likoud fort différente de ce qu’il escomptait : ses ministres les plus libéraux éliminés comme des malpropres par les militants, il se retrouve avec un groupe parlementaire d’extrême droite, acquis aux colonies et se souciant comme d’une guigne de l’Etat de droit. Ce n’est pas avec de tels colistiers et une coalition d’extrême droite et d’ultra-orthodoxes qu’il pourra affronter un Obama qui ne cherche même plus à dissimuler le mépris où il le tient -un “couard politique”, c’est ainsi qu’il vient de le qualifier devant Geffrey Goldberg d’Atlantic, qui “entraîne son pays sur la pente d’un isolement total”.  Aussi bien, faute d’avoir gagné assez de sièges pour pouvoir imposer à des partenaires faibles une coalition docile, il sera plus que jamais obligé de composer avec des formations plus présentables.
“Yesh Atid” de Yaïr Lapid, ancien présentateur vedette de la télévision et champion autoproclamé des classes moyennes, est le candidat qui s’impose, avec un “programme” assez vague et consensuel pour plaire à tout le monde ou presque. Qui peut être contre un “partage équitable du fardeau”, des appartements plus abordables et l’électricité moins chère? Qui serait contre un règlement raisonnable avec les Palestiniens, même si, comme l’a expliqué un de ses lieutenants, “il faut être deux pour danser le tango”? Qui ne voudrait réformer le système de gouvernement, vieux serpent de mer qu’on agite depuis un demi-siècle à chaque échéance électorale? Certainement pas le Premier ministre, qui a déjà applaudi des deux mains. Lapid dedans, les autres iront à la soupe – à leurs conditions, certes, toutes fondées sur d’inébranlables principes ; mais enfin, si le bien du pays l’exige, ils se marcheront sur le cœur…
C’est dommage. Il eût mieux valu laisser Netanyahu se débrouiller avec son idéologie et ses “alliés naturels”. Non par je ne sais quel goût de la politique du pire, mais parce que la démocratie a besoin de choix clairs et d’une opposition puissante, capable le jour venu d’assurer le relève. La démocratie israélienne étouffe sous les feuilles de vigne que la “gauche” et les libéraux ne cessent d’offrir au “camp national” afin qu’il en couvre son irresponsabilité.
Prenons date tout de même. Quels que soient les aléas de la nouvelle coalition au pouvoir à Jérusalem, ces élections seront à marquer d’une pierre blanche. Souvenons-nous. Dans la foulée de la guerre du Kippour, les Travaillistes gagnent haut la main les élections de décembre 1973. Comme toujours depuis avant la création de l’Etat. Il faudra encore près de quatre ans pour que l’onde de choc partie de cette guerre-là finisse par les emporter, lors du “renversement” de mai 1977.
Cliquer source : Huffington post
Facebook
Twitter

Tribune Libre

Agenda

Atlas du conflit Israélo-Arabe

Communiqué

Facebook

Newsletter