« Israël-Palestine 2020 », Colloque JCall, 6 octobre 2013, Paris

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Synthèse des travaux

 

1. Les données géopolitiques et les perspectives de changement

 

La session du matin est consacrée à une table ronde sur la situation géopolitique de la région et les perspectives de changement, animée par Ruth Elkrief (BFMTV), avec la participation de

– Hasni Abidi, directeur du CERMAM (Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen), Genève;

– Nicole Bacharan, politologue, spécialiste des Etats-Unis;

– Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l’ESG Management School, Paris;

– Dan Goldenblatt, co-directeur israélien de l’IPCRI (Israel-Palestine Center for Research and Information), Jérusalem;

– Georges Malbrunot, grand reporter au quotidien  «Le Figaro»;

– Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères.

 

On trouvera ci-dessous les synthèses de leurs interventions respectives.

 

Hasni Abidi:

Il est difficile de faire des prévisions générales sur l’évolution du monde arabo-musulman suite au «Printemps arabe». De puissantes dynamiques de changement sont partout à l’œuvre, avec des enjeux nettement locaux. L’Arabie saoudite et l’Egypte n’ont plus de rôle dirigeant, et les rapports de force doivent être analysés désormais pays par pays.

Les transitions seront longues, et leurs modalités reflèteront les conditions propres aux divers pays. Tant au Machrek qu’au Maghreb, tout dépendra de la capacité des acteurs politiques à faire des concessions au niveau des institutions (le cas tunisien est particulièrement intéressant: il faudra voir jusqu’où Ennahda ira dans la voie du compromis).

Selon une théorie répandue au sein du monde arabe, le Printemps arabe a surtout bénéficié aux trois puissances non arabes de la région: l’Iran, la Turquie et Israël. Mais il ne faut pas exagérer l’importance de la fracture entre sunnites et chiites. Et, même si le conflit israélo-palestinien a beaucoup perdu de son importance au plan régional, sa force symbolique demeure au sein de l’opinion publique arabe.

 

Nicole Bacharan:

Il y a une crise profonde du leadership américain dans le monde. Les querelles internes qui opposent Barack Obama au Sénat américain reflètent une perte de crédibilité qui, au-delà de la personne du président, affecte le pays tout entier. Le président Obama, qui est un homme intègre, appartient à une génération qui n’a pas décidé quel rôle les Etats-Unis doivent jouer au plan mondial.

La manière dont Obama a géré le dossier de la guerre en Syrie est particulièrement révélatrice à cet égard: pourquoi parler de «ligne rouge» si l’on n’est pas prêt à entrer en guerre lorsqu’elle est franchie, et pourquoi laisser planer le doute sur une décision dont la Maison Blanche avait tous les éléments à sa disposition de longue date? Les Etats-Unis en sortent durablement affaiblis.

La solidarité avec Israël n’est pas remise en cause, pas plus que la lutte contre le terrorisme ou le soutien à la démocratie. Mais Israël, après la reprise des contacts entre Iraniens et Américains, est dans le pire cas de figure pour faire valoir son point de vue quant à l’arrêt du nucléaire militaire en Iran.

 

Frédéric Encel:

Le Printemps arabe prouve clairement que le conflit entre Israéliens et Palestiniens n’était pas l’élément moteur de la déstabilisation du Moyen-Orient. L’instrumentalisation de ce conflit par les dirigeants arabes, pour cacher les problèmes internes de démocratie et de droits de l’homme, devient difficile car les peuples ne s’y laissent plus prendre. Le clivage entre sunnites et chiites, le choc entre conceptions religieuses et conceptions nationalistes, le délitement de la Ligue arabe, contribuent à redistribuer les cartes politiques dans la région. Si le conflit israélo-palestinien doit trouver une solution, ce n’est donc pas parce qu’ils serait un facteur majeur d’instabilité dans le monde arabe mais parce que les deux peuples ont droit à une solution pacifique selon le principe «deux peuples, deux Etats».

On se souvient de l’appel d’Amos Oz: «Aidez-nous à divorcer». Or, qui peut les aider? La Ligue arabe n’est plus d’aucun poids, le Printemps arabe lui ayant porté un coup dur. Quant aux Etats-Unis, il semble qu’ils veuillent surtout se désengager du Moyen-Orient. C’est à l’Etat hébreu de reprendre l’initiative politique, car la situation militaire lui est favorable et «Etre fort, c’est être responsable». La reprise des pourparlers entre Israël et l’Autorité palestinienne résulte donc, non pas de pressions internationales, mais surtout des impératifs du terrain ainsi que de l’affaiblissement et l’isolement du Hamas.

En ce qui concerne l’Iran, les sanctions internationales doivent être strictement maintenues car personne ne veut de la bombe nucléaire iranienne. Le gouvernement iranien, qui sent son pouvoir vaciller, craint l’équivalent d’un Printemps arabe social suite à son affaiblissement économique par les sanctions. Il peut être portée ainsi à négocier, avec l’espoir d’améliorer ses positions au plan régional face à l’Arabie saoudite.

 

Dan Goldenblatt:

Les Israéliens ont bien conscience que la situation se modifie rapidement au Moyen-Orient. Le débat actuel porte sur la question: faut-il attendre les résultats des évolutions en cours, ou bien prendre l’initiative dès maintenant? Or les Israéliens doivent prendre conscience des données proprement palestiniennes de la situation. S’il n’y a pas d’attentats en Israël, cela est dû en grande partie à l’action des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne.

Il faut résoudre dès maintenant le conflit entre Israël et les Palestiniens – au bénéfice des deux peuples, et aussi dans l’intérêt de toute la région. Il faut pour cela travailler à la création d’un Etat souverain de Palestine au côté d’Israël, dont les intérêts sécuritaires seront garantis par des accords de paix selon la formule «deux Etats pour deux peuples ». Chacun devra faire des concessions – Israël sur le nombre de réfugiés autorisés à s’installer dans son territoire, et les Palestiniens sur le nombre de colons autorisés à se maintenir en Palestine.

Le paradigme d’une séparation absolue entre les deux Etats est inapproprié: il devra y avoir deux Etats souverains, avec une liberté de mouvement entre les deux et des minorités (Israéliens en Palestine, Palestiniens en Israël) dotées chacune de droits collectifs. Des accords de réciprocité devront être signés, avec des rectifications de frontières sur la base des lignes de 1967 et des échanges de territoires. Si tout cela fonctionne, il sera possible d’envisager à long terme une sorte de système confédéral. En revanche, la perspective d’un Etat unique entre la Méditerranée et le Jourdain est très dangereuse, car elle comporte des risques de chaos et de guerre civile.

Pour l’heure, l’opinion publique israélienne est peu mobilisée par le processus de paix. Le gouvernement Netanyahou bénéficie d’une marge de manœuvre politique, le rapport des forces au sein de la Knesset lui assurant en cas de besoin une coalition alternative pour soutenir un processus de paix. Mais le veut-il? Il est très difficile de savoir. Si Netanyahou se sent obligé de bouger, en raison de la situation volatile au Moyen-Orient et des pressions américaines et européennes, il faudra être prêt pour accompagner ce processus (à cet égard, un bon indicateur de l’avancée des négociations de paix est le degré d’anxiété au sein de la droite ultra-nationaliste). Quoi qu’il en soit, l’essentiel n’est pas de signer un accord mais d’assurer ensuite une paix durable.

 

Georges Malbrunot:

Il y a un risque de balkanisation dans tout le Moyen-Orient. En Irak, le changement de régime «par le haut» imposé par l’armée américaine a échoué. En Syrie, l’incertitude s’est installée avec la prolongation de la guerre civile. L’affrontement entre chiites et sunnites semble prendre de plus en plus d’importance en Irak, en Syrie, au Liban et au Bahreïn. Les Israéliens prennent conscience que l’éclatement des Etats n’est pas bon pour eux, car cela ne profiterait qu’aux extrémistes.

Le conflit israélo-palestinien n’est plus la matrice essentielle de la situation présente (pour un certain nombre d’Arabes, l’ennemi principal est l’Iran et les chiites, pas Israël). Mais si on ne résout pas ce conflit, on ne pourra rien régler à l’échelle de la région. Or Israël et les Palestiniens ont aujourd’hui l’occasion de négocier sans subir les pressions des pays arabes, qui sont mobilisés sur des fronts politiques intérieurs. Par ailleurs, il est clair que les pays sunnites, et en premier lieu l’Arabie Saoudite, voient d’un œil favorable une solution immédiate à ce conflit afin d’éliminer un foyer d’agitation.

 

Hubert Védrine:

L’absence d’une solution au conflit israélo-palestinien a toujours de fortes résonances dans le monde arabe. Si l’on veut résoudre tous les problèmes, il faudra aussi résoudre celui-ci. Et il est nécessaire de trouver une solution pour les deux peuples.

La problématique essentielle n’est pas israélo-palestinienne. Il s’agit surtout d’établir un lien entre les évolutions internes des deux protagonistes. La problématique israélo-israélienne consiste, pour débloquer la situation, à faire en sorte qu’une majorité d’Israéliens admettent la solution «deux peuples, deux Etats» et qu’une majorité gouvernementale se dégage autour de ce consensus. La problématique palestino-palestinienne consiste à permettre la mise en œuvre d’une solution pacifique, compte tenu des exigences parfois contradictoires émises par les différentes factions palestiniennes concernant le retour des réfugiés, le statut de Jérusalem, les frontières du nouvel Etat, la constitution d’un gouvernement unifié, etc.

Il est positif que les Etats-Unis se soient mobilisés une nouvelle fois pour le processus de paix, bien que ce ne soit pas la priorité des Etats-Unis. Si Obama arrive à faire bouger les choses dans les relations avec Iran, il pourra grâce à l’énergie de Kerry relancer les négociations israélo-palestiniennes. Mais les Etats-Unis sont en train de perdre leur leadership dans le monde, la crise syrienne montre leur faiblesse actuelle, et Barack Obama a compris les limites du pouvoir de son pays. La Russie garde une capacité de nuisance réelle et périphérique, mais elle n’a qu’un droit de veto. Quant à l’Europe, elle paraît bien absente et c’est regrettable. C’est pourquoi ce que font J Street aux Etats-Unis et JCall en Europe est très important.

 

 

2. Les scénarios économiques de la solution à deux Etats

 

La session de l’après-midi est consacrée à une présentation des travaux du Groupe d’Aix qui, depuis une dizaine d’années, étudie les scénarios économiques de la solution à deux Etats dans le but de promouvoir des solutions bénéfiques pour les deux parties. Les intervenants sont le président du Groupe, le professeur Gilbert Benhayoun (Cerefi – Université d’Aix-Marseille), le coordinateur israélien du Groupe, le professeur Arié Arnon (Département d’économie – Université Ben Gourion), et le coordinateur palestinien du Groupe, M. Saëb Bamya (ancien vice-ministre de l’économie au sein de l’Autorité palestinienne). Le modérateur est Hervé Nathan (hebdomadaire «Marianne»).

Le Groupe d’Aix regroupe des experts israéliens, palestiniens et internationaux qui partagent tous la conviction qu’une coexistence est possible entre l’Etat d’Israël et un Etat palestinien, et que pour y parvenir les facteurs économiques jouent un rôle important aux côtés des facteurs politiques.

L’erreur commise lors des accords israélo-palestiniens de septembre 1993 («accords d’Oslo») fut de créer des structures provisoires et d’opter pour une progression par étapes, sans aborder d’emblée la question du statut final, c’est-à-dire le fonctionnement des deux futurs Etats. Gilbert Benhayoun cite à ce propos la formule d’un expert israélien, qui expliquait ainsi le manque de confiance réciproque entre les deux parties: «Les Palestiniens craignent qu’un accord transitoire ne devienne définitif, et les Israéliens craignent qu’un accord définitif soit transitoire». De cela découle l’approche choisie par le Groupe d’Aix: étudier d’abord les conditions d’une solution stable dans le long terme, et ensuite revenir aux données actuelles afin de définir des scénarios pour l’avenir.

Des interventions des trois représentants du Groupe d’Aix, il ressort que l’une des principales conditions du développement d’un Etat palestinien viable aux côtés de l’Etat d’Israël est la capacité du futur Etat à définir son modèle de croissance. Cela implique notamment que l’Etat palestinien puisse définir des droits de douane vis-à-vis des pays tiers, qui refléteront ses propres priorités économiques et seront donc différents de ceux pratiqués par l’Etat d’Israël. Les échanges entre les deux Etats étant par ailleurs fondés, dans ce modèle, sur une liberté totale de circulation, il en résulte qu’une «règle d’origine» devra être appliquée aux produits ainsi échangés afin d’éviter des détournements.

La situation actuelle repose sur les accords israélo-palestiniens conclus à Paris en 1994, qui sont une annexe des accords d’Oslo dont ils constituent la dimension économique. Aux termes de ces accords, les marchés israélien et palestinien sont englobés dans une même «enveloppe douanière», avec une liberté de mouvement entre les deux marchés, sans aucune restriction douanière ou non-douanière, et des droits de douane identiques au regard du monde extérieur [l’Autorité palestinienne conserve, selon ces accords, le droit de définir des règles douanières et non-douanières spécifiques pour une liste de produits], la perception des droits de douane étant faite par l’Etat d’Israël qui reverse à l’Autorité palestinienne la part correspondant aux importations palestiniennes.

Cet état des choses diffère du modèle décrit plus haut par le Groupe d’Aix comme nécessaire au développement d’un Etat palestinien viable. Il a pourtant été accepté par les représentants palestiniens, en 1994, lors de négociations de Paris. Cela s’explique par le fait que la société palestinienne n’avait pas de base économique propre, et qu’elle dépendait largement (pour 30% dans le cas de la Cisjordanie, et 50% dans le cas de la bande de Gaza) des salaires versés aux travailleurs palestiniens en Israël. Cette même situation de dépendance économique explique qu’en 1994 les responsables palestiniens n’aient pas voulu avoir une monnaie à eux: ils craignaient que l’Autorité palestinienne ne déclenche l’inflation en utilisant la «planche à billets». Ainsi, en se fondant sur les données de l’époque et non sur un projet de long terme, les acteurs ont reproduit au plan économique la situation de dépendance qui régnait depuis 1967.

L’évolution politique depuis 1993 a prolongé ces distorsions, en les aggravant. Les dimensions proprement économiques des accords israélo-palestiniens ont été gérées de manière largement unilatérale par la partie israélienne. Même l’évacuation par Israël de la bande de Gaza, en 2005, n’a pas été suivie d’une concertation sur l’avenir économique de ce territoire. Et, jusqu’à nos jours, la plus grande partie de la Cisjordanie (la zone C) est administrée par Israël sans que les Palestiniens y aient leur mot à dire.

Or une solution à deux Etats ne sera viable que si elle repose sur une relation symétrique entre les deux parties, avec une réelle souveraineté économique pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. L’aide économique internationale, qui sert aujourd’hui à couvrir des besoins sociaux et à financer le budget de l’Autorité palestinienne, pourra être ainsi reconvertie en une aide au développement de l’économie palestinienne.

 

 

 

Voir également, sur le site de JCall:

Israël-Palestine 2020: les images et les paroles (reportage, photos et extraits en vidéo) – cliquer ICI

 

et sur le site Akadem:

Israël-Palestine 2020 (1/2) – Israël au coeur des bouleversements régionaux (vidéo) – cliquer ICI

Israël-Palestine 2020 (2/2) – Les travaux du groupe d’Aix (vidéo) – cliquer ICI

 

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