Dessin de Kichka
Dans les années soixante-dix, Nahum Goldman, l’ancien président du Congrès Juif Mondial, m’avait dit que si le vote pour le plan du partage de la Palestine, qui a donné à l’État d’Israël sa légitimité internationale, était proposé au vote maintenant, il ne se serait pas achevé avec le même résultat. Rappelons qu’il fallait pour qu’il soit accepté que deux tiers des pays le soutiennent et que ce fut le cas à une voix près – 33 pour, 13 contre, 10 abstentions et un absent. On n’ose imaginer le résultat d’un tel vote aujourd’hui !
La reconnaissance de l’État de Palestine envisagée par plusieurs pays occidentaux, après l’annonce faite par le président Macron prévoyant de le faire au cours de l’assemblée de l’ONU en septembre prochain – alors que déjà 148 sur les 194 États présents l’ont déjà faite- vient-elle réparer l’erreur historique de ne pas avoir créé un État arabe à côté d’Israël – comme prévu dans le plan de partage – et non pas d’avoir permis la création de l’État d’Israël, comme certaines voix ne se cachent plus pour le dire ouvertement maintenant ? Erreur dont la responsabilité repose entièrement sur les États arabes et les dirigeants palestiniens d’alors qui avaient refusé le résultat de ce vote. Alors que les dirigeants juifs du Yishouv – nom de la communauté juive avant la création de l’État – l’avaient accepté, comme étant l’aboutissement des dizaines d’années de lutte, et de vingt siècles d’espoirs et de prières, des Juifs pour retrouver leur indépendance.
Près de 78 ans après ce vote, n’est-il pas temps d’essayer de mettre fin à ce conflit et d’aider ces deux peuples, traumatisés par tant de souffrances et de deuils, et hantés par des peurs qui plongent leurs racines, pour chacun, au plus profond de leur histoire, à entamer un nouveau chemin qui pourrait les mener à la seule solution où chacun aurait sa place et accepterait celle de l’autre sur ce territoire exigu, celle de deux États côte à côte ? Et est-ce que cette reconnaissance de la Palestine par des pays occidentaux peut favoriser ce processus ?
Après 22 mois de guerre et des milliers de morts de part et d’autre, jamais le fossé n’a été aussi grand entre ces deux peuples et il n’existe aucune perspective de retour à un quelconque dialogue entre leurs dirigeants actuels.
En Israël, un gouvernement mené par des ministres suprémacistes continue de lancer de nouveaux projets de construction dans les territoires occupés de façon à rendre impossible la création d’un futur État palestinien, comme celui dans la zone E1à l’Est de Jérusalem, dont le but est de couper la Cisjordanie en deux. Et de nombreux ministres ne cachent plus leur volonté de voir la réimplantation de colonies à Gaza et de pousser le maximum de Palestiniens à émigrer « volontairement ».
L’Autorité palestinienne, corrompue et vieillissante, est contestée en interne et ne tient que par le soutien des pays occidentaux. Très affaiblie, elle continue néanmoins sa coopération sécuritaire avec les Israéliens. Sous les conseils avisés de l’Élysée, Mahmoud Abbas, son président, s’est dit favorable à ce que le Hamas « dépose les armes » et « ne dirige plus Gaza » dans le cadre d’un accord en vue de la création d’un État. Mais le Hamas n’est pas prêt à le faire. Netanyahou continue d’affirmer que seule la pression militaire permettra d’éliminer le Hamas et de libérer les otages. Alors que la plupart des anciens responsables de la sécurité du pays, y compris le chef d’État-major actuel, affirment que la poursuite de la guerre, avec le projet de reconquérir les 25% du territoire non encore contrôlé par Tsahal, nécessitera beaucoup de temps – jusqu’à 2 à 3 ans pour éliminer le dernier membre du Hamas et entrainera la mort des derniers otages encore en vie aujourd’hui et celle de nombreuses nouvelles victimes de part et d’autre.
La question essentielle pour les dirigeants occidentaux, connus pour leur engagement aux côtés d’Israël depuis sa création, est alors comment sortir de l’impasse actuelle et empêcher le gouvernement Netanyahou de rendre la solution des deux États impossible à l’avenir? Leur pari, c’est de le faire en lançant une nouvelle dynamique en reconnaissant l’État de Palestine.
Tout d’abord ce serait un message fort adressé à la population palestinienne, et notamment à sa jeunesse, pour reconnaître son identité nationale et lui signifier du soutien d’une grande partie de la communauté internationale pour qu’elle puisse obtenir un jour son indépendance. En lui donnant une perspective politique, elle affaiblirait la position des extrémistes en son sein qui, par leur attaque du 7 Octobre, ont entrainé les destructions et les malheurs survenus à la population gazaouie. De plus, la reconnaissance de ce statut d’État, avec tous ses attributs symboliques, renforcerait la position des Palestiniens dans le cadre de futures négociations avec Israël qui se passeraient alors entre deux États.
Cette reconnaissance devrait, dans un premier temps, pousser à la déclaration d’un cessez-le-feu à Gaza, comme le demandent lors de leurs manifestations des centaines de milliers d’Israéliens. Celui-ci conduirait à la libération de tous les otages, à l’extension de l’aide humanitaire à la population palestinienne et à la mise à l’écart du Hamas de la gestion de ce territoire. Puis elle devrait se poursuivre par le lancement des projets de reconstruction de la bande de Gaza avec l’aide internationale et, notamment, celle des pays arabes de la région.
Cette reconnaissance par la France et les autres pays occidentaux fait l’objet de deux principaux reproches au sein des communautés juives en diaspora et en Israël, même parmi ceux qui sont convaincus de la nécessité et de l’inéluctabilité de la solution des deux États, et auxquels nous devons répondre.
Le premier reproche c’est que cette reconnaissance est un cadeau fait au Hamas qui a été le responsable des massacres du 7 Octobre, de la prise en otages de près de 250 civils et militaires et de la guerre qui s’en est suivie. Il est vrai, certes, que l’attaque du 7 Octobre a eu pour conséquence de remettre au premier plan des préoccupations internationales le conflit. Mais cet argument serait donc tout à fait audible si le Hamas avait pour objectif la création d’un État palestinien à côté d’Israël. Or cela n’a jamais été le cas. Le Hamas n’est pas mû par une idéologie nationaliste, mais par une conviction religieuse où il n’y a pas de place dans la Oumma – la communauté des musulmans dans le monde – pour un État juif. Et voir un jour la création d’un État palestinien sur une partie de la Palestine serait pour lui le pire des scénarios car il risquerait de supprimer le terreau sur lequel il se développe et assoit son emprise sur une partie des populations arabes.
Le second reproche est formulé par certains des responsables politiques israéliens, opposés à l’occupation et convaincus de la solution des deux États. Confrontés à une population israélienne toujours traumatisée par les massacres du 7 Octobre, ils sont conscients que toute solution passe d’abord par l’assurance à celle-ci d’un retour à la sécurité, la mise à l’écart du Hamas et l’établissement d’un pouvoir modéré à la direction de ce futur État. Il est donc normal que percevant la démarche du président Macron comme étant unilatérale, telle qu’ elle est généralement présentée dans les médias israéliens, ils s’y opposent parce qu’ils n’y trouvent aucune garantie. C’est pourquoi, il est absolument nécessaire que cette reconnaissance par la France et les pays occidentaux soit accompagnée d’exigences très claires à l’égard des Palestiniens. Leur futur État devra être démilitarisé et ses frontières devront être négociées avec les Israéliens sur la base de celles de 1967 et le Hamas devra être écarté de sa gestion. Ce sont à ces conditions que les Israéliens pourront être convaincus qu’il ne mettra pas en danger leur sécurité. Cette reconnaissance ne devrait pas affaiblir la gauche israélienne mais, au contraire, être une opportunité pour elle de montrer au public israélien que les pays amis d’Israël se tiennent à ses côtés pour sortir de l’impasse actuelle et répondre à ses attentes en poussant à la fin de la guerre et à la libération des otages, puis pour mettre en place un processus pour un retour aux négociations qui devront aboutir à la solution des deux États. Seule la création d’un État palestinien, à ses côtés, assoira définitivement la légitimité internationale d’Israël, acquise par un concours de circonstances historiques exceptionnelles en 1947, en lui assurant la reconnaissance des pays arabes de la région qui ne l’ont pas encore faite qui est la garantie de son intégration au Moyen Orient.
David Chemla