A l’invitation de JCall Europe, Denis CHARBIT et Mossi RAZ ont commenté la nouvelle initiative pour la paix entre Israéliens et Palestiniens, menée tambour battant par John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain (1). Plus de 120 personnes ont participé à cette conférence donnée à Paris, ce jeudi 6 février, au Cercle Bernard Lazare. Ci-dessus, sur la photo de la Conférence JCall, on reconnaît de gauche à droite : Denis Charbit, David Chemla (secrétaire général européen JCall), Mossi Raz et Claude Hempel (rédacteur en chef des Cahiers Bernard Lazare).
Denis Charbit s’est dit convaincu que la négociation entre Israël, les Palestiniens, leurs voisins arabes, les Etats-Unis et l’Union Européenne était déjà poussée très loin et que l’heure de vérité politique était arrivée pour Benjamin Netanyahou, Premier ministre de l’Etat d’Israël. Pour lui, les circonstances historiques ne justifient plus l’argument du statu quo que Benjamin Netanyahou mettait en avant pour expliquer ses réticences quant à l’ouverture des pourparlers sur la création d’un Etat Palestinien à côté d’Israël, bien qu’il se soit théoriquement déclaré en faveur de cette solution.
Mossi Raz a estimé que si Benjamin Netanyahou continuait de freiner le nouveau processus de paix entamé par le Secrétaire d’Etat américain, le camp de la paix en Israël devrait se mobiliser largement pour faire pression sur son gouvernement. Dans le cas d’un refus israélien, les menaces internationales de boycott économique risquent de se réaliser. Les deux intervenants s’attendent à ce qu’une scission se produise au sein du Likoud (droite nationaliste) mais espèrent voir se former une nouvelle coalition gouvernementale avec les Travaillistes, le Parti de Yaïr Lapid et le Shass, afin que les modalités de l’accord de paix puissent se négocier sans entraves systématiques.
Denis CHARBIT est professeur de sciences politiques à l’Université ouverte de Tel-Aviv. Il est l’auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages sur Israël, le Moyen Orient et le monde juif. Il a publié, notamment, un livre de référence : « Qu’est-ce que le sionisme? » (A. Michel, 2007) et, plus récemment : « Les intellectuels français et Israël 1948-2000 » (Hachette, 2009).
Denis Charbit ouvre le débat en constatant que « le travail effectué par John Kerry pour mettre au point un accord cadre (1) est un événement important qu’il faut prendre au sérieux ». Pourquoi faut-il le prendre au sérieux ? « Parce que les efforts diplomatiques déployés par le Secrétaire d’Etat américain sont susceptibles de créer un cercle vertueux en Israël, en Diaspora et en Palestine. Après des années de méfiance réciproque, après l’échec des accords d’Oslo, la deuxième Intifada et les guerres à Gaza, la mise sous pression des responsables politiques israéliens et palestiniens par les Etats-Unis, certains de leurs alliés arabes et européens, peut faire évoluer la situation vers un accord de paix ». Denis Charbit, estime que la « relative indifférence de l’opinion israélienne par rapport à l’initiative Kerry n’est pas une mauvaise nouvelle car le Secrétaire d’Etat américain n’est pas antipathique aux israéliens qui lui reconnaissent une certaine constance et une véritable opiniâtreté ».
En ce qui concerne la situation politique générale en Israël, en Palestine et au Moyen-Orient, Denis Charbit juge que « les circonstances ne justifient plus l’argument du statu quo que Benjamin Netanyahou mettait en avant pour expliquer ses réticences quant à l’ouverture des pourparlers sur la création d’un Etat Palestinien à coté d’Israël, bien qu’il se soit théoriquement déclaré en faveur de cette solution (2). Le Premier ministre israélien a toujours défini son attitude comme réaliste en se référant à l’instabilité chronique régionale liée au « Printemps arabe », instabilité qui ne favoriserait pas l’ouverture de négociations avec d’hypothétiques gouvernements et pour des résultats improbables ». Par ailleurs, rappelle Denis Charbit, «ces dernières années, le conflit israélo-palestinien était vu par l’ensemble de la diplomatie internationale comme un conflit de basse intensité et de moindre importance, la priorité étant donnée à la question du nucléaire militaire iranien et à la nécessité d’arrêter sa progression ». Cependant, souligne Denis Charbit, « la situation n’a pas évolué comme le pensait Netanyahou qui a échoué dans sa stratégie de mobiliser les grandes puissances du Conseil de sécurité de l’ONU contre le nucléaire militaire iranien. Les négociations de Genève (3) menées par les Américains et les Russes ont conduit à une levée partielle de l’embargo sur l’Iran et à des négociations conditionnelles avec la République Islamique ».
Denis Charbit relève que sous l’administration Obama les relations entre Israël et les Etats-Unis se sont modifiées, « avec le Président américain actuel, ce n’est plus pareil qu’à l’époque Bush-Sharon, le gouvernement de Jérusalem a moins les coudées franches, les U.S.A. restent toujours le plus fidèle et le plus proche des alliés mais il n’y a plus d’inconditionnalité ». Une constante demeure, ajoute Denis Charbit, « les israéliens se sentent toujours proches des Etats-Unis et ce pays reste un des très rares dans lequel ils ont une relative confiance. Cette confiance est confortée par les nouveaux rapports de force au Moyen-Orient car, en dehors de l’Iran, aucun pays arabe et aucune puissance armée, même le Hezbollah très fortement impliqué dans la guerre civile syrienne, ne peut menacer fondamentalement la sécurité d’Israël. Il faut ajouter à cela que la découverte de gaz en grande quantité (4) a rassuré le pays sur son indépendance énergétique ».
Denis Charbit est convaincu que les pourparlers entre Israël, les Palestiniens, certains voisins arabes, les Etats-Unis et l’Union Européenne sont déjà poussés très loin. Il explique que « la proposition du Président Mahmoud Abbas de remplacer l’armée israélienne aux frontières de la future Palestine, dans la vallée du Jourdain, par des troupes de l’OTAN (5), et cela pendant cinq ans, c’est déjà de la négociation sur des points fondamentaux liés à la sécurité d’Israël. Et quand l’Union Européenne se met à menacer de divers boycott le gouvernement de Jérusalem, c’est aussi de la négociation car ce ne sont plus les habituels olibrius du BDS qui s’expriment ». Poursuivant son raisonnement, Denis Charbit observe que «l’opposition nationaliste est le dos au mur et les vives réactions de Bennet (6) et de Yaalon (7) sont la preuve de leur inquiétude face aux avancées de l’initiative Kerry. Récemment Yaïr Lapid (8), Ministre des finances, a commandé à ses services une étude sur les retombés économiques d’un boycott émanant de l’Union Européenne » (9).
Denis Charbit considère qu’il faut se mobiliser pour soutenir l’initiative de paix menée par John Kerry : « C’est l’heure de vérité pour Benyamin Netanyahou qui s’est déclaré favorable à la solution deux Etats pour deux Peuples ! Il doit vraiment entrer dans la négociation. Il rencontrera certainement de très fortes oppositions dans son propre camp et celui-ci risque de se scinder en deux, avec d’un coté un Likoud « réaliste » et de l’autre une droite nationale religieuse idéologique. Mais, pour négocier la paix, le Premier ministre de l’Etat d’Israël pourra s’appuyer à la Knesset sur une coalition gouvernementale majoritaire de rechange en s’associant avec le Parti Travailliste, le Shass (10) et Yesh Hatid ».
Mossi RAZ est co-directeur de « All for Peace », une radio israélo-palestinienne indépendante émettant de Jérusalem. Ancien Secrétaire général du mouvement Shalom Archav (« Peace now »), il a été élu député à la Knesset (Parlement israélien) sur la liste du Parti Meretz (gauche sioniste) entre 2000 et 2003.
Mossi RAZ intervient dans le débat, il reconnaît qu’il ne sait pas encore si l’initiative de John Kerry aboutira et deviendra un « moment historique ». Mais, affirme Mossi Raz, « en tant que militant de la paix c’est notre rôle de tout faire pour soutenir le processus en cours et d’agir politiquement pour qu’il devienne un moment historique. Nous devons parvenir à l’objectif de cohabitation des deux peuples dans deux états, toutes les occasions sont bonnes ».
Mossi Raz estime qu’une question demeure essentielle : « Benjamin Netanyahou soutiendra-t-il ou ne soutiendra-t-il pas la démarche de John Kerry ? Si le Premier Ministre de l’Etat d’Israël freine à s’engager dans le nouveau processus de paix entamé par le Secrétaire d’Etat américain, alors le camp de la paix en Israël devra largement se mobiliser pour faire pression sur Benjamin Netanyahou et son gouvernement ».
Mossi Raz souligne qu’il n’est pas en faveur des campagnes de boycott anti-israélien, qu’il juge contre-productif, car « souvent elles ostracisent des catégories de la population israélienne qui sont défavorables à la politique d’implantation dans les Territoires Palestiniens, comme les universitaires (11). De plus, elles ont pour effet de braquer l’opinion publique israélienne et de la détourner vers des positions nationaliste ».
Cependant, nuance Mossi Raz, « si je suis attentif aux menaces de boycott émises par l’Union Européenne contre les produits israéliens fabriqués en Cisjordanie, je constate que ces menaces économiques ont un impact sur une grande partie de la population, sur les patrons israéliens (12) et sur le Ministère des finances, Yaïr Lapid, en premier lieu. Tout le monde a compris dans le pays qu’un boycott économique aura un impact financier sur chaque famille. J’espère donc que les pressions du camp de la paix en Israël et le risque d’un boycott international conduiront Benjamin Netanyahou à s’impliquer positivement dans les nouvelles négociations entreprises par Kerry pour trouver un accord de paix entre nous et les Palestiniens. Le camp de la paix doit se mobiliser davantage, nous avons mené des actions d’information récemment sur tous les grands carrefours routiers d’Israël et d’autres actions sont prévues dans les prochaines semaines». Mossi Raz compte également sur le vif attachement de l’opinion israélienne à son alliance avec l’Amérique pour que l’initiative Kerry puisse se poursuivre jusqu’à son terme : « la politique de développement des implantations en Cisjordanie ne convient pas à l’administration Obama et les israéliens tiennent beaucoup à avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis, c’est rassurant pour nous ».
A l’occasion des négociations issues de l’initiative de John Kerry, Mossi Raz (comme Denis Charbit), croit qu’une scission politique pourrait se produire à l’intérieur du Likoud entre le « camp réaliste » et celui de la droite nationale religieuse idéologique. Dans ce cas, calcule Mossi Raz, « Benjamin Netanyahou pourrait assez facilement se constituer une nouvelle majorité gouvernementale à la Knesset, notamment avec le Parti travailliste et les députés de Yaïr Lapid, afin d’avoir les mains libres pour mener les négociations avec Mahmoud Abbas sur la base du projet d’accord de John Kerry ». Reste une difficulté à contourner, appréhende Mossi Raz : « Benjamin Netanyahou s’est engagé à tenir un référendum s’il fallait abandonner des territoires en cas d’accord de paix, il s’agira alors de convaincre la majorité de la population israélienne d’accepter la cession aux palestiniens de la presque totalité de la Cisjordanie. L’argument majeur, pour faire voter les israéliens en faveur de la création d’un Etat Palestinien, c’est que le plus ou moins 10 % des terres de Cisjordanie qui demeurerait à l’intérieur des frontières d’Israël comprendrait 80 % des colons israéliens».
Plus de 120 personnes ont participé à la conférence
NOTES (important pour mieux comprendre les acteurs, les enjeux et les solutions)
1/ L’administration du Président Obama présentera bientôt l’accord-cadre entre israéliens et palestiniens que prépare depuis plusieurs mois John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain, a déclaré Martin Indyk, l’émissaire américain pour la paix au Proche-Orient nommé par John Kerry, dans un discours adressé aux dirigeants juifs le 31 janvier 2014.Les parties pourront l’accepter avec des réserves et il servira de base pour un accord final d’ici la fin de l’année.
Selon les termes de cet accord, entre 75 et 80% des habitants des implantations resteraient sur le territoire souverain israélien, en contrepartie d’échanges de terres, aurait confié Martin Indyk, ajoutant qu’il pensait que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, n’était pas opposé à permettre aux restants (20-25%) de devenir citoyens de l’Etat palestinien.
L’accord devrait porter sur la reconnaissance mutuelle, la sécurité, les échanges de terres et le tracé des frontières, Jérusalem, les réfugiés, la fin du conflit et de toutes les revendications, aurait dévoilé l’émissaire américain. Sur certaines questions sensibles – en particulier le statut de Jérusalem – le cadre resterait vague, mais d’autres détails sur certaines questions, notamment le dispositif de sécurité à la frontière entre la Jordanie et la Cisjordanie dans la vallée du Jourdain, seront communiqués ultérieurement. Indyk a également indiqué que des dispositions seraient prises pour l’indemnisation des Juifs des pays arabes ainsi que pour l’indemnisation des réfugiés palestiniens.
L’émissaire américain a par ailleurs déclaré que cet accord-cadre décrirait “Israël comme l’Etat-nation du peuple juif et la Palestine comme l’État-nation du peuple palestinien”, un clin d’œil à l’exigence émise par Benyamin Netanyahou pour qu’Israël soit reconnu comme un Etat juif. Il ajouté que le cadre traiterait des questions de l’incitation et de l’éducation palestinienne pour la paix.
M. Indyk a conclu en indiquant que « les parties vont négocier avec l’espoir qu’un accord final se mette en place d’ici la fin de l’année 2014″. Il a également promis que cet accord serait largement diffusé afin de lancer un débat public. (Sources : AFP, I24News et presse américaine)
2/ Discours de Benjamin Netanyahou à l’Université de Bar Ilan (Israël), juin 2009.
3/ Négociations avec l’Iran sur les conditions de la poursuite de son développement nucléaire. Conférence de Genève le 26 novembre 2013 (Allemagne, Chine, Etats-Unis, France, Fédération de Russie, Grande Bretagne et Iran). Cliquer pour avoir accès aux informations du site diplomatique français
4/ Israël possède deux grands gisements de gaz : « Tamar » et « Léviathan ». Ils sont situés au large d’Haïfa, dans cette partie orientale de la Méditerranée où au moins quatre pays – Israël, Liban, Egypte, Chypre – disposent de bassins gaziers dans leur zone économique exclusive. Pour Israël, leur exploitation représente un grand intérêt stratégique, dont celui de pouvoir rompre une dépendance énergétique avec l’Egypte qui a fourni près de 50 % du gaz israélien jusqu’en 2010.
5/ Au début du mois de février 2014, dans une interview au Nex York Times, le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, s’est dit prêt à un retrait israélien sur cinq ans après un accord de paix, ainsi qu’au déploiement de forces de l’OTAN à travers le territoire du futur Etat palestinien,. Jusqu’à présent, les dirigeants de Ramallah évoquaient un calendrier de retrait de trois ans, se référant au précédent de l’évacuation du Sinaï égyptien en 1981, à la suite des accords de paix israélo-égyptiens de Camp David en 1978. Cette proposition a mal été accueillie par le gouvernement d’Israël qui a pour principe de ne jamais confié sa sécurité à une force étrangère. Principe qui, cependant, n’a pas été respecté pendant la première guerre du Golf en 1991. Cliquer pour lire la dépêche de l’agence palestinienne « Ma’an news »
6/ Le 2 février 2014, Naftali Bennett, Ministre de l’industrie et du commerce du gouvernement Netanyahou et chef du parti « Ha Bayit Yehoudi » (« la maison juive », droite nationale-religieuse) a déclaré, lors d’une conférence à Jérusalem, que son parti quitterait la coalition gouvernementale actuelle si les termes de l’accord de paix avec les Palestiniens, préparé par John Kerry, étaient en contradiction avec les principes de sa formation politique. (Source : presse israélienne).
7/ A la mi-janvier 2014, le Ministre de la défense, Moshé Yaalon, avait accusé John Kerry d’être “animé par une obsession incompréhensible et une sorte de messianisme” et affirmé que le Secrétaire d’Etat américain ne pouvait “rien (lui) apprendre sur le conflit avec les Palestiniens“. Ces déclarations avait entraîné un malaise diplomatique entre Jérusalem et Washington. (Source : presse israélienne).
8/ Yaïr Lapid est le fondateur et le leader de Yesh Atid (« Vers l’Avenir ») qui est un parti laïque de centre droit. Actuellement Ministre des finances du gouvernement de Netanyahou, Lapid est plutôt favorable à l’initiative de John Kerry.
9/ Le Ministère des finances israélien estime qu’une baisse de seulement 20 % des exportations vers les États membres de l’UE, qui selon certains est probable étant donné le climat politique actuel, pourrait coûter à l’économie israélienne 5,7 milliards de dollars en exportations annuelles et une perte de 9800 emplois. Cliquer pour lire l’article complet sur I24New
10/ Le « Shass », parti orthodoxe religieux oriental, sans position de principe sur la question des Territoires Palestiniens, fluctue politiquement, selon les circonstances, dans le but d’obtenir des gains sur les affaires religieuses, civiles et éducatives en Israël.
11/ Les militants pro-palestiniens en Europe, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ont lancé depuis plusieurs années une campagne politique en faveur du boycott des universités et des professeurs israéliens, avec des succès mitigés.
12/ Redoutant un boycott international d’Israël au cas où le processus de paix avec les Palestiniens devrait échouer, de grands patrons de l’Etat hébreu se sont mobilisés pour faire progresser les négociations. Cliquer pour lire l’article du Centre Communautaire Laïque Juif de Bruxelles
Synthèse des débats présentée par Paul Ouzi MEYERSON