Harris et le piège déjoué du sujet d’Israël

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La guerre Israël-Hamas a révélé des factures au sein du Parti démocrate que le Parti républicain (GOP) a tenté d’exploiter, avec un succès très relatif, en tous les cas pour le moment.

Biden, le visage du soutien à Israel dans un parti démocrate divisé

Depuis le 7 octobre, le président Joe Biden a manifesté un soutien quasiment sans faille à Israël, en montrant non seulement une réelle empathie, mais en accordant une aide à Israël quasiment illimitée, et en s’engageant personnellement sur le sujet des otages.

Il est devenu ainsi le réceptacle de la colère des militants propalestiniens, plus que son administration et donc Kamala Harris. « Genocide Joe » est ainsi devenu un slogan en vogue lors des manifestations contre Israël.

Lors de la primaire démocrate, le mouvement « Uncommitted » a obtenu de réels succès d’estime dans des états clé comme le Wisconsin ou le Michigan, voulant marquer par leur vote (assimilable à un vote « blanc » en France) leur défiance envers Biden et sa politique. Dans le décrochage de Biden dans les sondages chez les jeunes et les minorités, le rôle de sa politique envers Israël a joué un rôle certain (mais non quantifiable).

Son renoncement a largement évacué cette question, sans l’effacer. Kamala Harris n’incarne pas cette politique, bien qu’elle la soutienne. Cela n’empêche pas le Parti républicain de chercher à souffler sur les braises, voyant dans ce sujet un thème particulièrement porteur.

Israël, un thème exploité par le GOP

Les images des campus occupés par des militants propalestiniens avec des propos parfois antisémites ont représenté une divine surprise pour les Républicains. Ils pouvaient pointer l’antisémitisme endémique de la jeunesse progressiste des campus des Côtes est et Ouest, vilipendes depuis des années par ce parti comme symboles d’élites déconnectées du pays profond, et y associer le Parti démocrate dans leur dénonciation.

L’audition désastreuse de 3 présidentes d’université, ayant toutes démissionné depuis, a permis à la députée républicaine Elise Stefanik d’étriller la pensée progressiste, bien au dela des réponses parfois lunaires et déconnectées de ces présidentes, et s’en servir plus largement dans la guerre culturelle qui fait rage entre conservateurs et progressistes.

Le Parti républicain pouvait ainsi utiliser les images des campements sur les campus et ces auditions pour porter une critique plus globale de l’aile gauche du Parti démocrate qui aurait selon eux poussé le Parti à devenir anti-israélien. Il pouvait ainsi pointer le contraste entre les Démocrates et eux-mêmes, et en particulier Trump, présenté en son temps par Netanyahu comme le « meilleur ami qu’Israel ait jamais eu à la Maison Blanche », notamment avec le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ou la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan.

Au-delà du vote juif trop faible numériquement pour être véritablement intéressant (et les Juifs américains ne se positionnent que peu sur Israël dans leurs choix politiques), ce tropisme pro-israélien sert le Parti républicain auprès de sa base évangélique chrétienne, tres pro-israélienne (version Likoud-National religieux), qui voit dans la présence des Juifs en terre d’Israël la condition au retour du Christ sur la terre.

Par ailleurs, Israël demeure largement populaire aux États Unis, avec 64% des Américains ayant une opinion favorable du peuple israélien, et il est électoralement intéressant de se présenter comme un parti pro-israélien de pointer les défaillances du Parti démocrate en la matière. C’est à cette aune, idéologique et pragmatique, qu’il faut comprendre la volonté de dépeindre le Parti démocrate comme « wokisé », gauchisé sur tous les plans dont Israël, éloigné des préoccupations du peuple américain, et même antisémite.

C’est dans ce contexte que la nomination du colistier de Harris a représenté une opportunité en or que les Républicains se faisaient fort d’exploiter.

Le choix du colistier, délicat mais bien géré par les Démocrates

Le gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro, était le favori pour être le colistier de Kamala Harris. Jeune gouverneur très populaire d’un état clé absolument stratégique, modéré et charismatique, il a longtemps cru être choisi. C’est finalement le gouverneur d’un autre État du Midwest, le Minnesota, qui devait être l’heureux élu, ce qui devait déclencher de nouvelles attaques.

En fait, le Parti républicain a « expliqué » cette nomination par le supposé biais anti-israélien et antisémite du Parti démocrate, otage de son aile gauche woke. Il est exact que des attaques lamentables ont visé Josh Shapiro sur son positionnement envers Israël, pourtant en tous points similaires à celui de Tim Walz, la seule caractéristique différenciant les deux étant la judéité de Josh Shapiro. Il y avait donc de l’antisémitisme dans certaines accusations, mais y voir un reflet d’un prisme anti-israélien voire antisémite de Harris était de la mauvaise foi, qui a permis de souffler sur les braises d’un thème porteur pour le GOP.

Il est exact cependant que Shapiro s’était plus exprimé sur Israël que Walz, et il est possible que dans les différents critères retenus par Harris, la volonté de neutraliser le sujet Israël ait joué, au milieu d’autres facteurs comme l’expérience politique nationale (2 ans pour Shapiro, 15 ans pour Walz), le passé de coach de foot en milieu rural contre un profil plus classique pour Shapiro, qui permettaient à Harris de cibler plus efficacement une clientèle électorale ayant déserté le Parti démocrate, les milieux populaires blancs du Midwest.

L’énergie de Walz, le fort mouvement unitaire au sein du Parti démocrate ont permis de vite évacuer cette polémique naissante sur les critères de choix de Walz. Pour le GOP, un autre moment allait présenter une autre opportunité, qui serait là aussi déçue…

Une convention ayant évité les pièges

Avant le début de sa convention de Chicago, le Parti démocrate craignait fortement que celle-ci soit massivement perturbée par les pro Palestiniens. Il planait sur cette convention le spectre de celle de 1968 (qui se tenait aussi à Chicago), que les opposants à la guerre du Vietnam avaient très fortement perturbée, montrant une ville en état de siège, un parti divisé, ce qui devait contribuer à donner la victoire (de justesse) au républicain Richard Nixon en novembre de cette année-là.

Si des activistes propalestiniens étaient effectivement présents, à l’intérieur et à l’extérieur, ils ont été moins nombreux que prévu et surtout moins perturbateurs qu’attendu. Le Parti démocrate avait décidé de tolérer des activistes dans l’enceinte de la convention, mais sans leur laisser la possibilité de s’exprimer. Cela a occasionné des frustrations chez ces militants mais celles-ci ont été finalement limitées.

La faiblesse de la contestation était d’autant plus notable et inattendue que la plateforme du Parti Démocrate est restée assez nettement pro-Israël, dans la continuité de la politique menée par Joe Biden sur ce sujet, et que le discours de Kamala Harris n’a montré aucune inflexion sur ce dossier hautement sensible.

Pour le Parti républicain, la bonne tenue de la Convention démocrate a été une grosse déception, ne leur permettant pas de pointer un parti miné par les agitateurs et dérivant vers un positionnement anti-Israël.

La foule chantant « Bring them Home” (Ramenez les à la maison) devant le discours poignant des parents de l’otage israélo-américain Hersh Goldberg-Polin (assassiné depuis par le Hamas) rendait même impossibles les accusations de tropisme anti-Israël, mais ce thème des otages devait très rapidement offrir un nouvel angle d’attaque aux Républicains.

 Le sort des otages, nouvel angle d’attaque pour les Républicains

La tragédie des otages a longtemps été un objet de consensus entre Démocrates et Républicains, et chaque convention a accueilli une famille d’otages. L’exécution de 6 d’entre eux par le Hamas devait changer la donne, avec Trump se saisissant de ce crime pour accuser Biden et Harris d’avoir lâché Israël et causé ainsi la mort des otages, étant rejoint par deux sénateurs républicains importants, Tom Cotton et Rick Scot, malgré la volonté exprimée par les familles des otages de ne pas politiser leur cause.

Cette accusation injuste était aussi un moyen de prendre parti pour Netanyahu contre Biden, avec un premier ministre israélien justifiant une nouvelle fois son titre de « sénateur MAGA de Jérusalem », selon l’expression d’Alon Pinkas, ancien consul d’Israël à New York et ancien conseiller d’Ehud Barak et Shimon Peres, un Netanyahu qui cache mal son souhait de voir Trump triompher en novembre sur Harris.

Le GOP a surfé sur cette accusation d’avoir « abandonné Israël » pour pointer plus largement la « faiblesse » de la politique étrangère de Biden, et redoubler de vigueur contre Kamala Harris, « otage du Squad » et « anti-israélienne », voire antisémite.  Ces attaques très violentes ont été au cœur de la Convention des Juifs républicains à Las Vegas début septembre, marquant une nouvelle fois la volonté du GOP de politiser au maximum le soutien à Israël, pour affaiblir le Parti démocrate sur cette question.

Un alignement des planètes, au moins pour l’instant

Pour l’instant, les multiples accusations et peaux de banane des Républicains sur Israël n’ont pas suffi à ébranler significativement Kamala Harris, avec peu de perturbations de ses meetings, peu ou pas de bureaux électoraux pris pour cibles ou d’attaques dans la presse.

Sur l’antisémitisme qui définirait le Parti démocrate, les nombreuses saillies de Trump sur les Juifs déloyaux et fous quand ils votent démocrate (ce qu’ils font à 70% depuis près de 100 ans) rendent cette accusation ridicule, alors que le mari juif de Kamala Harris, Doug Emhoff, est un visage avenant et très populaire de sa campagne.

Le bilan de Biden, et donc de Harris, rend difficilement crédibles les accusations de lâchage d’Israel. En parallèle, la magie Netanyahu n’opère plus de la même façon, et il suffit de voir le soutien des Américains à son gouvernement, très en deçà du soutien à Israël plus généralement (41% des Américains soutiennent le gouvernement israélien, contre un soutien à 64% pour le peuple israélien)

Surtout, il semble que la menace Trump oblige le Parti démocrate, et au-delà, à s’unir et à ne pas se diviser sur ce sujet, aussi important ou sensible soit-il.

Cet état des lieux aujourd’hui ne signifie en aucune façon que le sujet n’existe plus. Un embrasement régional, une nouvelle intifada, le retour des étudiants pourraient bien mettre cette question au premier rang, mais sauf si le Michigan était l’État décisif de l’élection se jouant à 20 000 voix d’écart, Israël n’aura été qu’un thème parmi d’autres dans cette élection décisive pour l’avenir des États-Unis et du monde, sans trop perturber le Parti démocrate.

 

Sébastien Lévi

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