Cher Mohammad Assaf…

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Lettre d’un ancien soldat israélien au lauréat de l’émission «Arab Idol»

par Natan Odenheimer

 

Le 5 juillet 2013

 

Cher Mohammad Assaf, tu te demandes peut-être pourquoi un jeune Israélien comme moi t’écrit à toi, le lauréat d’«Arab Idol» [un grand concours inter-arabe de chanteurs], qui es de Gaza.

Tu penses sans doute que nous sommes très différents. Tu as raison. Nous avons grandi, toi à Gaza et moi à Jérusalem, à une heure de route l’un de l’autre; mais des années-lumière nous séparent. Aux carrefours de la vie, nous avons emprunté des chemins différents: à 20 ans tu chantais dans des mariages, alors que moi je faisais mon service militaire. Mais, malgré tout, nous avons beaucoup de points communs. Nous sommes jeunes, nous avons vu couler beaucoup trop de sang. Et, tous les deux, nous nous sentons chez nous sur ce bout de terre.

Tu es le jeune Palestinien le plus aimé du moment. Quand tu as chanté à la finale d’Arab Idol, Arabes et non-Arabes, partout dans le monde, sont tombés sous ton charme.

J’ai voulu t’écrire parce qu’au-delà de ton charme, pour les gens de Ramallah et de Khan-Yunis, tu représentes l’espoir – une denrée rare, par les temps qui courent, pour tous ceux qui habitent entre le Jourdain et la Méditerranée.

J’ai voulu t’écrire parce que, quand les gens te regardent, ils ne voient pas seulement un beau gosse qui chante bien, mais quelqu’un qui symbolise de nouvelles possibilités et qui donne envie de croire à un avenir différent de la réalité qui nous enferme.

Tu te dis sûrement: «Mais qu’est-ce je peux faire?»

Tu as toutes les raisons du monde d’être pessimiste. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a beau essayer de ramener les Israéliens et les Palestiniens à la table des négociations, mais toi et moi nous savons très bien que chez nous la plupart des gens n’y croient plus vraiment. On ne peut pas leur en vouloir, après tout ce temps et tous ces dirigeants qui nous ont déçus par leur incapacité à prendre des décisions courageuses et à faire un pas vers la réconciliation.

Mais, justement, ta voix pourrait être plus claire et plus forte que celles des dirigeants. Nombreuses sont les initiatives non conventionnelles qui ont changé le cours de l’histoire. Tu as touché le cœur et l’âme de plus de 160 millions de personnes. Un grand nombre d’Israéliens n’ont pas le profile de tes fans, et néanmoins nous ne sommes pas si différents. Quand la musique est prenante, on n’y reste pas insensible. Avec ta belle voix, tu peux transmettre plus qu’aucun politicien.

Tu te dis sûrement: «Ces gens-là ne veulent pas la paix avec nous». Il est vrai que les Israéliens ont du mal à croire à une éventuelle solution au conflit – non pas parce qu’ils sont contre, mais plutôt parce qu’un ancien premier ministre nous a dit que nous n’avions pas de partenaire pour cette paix. Vraie ou fausse, cette phrase, la plupart d’entre nous l’ont encore à l’esprit aujourd’hui. Mais, à vrai dire, même les plus pessimistes espèrent en leur for intérieur avoir tort.

Dans la Bible, il est dit qu’«un bon voisin vaut mieux qu’un lointain ami». Le monde entier a beau t’aimer et compatir avec toi, c’est à nous que tu as affaire, et vice versa. S’il te plaît, adresse-toi aussi à nous! Sois aussi notre «nouvelle star».

Tu as 23 ans, moi j’en aurais bientôt 25. Nous sommes jeunes, mais nous ne sommes plus des enfants. Quand j’avais 15 ans, j’ai lu dans un livre américain que «le signe de l’immaturité chez un homme, c’est de vouloir mourir pour une noble cause, alors que la maturité c’est de vouloir vivre en toute humilité». Aujourd’hui, cette phrase me parle enfin, au-delà d’une belle citation de l’auteur d’un roman. J’ai été soldat; je sais ce que veut dire d’être prêt à mourir pour une cause. Or je préfère vivre à tes côtés, sur ce bout de terre, plutôt que de donner ma vie pour que d’autres personnes puissent continuer à y vivre sans la partager.

Regarde-moi, parce que tu n’as pas le choix. Moi aussi, je suis dans le même cas que toi. Nous sommes tous les deux coincés ici, sans pouvoir aller nulle part ailleurs. Ce n’est pas obligatoirement une mauvaise chose.

Tu as une belle voix. Toute la jeunesse palestinienne et arabe t’écoute, et nous aussi. Tu peux chanter une nouvelle histoire, qui ne dira pas «nous n’avons pas de partenaire pour la paix». Ce sera une chanson qui honore sinon l’amour, du moins la vie. J’écrirais bien la chanson, si tu la chantais.

Mabrouk – ou, comme on dit en hébreu, Mazal tov [félicitations].

 

Natan Odenheimer est étudiant en deuxième année à l’Université Brandeis [une grande université située non loin de Boston, portant le nom de Louis Brandeis (1856-1941), qui fut le premier Juif nommé juge à la Cour suprême des Etats-Unis et un des dirigeants du mouvement sioniste américain]. Il est également le correspondant du magazine israélien Educational Echos aux Etats-Unis et écrit occasionnellement pour les journaux Haaretz, The Forward, The Times of Israel, Ynet et Eretz Acheret. En ce moment, il participe au programme New Story Leadership tout en effectuant un stage au sein du groupe de travail American Task Force on Palestine. Vous pouvez le suivre sur Twitter @odinatan.
Cet article a été écrit pour Common Ground News Service (CGNews)

 

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