Dessin de Kichka
La décision prise par la Cour Pénale Internationale (CPI) d’émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité a fait la une de la presse dans le monde et a mobilisé contre elle les représentants de tous les partis sionistes en Israël.
Condamner ces deux dirigeants, – en ouvrant la porte potentiellement à d’autres condamnations à l’avenir pour des officiers ou des soldats -, à cause de la conduite d’une guerre déclenchée suite à la plus terrible des attaques que le pays ait subie depuis sa création, a été perçue en Israël comme une condamnation de toute sa population. Voir leurs dirigeants mis sur le même banc des accusés qu’un certain nombre de dictateurs dans le monde comme, pour en citer quelques-uns, le congolais Jean-Pierre Bemba – qui a vu sa condamnation par la suite annulée en appel -, les ougandais Dominici Ongwen et Joseph Kony ou le libérien Charles Taylor, sans oublier plus récemment Vladimir Poutine, est vécu comme un affront pour la démocratie israélienne.
Cette décision de la CPI est condamnée même par Mme Gali Baharav-Miara, la procureure générale qui est aujourd’hui attaquée par les ministres bibistes les plus extrêmes et par certains médias à cause de son engagement pour protéger la démocratie israélienne contre les projets de ce gouvernement d’achever sa mainmise sur les rouages de l’État. Elle écrit dans son communiqué que cette sentence était « sans fondement, regrettable et fondamentalement erronée d’un point de vue juridique ».
Rappelons qu’à la différence de la Cour Internationale de Justice (CIJ), qui fait partie de l’ONU et a pouvoir sur tous ses membres, seuls les États qui ont ratifié le traité de Rome, à l’origine de la CPI, lui reconnaissent ses compétences. Ce qui n’est pas le cas d’Israël et d’une soixantaine d’autres États membres de l’ONU.
Rappelons surtout que cette Cour ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la capacité de rendre justice elles-mêmes (principe de complémentarité), ce qui veut dire qu’elle ne doit intervenir que lorsque les systèmes internes sont défaillants. Ce qui n’est pas encore le cas en Israël aujourd’hui.
C’est cette raison qu’invoque Mme Baharav-Miara pour condamner la décision de la CPI. Elle rappelle que « L’État d’Israël est attaché aux principes de l’État de droit et dispose de mécanismes indépendants, impartiaux et professionnels, tant militaires que civils, pour enquêter sur les allégations de violations présumées du droit international, tant en ce qui concerne les questions politiques que les cas individuels. »
Rappeler ces faits n’est en rien prendre position pour juger sur le fond du jugement de la CPI sur la façon dont Israël mène depuis plus d’un an une guerre à Gaza dans des conditions dans lesquelles aucune armée dans le monde ne s’est trouvée jusqu’à présent, dans un environnement opérationnel très difficile, dans un milieu urbain très dense où les miliciens du Hamas se cachent au milieu de la population civile, avec des combats se déroulant en surface, mais aussi en sous-sol dans les tunnels.
Néanmoins, beaucoup de questions se posent sur la conduite de cette guerre et, notamment, sur l’ampleur des bombardements qui ont causé des milliers de victimes parmi la population civile palestinienne. Beaucoup de questions se posent aussi sur l’approvisionnement de l’aide humanitaire à la population dont même les États-Unis ont dit qu’elle était insuffisante en demandant à Israël de laisser entrer 350 camions par jour dans la bande de Gaza.
Seule une commission d’enquête d’État indépendante du gouvernement pourrait statuer sur ces accusations. C’est ce que demande près de 80 % de la population israélienne, et tous les responsables de l’armée et des autres organismes de sécurité du pays pour analyser les défaillances qui ont prévalu au 7 octobre.
C’est ce que demande aussi, depuis plusieurs mois, la procureure générale quand elle exhorte Netanyahou à cesser de bloquer le lancement de cette commission sur la gestion par le gouvernement de la guerre. Alors que ce serait, dit-elle, le seul moyen de repousser les actions intentées contre Israël devant les tribunaux internationaux.
Mais Netanyahou s’y oppose, comme il se refuse à définir un objectif de sortie de cette guerre malgré les demandes de l’État-major. Sa principale préoccupation restant pour lui de conserver sa coalition, alors qu’il est convoqué dans une dizaine de jours pour la reprise de son procès, il laisse toute liberté d’action à ses ministres extrémistes. Itamar Ben Gvir, le ministre de la sécurité nationale, poursuit ainsi son projet de main mise sur la police, à tel point que la procureure générale a demandé récemment à Netanyahou d’envisager son renvoi. Quant à Bezalel Smotrich, il prépare la recolonisation d’une partie de la bande de Gaza et annonce que 2025 sera l’année de l’annexion de la Cisjordanie. La position d’Israël sur la scène internationale serait tout autre s’il poursuivait en justice les colons qui commettent des exactions contre les Palestiniens en Cisjordanie ou les civils qui tentent d’empêcher l’entrée des camions apportant de l’aide humanitaire à Gaza.
Avec ce gouvernement, Israël s’enfonce de plus en plus dans une impasse qui met en danger sa survie en tant qu’État juif et démocratique. Nous analyserons cette situation au cours du colloque que nous organisons le 7 décembre à la mairie du 11ème. Vous retrouverez le programme sur notre site. Les inscriptions étant closes, vous pourrez le suivre en direct sur notre chaîne YouTube TvJCall toute la journée.
Parmi les intervenants au colloque, nous avons interviewé Or-ly Barlev, qui est une journaliste indépendante et une activiste qui accompagne et documente depuis sa création le mouvement de contestation contre les projets de ce gouvernement et pour la libération des otages. Elle vient de diffuser une courte vidéo qui explique les douze raisons pour lesquelles Netanyahou veut limoger la procureure générale et le Chef du Shin Bet (Shabak). Vous pouvez la voir sur la chaîne du Collectif Sauver la Démocratie Israélienne.