Carnet 3 : Chroniques de la terre retournée

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Une centaine de Juifs européens favorables à la solution « Deux peuples, deux Etats », membres de JCall, se sont rendus en Israël et en Cisjordanie du 27 avril au 5 mai 2013 pour envisager sur le terrain les différents aspects de la réalité israélo-palestinienne. Ils sont allés à la rencontre de responsables politiques et de citoyens engagés dans ce conflit et à la recherche de solutions pour y remédier. Pour tous, ce fut des moments intenses de confrontation avec la réalité (Sdérot, Silwan, Kfar Etzion, Hébron) et avec les acteurs de cette réalité (israéliens, palestiniens, musulmans et chrétiens arabes d’Israël). Plusieurs d’entre eux ont tenu un carnet de bord, rédigés des notes et des  articles, pris des photos et des vidéos, tracés des croquis… Nous vous présentons quelques extraits de ces travaux inspirés par l’urgence et la complexité des questions posées.

Pour ce troisième « Carnet », nous vous présentons des extraits du journal de voyage tenu par

PAUL MEYERSON (Ouzi).

Matin 29 avril : Premier contact, pas d’antisionistes que des participants soucieux de comprendre la situation

Nous rejoignons à Givat Haviva les participants au groupe JCall alors qu’ils entament leur « voyage politique » en Israël et dans les Territoires palestiniens. Hier, ils ont été secoués émotionnellement par la visite « accompagnée »  de Sdérot, une ville israélienne qui vit sous la menace permanente des tirs de missiles du Hamas en provenance de Gaza, « j’y ai rencontré des enfants souriants mais avec le regard triste », me dira l’un des participants, professeur de littérature dans une grande université parisienne…

Il fait beau, ils sont en retard, nous guettons les bus. Pendant que Claudette prend des photos, je me promène dans les allées de Givat Haviva, je me sens en pays de connaissance puisqu’apparaissent les signes extérieurs d’un kibboutz de l’Hachomer Hatsaïr (1) : pelouses et arbres, réfectoire communautaire, petits bâtiments d’habitation… Halte devant le monument commémoratif en souvenir de Haviva Raïk. C’était une combattante de la Haganah (2), parachutée en Tchécoslovaquie pour aider à sauver les communautés juives de l’anéantissement, torturée et exécutée par les nazis, elle écrivait des poèmes.. On a tous appris cela dans les mouvements de jeunesse et c’est bien que nous le sachions. Mais Givat Haviva, autant que je m’en souvienne, a toujours été un institut d’études et non pas un kibboutz ! Un centre orienté vers les sciences de l’éducation et le rapprochement entre juifs et arabes. Est-ce encore le séminaire idéologique du Kibbutz Artsi (3) ? Je ne sais plus, les trois mouvements de kibboutzim ont fusionnés ces dernières années… Voilà, les bus arrivent, deux autocars pour les 100 camarades qui parcourent les routes d’Israël sous la chaleur, y’a pas que des jeunes parmi eux, ils sont pleins de bonne volonté. On se retrouve, congratulations et embrassades, j’en connais quelque-uns, des vieux de la vieille qui militent depuis des lustres à « La Paix Maintenant » et quelques anciens bundistes, et puis d’autres sympathisants que je vois pour la première fois. Ils viennent de France, de Belgique, de Suisse et d’Italie. Je fais même la connaissance d’une correspondante allemande dont l’activité militante sur Facebook en faveur de « deux peuples, deux états » fait l’admiration de tous ! « Grand plaisir de vous voir et connaître, dormez-vous la nuit ? ». En se dirigeant vers la salle de réunions, où nous attendent les dirigeants de Givat Haviva, nous échangeons nos premières impressions de voyage. Je ne vois pas de bolchevicks antisionistes à l’horizon, ni de « rouge-brun » révolutionnaires dans le sillage, pas de « verts » indignés embarqués. Je ne croise que des participants soucieux de comprendre la situation dans ce coin du monde. Des  gens qui ont de l’empathie pour les israéliens et les palestiniens. Des voyageurs intéressés à se coltiner la réalité du terrain, loin des jugements aprioris et des préjugés politiques. Il y a une majorité de Juifs mais pas que… Certains ont une véritable culture du conflit judéo-arabe, d’autres entament leur approche des sociétés israélienne et palestinienne, on partage les connaissances géostratégiques…

 La conférence s’ouvre enfin : Yaniv Sagee directeur de Givat Haviva, présente l’ensemble des activités de son institut ; puis Ryad Kabba, directeur du Centre pour la paix de Givat Haviva, dresse un tableau de la situation des arabes israéliens. Ryad est maire d’une ville arabe, il est favorable à la solution de «  deux peuples, deux états ». Il estime que si cette option se mettait en place, les arabes israéliens, en tant que minorité, se trouveraient dans une situation politique et psychologique qui favoriserait leur intégration : « on se heurte à un manque de confiance réciproque entre les deux populations ».  Ryad Kabba constate que le niveau de vie des arabes d’Israël est supérieur à celui des arabes des pays voisins, il n’en demeure pas moins qu’il y a quatre fois plus de pauvres chez les arabes israéliens que chez les Juifs (sauf chez les harédim).  Cependant, le secteur public fait des efforts pour pallier aux inégalités (30% des médecins des hôpitaux israéliens sont des arabes israéliens).

Attentifs à Givat Haviva

Attentifs à Givat Haviva

Après-midi 29 avril : Les barrières et les murs sont faits pour s’écrouler

Fin du déjeûner, le soleil ne nous quitte pas ! Beau temps pour parcourir la région de Wadi Ara où se situe Givat Haviva. Aux alentours cohabitent, depuis 1948, villages juifs et arabes. Nous ne sommes pas loin de Djénine et, depuis la deuxième Intifada et les attentats kamikazes, ce coin d’Israël, proche de la zone « A » des Territoires palestiniens (4), est devenu très sensible. Le fameux « mur », qui n’en est pas un mais essentiellement une barrière de sécurité, a débuté ici.  Lydia Aisenberg, journaliste, nous présente les enjeux stratégiques de cette région. Militante passionnée de la paix, membre du kibboutz Michmar ha Emek, elle a parcouru tous les sentiers de ce microcosme israélo-palestinien. Nous nous arrêtons souvent, dans la nouvelle ville juive de Harish (coté Israël) qui domine l’Emek Dotan (5) nous avons le droit à une mise en perspective de l’imbroglio local : tracé de la ligne de sécurité qui ne suit pas forcément la ligne d’armistice de 1948 ; localité palestinienne de Barta coupée en deux ; checkpoint de Katzir où la file d’attente des travailleurs palestiniens se forme le matin, et le soir en sens inverse ; trafics en tous genres qui se déroulent de part et d’autre de la barrière ; tentatives clandestines de passage, etc.

En voiture, nous suivons les deux autobus où se trouvent nos amis de JCall. Je connais la région, le kibboutz où j’ai vécu est proche d’ici, j’ai traversé des dizaines de fois le Wadi Ara, le matin quand je me réveillais je voyais le village arabe de Kfar Kara. Je conduis, je regarde le paysage, le symbolisme de la barrière de sécurité ne m’impressionne pas. Je la considère comme un « mal nécessaire », une triste retombée de l’Intifada Al Aqsa, le symbole d’un espoir perdu (les accords d’Oslo). Je me souviens de ces années de terreur, la peur des attentats qui sévissait dans le centre d’Israël. Les bombes humaines s’explosaient dans les centres commerciaux, les restaurants, les autobus et semaient sang et mort dans leur sillage. Que fallait-il faire ? « La guerre au terrorisme comme s’il n’y avait pas la paix, la négociation comme s’il n’y avait pas la guerre » disait  Yitzhak Rabin. Cela n’a pas tenu… La stratégie guerrière d’Arafat a été une catastrophe (Nakba) pour les israéliens et pour les palestiniens (6). De toute manière les barrières et les murs sont faits pour s’écrouler, comme celui qui traversait Jérusalem jusqu’en 1967, comme la ligne Bar Lev sur le canal de Suez en 1973 et, évidemment, le mur de Berlin qui semblait indéracinable, immortel… Il faut maintenant redonner l’impulsion politique, retrouver la volonté de faire la paix, certes on part aujourd’hui de très loin et il faudra du temps pour que rouillent ces barbelés. Quant aux implantations et aux spoliations de terre dans les Territoires palestiniens, là c’est une tout autre affaire…

De l'autre coté de la barrière de sécurité, le village palestinien de Tura

De l’autre coté de la barrière de sécurité, le village palestinien de Tura

 Je conduis sur la route qui longe la barrière de sécurité, je vois les sinuosités de son tracé, tout est dégagé alentours, rien ne lui résiste. Elle s’adapte à la topographie quand le terrain est plan, mais quand la topographie se complique elle transperce les collines, coupe les wadi, encercle les habitations qui lui barrent la route. La barrière garde toujours sa même hauteur monotone, elle ne supporte pas l’ombre source de danger, autour tout est dégagé, pas d’arbres ! Saignée dans le paysage, goudron à l’horizon, les routes accompagnent ou traversent la barrière de sécurité. Elle s’impose, brutale dans le paysage… Je sais comment on l’a dressée : d’abord un coup de pelle mécanique géante puis un rouleau compresseur puissant, des marteaux hydrauliques pour enfoncer les pieux, des dérouleurs à chaînes pour ériger les fils barbelés, des caméras et des palpeurs, les ordinateurs des ingénieurs du génie militaire. Beaucoup de poussière et des tombereaux de pierres éclatées ! Tout cela me donne le vertige, étrange impression, dire que je traversais tout cela à pieds, à cheval et en voiture il y a 30 ans (mais si !). Vivement que l’herbe repousse sur le chemin de sable qui borde la barrière de sécurité. Vivement que tout cela soit transformé en piste cyclable, comme à Berlin…

Matin 1er mai : Yesh Atid, le parti de Yaïr Lapid, soutiendrait la solution « deux peuples, deux états » ?

Nouveau rendez-vous avec le groupe JCall, cette fois nous devons les retrouver à Jérusalem. Rendez-vous est pris à la Knesset où nous allons rencontrer plusieurs députés pour poser des questions sur le processus de paix et la solution  de « deux peuples, deux états ». Tout le groupe se réjouit de cette confrontation après qu’une délégation de JCall ait été reçue à Ramallah hier par Salam Fayyad, premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP). Après quelques heures d’attente, alors que tous les députés sont mobilisés à la commission des finances qui travaille sur le plan de restrictions budgétaires à venir, le contact a lieu :

– Nitzan Horowitz (Meretz, à gauche du parti travailliste) est très favorable à la solution de « deux peuples, deux états » et fait confiance à Mahmoud Abbas. Ce n’est pas une surprise…

– David Tzur (Hatnuah de Tsipi Livni) est inquiet concernant  les élections en Cisjordanie, il craint que le Hamas ne l’emporte. Il est favorable à la reprise des négociations sans conditions préalables.   

– Ronen Hoffman (Yesh Atid de Yaïr Lapid) affirme que son parti soutient la solution « deux peuples, deux états ». Il propose de redémarrer les négociations avec les palestiniens, mais ceux-ci doivent faire des concessions concrètes pour faire tomber les réticences de la population israélienne. Yesh Atid est le parti charnière de la coalition gouvernementale de Netanyahou, si ce que dit Hoffman est vrai, et il faudra le prouver, l’avenir s’éclaircit et devient intéressant. D’autant plus que Shelly Yechimovitch, leader du parti travailliste, a affirmé récemment qu’elle ne s’opposerait jamais à une initiative du gouvernement si elle était en faveur de la paix.

– Réouven Rivlin (Likoud) est le seul représentant de la droite prêt à répondre à nos interrogations. Il s’oppose à la naissance d’un état palestinien mais prône l’égalité politique entre citoyens juifs, musulmans et chrétiens. Il n’est pas  « angoissé » pas la question démographique : « 600 000 juifs en 1948, 6 millions de juifs aujourd’hui en Israël », constate-t-il…

Réouven Rivlin, est un homme politique « raisonnable », nous explique-t-on, « une colombe chez les faucons du Likoud ». Nous ne rencontrerons pas  de représentant de ces députés « faucons », ni aucun de la droite nationale-religieuse ou des partis religieux orthodoxes. Mais nous ne perdons rien pour attendre, cet après-midi nous devons nous rendre au Goush Etzion. Nous voulions entendre des fous de la « terre de Dieu », nous allons être exhaussés…

Après-midi 1er Mai : Moments difficiles à Kfar Etzion

Après un pique-nique très amical dans la Parc de l’Indépendance (gan hatsmaout) nous partons tous vers la région du Goush Etzion. Nous quittons Jérusalem ouest (historiquement Israël) pour le sud de la ville, de l’autre coté de la ligne verte (7). J’appréhende, je suis inquiet, l’objectif est de s’entretenir avec quelques responsables des implantations juives de Judée, en clair des tenants du « bloc de la foi » et de Yesha (acronyme de l’organisation des implantations de Judée et Samarie). Je les connais un peu, quel dialogue peut-il y avoir entre eux et nous ? Pire, Goush Etzion ce n’est pas n’importe quel endroit, une ombre tragique plane sur ce nom et sur ces lieux. J’ai appris aussi cela quand je fréquentais les mouvements de jeunesse. Pendant la guerre d’Indépendance quatre kibboutzim se trouvaient là, aux avant-postes sud de Jérusalem : trois religieux et un de l’Hachomer Hatsaïr. Après de durs combats, qui firent en tout deux cent cinquante victimes, hommes et femmes, ces quatre  kibboutzim ont été pris et détruits par l’armée jordanienne et les troupes irrégulières palestiniennes. Les derniers combattants juifs qui résistaient à Kfar Etzion se sont rendus et ont été assassinés sur place. Les autres combattants du Goush Etzion ont été épargnés grâce à l’intervention des officiers jordaniens puis ont été emmenés en captivité. Libérés lors de l’armistice en 1948, les rescapés de l’Hachomer Hatsaïr ont, par la suite, créé le kibboutz Revadim ; c’est une communauté que David Chemla, le secrétaire général de JCall qui nous accompagne, connaît bien puisqu’il y a vécu plusieurs années.

Roulent les autobus, nous abandonnons la douce lumière et l’harmonie architecturale du cœur de Jérusalem pour nous enfoncer dans les collines de Judée par la route d’Hébron. Rapidement le paysage change, l’environnement devient plus dur, le mur de sécurité fait son apparition et ne nous quitte quasiment plus (ce n’est plus une barrière grillagée comme celle que nous longions en Samarie). On constate la présence des gardes frontières (Magav) à tous les carrefours et de plusieurs barrages tenus par Tsahal. Nous faisons notre chemin sur des voies récemment bitumées, elles percent les djebels quand cela est nécessaire, plongent dans diverses directions vers des villages arabes et des implantations juives dont je ne connais pas les noms. Souvent on aperçoit de vieilles maisons en piteux états, parfois des cabanes abandonnées. Les nouvelles implantations se dressent au sommet des collines, brillantes de rues et d’avenues en lacets. Ces villes dominent les wadi et les cultures en terrasses tenues par des agriculteurs palestiniens, on en voit surgir quelque-uns, groupes mixtes d’hommes et de femmes, incongrus dans ce paysage de frontière. La lumière intense écrase les nuances, difficile de prendre des photos pour Claudette. Même ressenti que lors de notre parcours dans l’Emek Dotan, sentiment de vertige et d’écrasement, difficulté pour s’orienter dans l’espace, tout est bousculé…

Nous arrivons à Kfar Etzion, des arbres, des pelouses, des kippotes, c’est un kibboutz national religieux ! Tout de suite ça fait fort, visite du musée dédié à la mémoire des victimes de 1948 ; puis plongée dans le « bunker » où ont été assassinés à la grenade les derniers combattants de Kfar Etzion. Les noms des martyrs sont gravés sur le mur… Commentaires du guide : « Le nouvel Etzion a été rebâti par les enfants des martyrs peu de temps après la guerre des six jours ; ils sont revenus ici par fidélité à leurs parents et parce qu’ici c’est la terre du Peuple Juif ». Ecrasant, que dire ? C’est David Chemla qui brise le silence : « Non, pas tous sont revenus, les rescapés qui ont construit Revadim n’ont pas souhaité s’installer au Goush Etzion, ils ont préféré parier sur l’avenir de la coexistence et sur la paix ». Je suis ému par les mots de David…

Entré dans la grande salle de réunion, les chaises de plastique sont prêtes en arc de cercle, le groupe de JCall s’installe, les présentations sont faites. Premier gladiateur du Goush Etzion face aux « gauchistes européens », celui-là c’est du costaud, enseignant et prophète un peu dingo : « J’habitais Villejuif, j’étais militant au Parti communiste, après la guerre des six jours je suis venu en Cisjordanie, j’ai compris que la Judée et la Samarie sont notre terre, tout est dans la Thora ! Que faites-vous en Europe ? Tous des antisémites qui vous feront la peau un jour ! ». Plusieurs interventions ulcérées émanent du groupe JCall, mais rien ne l’arrêtera…  Au suivant, celui-là est un dirigeant de Yesha et directeur administratif de Kfar Etzion. Calmement il nous expose sa vision politique : « Israël, de la Méditerranée jusqu’au Jourdain, est notre terre ; pour les palestiniens il y a la Jordanie. Quand aux arabes qui resteront chez les juifs, aucun droit politique ». « C’est de la ségrégation, objectons-nous, une atteinte aux plus élémentaires droits humains, ce n’est pas la démocratie de Herzl et Ben Gourion ! ». « Nécessité fait loi, Israël est un cas à part », répond-il… Le troisième, aussi d’origine française, plus modéré se contentera d’un discours paternaliste : « ici c’est chez nous, aucun doute. Mais les palestiniens ne sont pas si méchants que cela,  nous pourrions cohabiter et leur donner une place de minorité protégée ». Le quatrième, poète de son état, apporte un souffle d’humanisme dans ce délire messianique : « un seul pays pour deux peuples. Un état fédéral où chacun gère son territoire et ses affaires. Tombons les murs et les barbelés ». Il habite le Goush Etzion, il est un disciple du Rabbin Menahem Frouman (6).  

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Je n’ai pas beaucoup parlé avec mes voisins pendant le retour sur Jérusalem, hébété de la séance de  « théâtre absurde » à laquelle je venais d’assister. Entre les habitants du Goush Etzion et les voyageurs de JCall il y a un abîme idéologique : les principes ne sont pas les mêmes, les priorités sont totalement différentes, les sensibilités culturelles ne vibrent pas au même diapason. Qu’est-ce qui nous unit, qu’est-ce qui nous rapproche ? Une véritable inquiétude pour l’avenir d’Israël et le peuple Juif ? Je n’en suis pas certain, nos rêves et nos cauchemars ne s’alimentent pas aux mêmes sources… Nous nous rapprochons de Jérusalem, soudain une espèce de haute plateforme percée de trous surgit à l’horizon, c’est un grand ensemble d’immeubles lourdingues et laids. Qui a pu élever cette horreur au sein des beaux édifices préservés de Jérusalem ? C’est Ehoud Olmert et ses acolytes, l’ancien maire de la ville, l’ancien premier ministre du pays. Politiquement ce gruyère géant l’a tué, il est tombé pour corruption et prévarication, on lui avait graissé la patte pour qu’il donne les autorisations. Tous ont connu la prison…

Après-midi 2 mai : Silwan en état d’implosion !

Nous avons passé la nuit chez des amis qui habitent à Ramot. Le soir, ensemble, nous nous sommes promenés dans les beaux quartiers de Jérusalem ouest : Rehavia, Mochava Hagermanit, Emek Refaïm, Mahané Yéhouda… C’est, au moins, très sympathique et, au mieux, harmonieux et paisible.  Maintenant encore nous devons retrouver le groupe JCall au Parc de l’Indépendance. Cette fois direction la « Cité de David » qui se trouve dans le village arabe de Silwan, au  sud des murailles de la vieille ville. Le parcours est très court et nous nous retrouvons rapidement sur place. Par contre, il est difficile de se frayer un passage à travers les voitures et les cars qui cherchent un stationnement et envahissent les rues étroites du village. Disons-le rapidement, cette « Cité de David » c’est Mickey Mouse chez les Hébreux ! La seule preuve concrète de l’existence du souverain biblique c’est la stèle de Tel Dan (Musée d’Israël), érigé par un roi araméen et découverte dans le nord du pays. Pour le reste, lire le Tanakh (8) puis imaginer et interpréter. Cela n’empêche pas les foules d’élèves et de soldats de venir dans ce parc historique pour se ressourcer aux racines de l’histoire juive. Je ne vois pas de mal à cela, sauf qu’il y a tromperie ! Les ruines visitées sont d’époque grecque ou romaine (2ème temple), byzantine ou turque, certainement pas du neuvième siècle avant J.C. (construction présumée du 1er Temple)…Tout cela nous est expliqué par des archéologues « déconstructivistes » qui se sont regroupés en association (Emek shaveh) dont l’objectif est de refuser la manipulation de leur science à des fins partisanes. Personnellement, j’estime que leur démarche est parfaitement politique puisqu’ils n’hésitent pas à dénoncer également les menées de l’organisation « El Ad » dont le but est de récupérer, par divers moyens, des maisons arabes à Jérusalem et ses environs. Justement, toute cette stratégie de récupération nationaliste nous est exposée face à la caméra de sécurité d’une des maisons passées aux mains de « El Ad ». En vérité ces archéologues sont aussi des militants et non pas de simples « déontologues » comme ils le prétendent. Pourquoi pas ! Mais alors  il faut le dire car de toute manière nous savons que l’archéologie est une matière éminemment idéologique.

J’étais content de m’arrêter à Silwan. Très souvent, autrefois, j’ai contemplé de loin ce village dans la vallée du Cédron. Dans les années 1970, j’ai servi à Tsahal pendant plusieurs mois au bord de la mer Morte. J’y descendais à partir de Jérusalem en empruntant la route de Jéricho et de là je voyais Silwan. Accroché au versant de la vallée, ce village palestinien m’apparaissait verdoyant et bucolique, presqu’une fresque orientaliste… Rien à voir avec la favela qui se découvre à moi aujourd’hui ! Les traces de verdures sont devenues rares, les maisons abimées s’agrippent à la roche nue, les rues sont défoncées, un bruit incessant de véhicules en tous genres recouvre la vallée. Que s’est-il passé ? « Deux intifadas, la politique d’extension permanente de Jérusalem, les difficultés matérielles de la municipalité palestinienne et un avenir bouché  pour la population de Silwan qui ne voit aucune solution se profiler pour résoudre ses problèmes», répond un de nos guides archéologues.

Silwan en voie de paupérisation

Silwan en voie de paupérisation

Le coût de la frénésie de construire 

Nous quittons le bus et nos camarades de JCall pour reprendre  la voiture et retourner chez nos amis à Ramot. Direction Tel-Aviv en empruntant le boulevard circulaire qui contourne la ville, théoriquement on doit arriver rapidement à destination. On se perd, attention de ne pas prendre la route 1 en sens inverse on risque de se retrouver à Maalé Adoumim ! On passe des ponts,  des tunnels, des carrefours, on roule à coté du tramway, proche de son terminus. On retombe enfin sur l’axe rapide Menachem Begin, il ne faut pas rater la bonne sortie et confondre « Ramot D» avec « Yaar Ramot ». Quelle frénésie de construire, quelle énergie pour développer de nouveaux quartiers, des ouvrages d’art, des voies de circulation ! Dire que chez moi, à Paris, rue de Charonne, il a fallu quinze années pour édifier un immeuble de cinq étages sur un terrain en friche. Il doit y avoir quand même un moyen terme dans le rythme du bâtisseur !

Chaque fois que je viens en Israël, et je viens assez souvent, il me faut réapprendre sa géographie. Pas seulement à Jérusalem d’ailleurs, dans le centre du pays c’est l’autoroute 6 qui a tout modifié en suivant l’ancienne « ligne verte ». Entre Kfar Saba et Ein Iron l’autoroute côtoie la barrière de sécurité, face aux villes palestiniennes de Qualquilya et de Tulkarem. Ainsi, les nouvelles voies de communications qui relient les nouveaux centres urbains modifient profondément le visage du pays. Ces voies de communication récentes, ne vont plus du sud au nord comme autrefois, il s’ensuit que la Galilée et le Neguev restent relativement épargnés par les modifications du paysage. Désormais on avance de l’ouest vers l’est, on perce vers la Judée et la Samarie, on raccorde les anciens liens nord-sud aux nouveaux liens ouest-est. Pour cela on retourne la terre, dans un espace restreint on entreprend des travaux colossaux. Quelle est la nature de tout cela ? Bien sûr, il y a les impératifs de la démographie et du développement : en 40 ans Israël a plus que doublé sa population (de 3 à 7 millions) avec des taux de croissance avoisinant les 5 %. On a besoin d’infrastructures pour organiser ce bond en avant et, de ce point de vue, Israël est une réussite. Mais il y a également les impératifs de la « politique de sécurité ». Il a fallu percer des centaines de kilomètres de routes dans les montagnes de Judée et les vallées de Samarie pour relier  les implantations entre elles tout en contournant tel ou tel village arabe, pour connecter les grands centres côtiers aux petites implantations disséminées. Quel est le coût humain, économique et environnemental de ce parti pris idéologique. Enorme !

"Le mur" aux alentours de Jérusalem

« Le mur » aux alentours de Jérusalem

 En Israël, l’eau potable coule du robinet et les égouts fonctionnent, les magasins sont bien achalandés et les trains arrivent à l’heure. Les écoles et les hôpitaux ouvrent tous les matins. La justice et la Haute cour rendent leurs décisions en toute indépendance. L’armée obéit aux ordres du gouvernement et les élections se déroulent régulièrement. Des journaux de toute opinion sont publiés chaque jour, etc. C’est une démocratie ! Mais il n’empêche, tant qu’il faudra retourner la terre brutalement de la Méditerranée jusqu’au Jourdain au nom d’une idéologie messianique qui idolâtre le sol, il est malheureusement probable que le peuple d’Israël n’aura pas de repos.

Photos par Claudette CASTONGUAY

Notes de l’administrateur

1)      Hachomer Hatsaïr : Mouvement de jeunesse de la gauche sioniste, laïque.

2)      Haganah : Force armée juive sous le mandat britannique avant la déclaration de l’indépendance d’Israël. Ancêtre de l’armée d’Israël (Tsahal).

3)      Kibboutz Artsi : Anciennement une des quatre fédérations de kibboutzim (la plus à gauche politiquement).

4)      Zone A : Suite aux accords d’Oslo, la Cisjordanie a été divisée en trois parties ;  la « zone A » est sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne (AP) ; en « zone B » les aspects sécuritaires sont partagés entre Israël et l’AP, la « zone C » est sous la responsabilité israélienne.

5)      Emek Dotan : Signifie en hébreu la « vallée du Dotan ».

6)      Nakhba : Signifie en arabe « catastrophe ». L’indépendance d’Israël c’est la « Nakhba » des palestiniens et vice-versa…

7)      Ligne verte : Autre appellation de la ligne d’armistice de 1948 (frontière avec la Cisjordanie).

8) Rabbin Menahem Frouman : Adhère au courant nationaliste religieux et devient une des figures dominantes du Goush Emounim (bloc de la foi). Surprend son propre camp avec sa principale idée : on ne peut résoudre le conflit israélo-palestinien sans tenir compte du facteur religieux et c’est donc aux religieux de se parler. Sa position fut largement critiquée, cependant il continua toute sa vie à dialoguer. Il discuta avec Yasser Arafat, avec  le sheikh Yassine (fondateur du Hamas) et toutes sortes de dignitaires religieux musulmans. 

9) Tanakh (Torah, Neviim, Ketoubim) : La Bible hébraïque.

 

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