Les deux boussoles

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Manifestants israéliens portant des photos des enfants palestiniens tués à Gaza pendant la manifestation samedi 7 juin à Tel Aviv. Photo Roy Schwartz

 

Dans le flux continu de l’actualité venant du Moyen Orient, les évènements prévus ces prochains jours marqueront peut être un tournant.

Tout d’abord en Israël, où le cap des 600 jours de détention des otages a été dépassé, sans aucune avancée pour un cessez-le-feu seul capable de les ramener vivants, la possibilité que Netanyahou perde sa majorité à la Knesset est de plus en plus envisagée, sans être probable. Son gouvernement risque de tomber non pas à cause de sa responsabilité dans l’échec du 7 Octobre, ni celle de la conduite d’une guerre, qui a dépassé par sa durée celle de 1948, causant la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens sans avoir réussi à « éradiquer le Hamas », ni à cause de la situation des réservistes, fatigués après plus de 200 jours de mobilisation et de plus en plus nombreux à refuser de répondre aux convocations de l’armée, ni à cause de la détérioration de  la position d’Israël sur la scène internationale … Non, il risque de tomber à cause de la loi dispensant les orthodoxes de faire leur service militaire qu’une partie des députés du Likoud refuse de voter, ce qui pourrait pousser les partis orthodoxes à ne plus soutenir ce gouvernement. Seulement 1345 sur les 24000 jeunes orthodoxes mobilisés cette année ont répondu à l’appel, soit un peu plus de 5%, alors que l’armée annonce qu’il lui manque 10000 hommes. Netanyahou doit tenir sa coalition encore pendant 7 semaines pour arriver aux vacances parlementaires d’automne. Il le fait en  multipliant les cadeaux à ses alliés, en espérant pouvoir regagner le crédit qu’il a perdu auprès de la majorité de la population où près de 70 % souhaite le voir quitter le pouvoir.

Au siège des Nations Unis à New York ensuite, où à une semaine d’une conférence pour la paix, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, on ne sait toujours pas si celle-ci va aboutir à la reconnaissance de l’État de Palestine par la France et par d’autres pays européens à sa suite. Pour la préparer, le président Macron organise le 13 juin à Paris une conférence où sont attendus plusieurs centaines de représentants des ONG israéliennes et palestiniennes, et françaises, engagées pour la paix. Il attend de cette réunion, où nous serons présents, qu’elle se termine par un « call to action » au président, le mandatant pour faire avancer la solution des deux États à New York. Dans notre précédente newsletter nous avons appelé la France à reconnaître l’État de Palestine. En retour, nous avons reçu un certain nombre de critiques où revenaient toujours les mêmes arguments : « Vous faites un cadeau au Hamas », « Quels sont les partenaires palestiniens ? », « Ce sont des bons sentiments inutiles et inefficaces qui ne font pas avancer la paix, alors que des deux côtés il y a un rejet de la solution à deux États »….  Nous devons répondre à ces critiques légitimes, qui traduisent, pour certains de ceux qui les profèrent, une réelle inquiétude.

Tout d’abord, rappelons une fois de plus qu’il n’y a pas d’autre alternative que la solution à deux Etats si l’on veut mettre fin à ce conflit. C’est à la fois une question de justice, pour répondre aux revendications des deux peuples, qu’une constatation de real politique. A part l’extrême droite israélienne, guidée par une idéologie messianiste, la majorité de la population israélienne en est d’ailleurs convaincue selon un sondage récent réalisé par Allmep, l’Alliance for Middle East Peace. Quant à l’existence de partenaires palestiniens, malgré l’asymétrie dans la situation des deux populations et la poursuite de la guerre, le fait même que les ONG engagées dans le dialogue et pour la paix, puissent continuer à travailler ensemble et se retrouver cette semaine à Paris, est une nouvelle preuve de leur existence, et réciproquement pour les Palestiniens.

Il reste la question du « timing ». Pourquoi appeler à celle reconnaissance maintenant ? C’est justement au moment où on se trouve dans la phase la plus aigüe de ce conflit centenaire, où les deux populations sont enfermées chacune dans leur propre douleur, causée, pour l’une, par le traumatisme du 7 octobre ravivé quotidiennement par le rappel de la situation des otages et l’annonce des morts à l’armée, et, pour l’autre, en Cisjordanie par la confrontation à la violence et aux exactions des colons et à Gaza par la quête quotidienne de nourriture et d’un abri pour survivre aux bombardements, qu’il faut donner aux deux peuples une perspective de sortie de cette impasse.

Enfin il y a un dernier sujet sur lequel nous devons nous exprimer très fortement. C’est la condamnation de toutes les attaques personnelles à l’encontre de personnalités juives, proches de nous pour certaines, qui ont critiqué les actions du gouvernement israélien pour sa conduite de la guerre à Gaza. Et cela nous devons le faire, non seulement comme l’a rappelé très justement Yonathan Arfi, le président du CRIF, parce que « chacun est libre de s’exprimer et de partager son questionnement politique ou moral » et que « …de tous temps, les Juifs ont pu débattre, diverger, s’opposer précisément parce que la liberté de pensée, la liberté d’expression et le pluralisme sont au cœur des valeurs juives et de notre vision du débat démocratique». Nous devons le faire parce que cette critique que nous partageons, nous la faisons non pas pour nous faire bien voir par nos concitoyens non juifs ou pour être invités sur les plateaux de télévision. Nous le faisons comme l’écrit Delphine Horvilleur, la rabbin du MJLF (JEM) à Paris « précisément par amour d’Israël … et par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. » Depuis le lancement de JCall, nous avons toujours eu deux boussoles pour décider de nos actions : une boussole politique et une boussole morale. Sur le plan politique, nous avons déjà largement expliqué les raisons qui nous ont conduit à condamner les choix du gouvernement israélien qui le mènent dans une impasse. Sur le plan moral, quelles que soient les responsabilités du Hamas dans la tragédie palestinienne – et elles sont majeures- , nous ne pouvons plus rester indifférents et silencieux devant le nombre de victimes civiles qui s’ajoutent chaque jour à Gaza. De plus en plus d’Israéliens en sont conscients quand ils manifestent chaque samedi en tenant des photos d’enfants palestiniens morts à Gaza. Toutes nos valeurs, qu’on les puise dans le judaïsme ou dans l’humanisme, toutes ces valeurs qui sont le socle moral sur lequel Israël a été créé, nous imposent aujourd’hui de dire « Cela suffit ! » Il  faut mettre fin à cette guerre, qui est la condition pour libérer les otages, mettre en place une alternative au Hamas pour gérer la situation de la population à Gaza avec les soutiens des pays arabes et des pays occidentaux. Puis, pour ne plus avoir dans quelques années à se retrouver dans la même situation et pour que cette guerre soit la dernière, il faut qu’enfin Israéliens et Palestiniens puissent entamer des négociations pour une solution définitive au conflit.

David Chemla

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