« Si j’avais été un Palestinien » par Zeev Sternhell

Facebook
Twitter
Si j’avais été un Palestinien, j’aurais retenu une leçon de David Ben Gourion : prendre tout ce qui est à portée de main et toujours s’assurer du soutien d’une grande puissance.

Zeev Sternhell (1) est un ami de JCall; nous avons organisé avec lui plusieurs manifestations et publié certains de ses articles sur ce site (cliquer ici pour lire son dernier article). Intellectuel de réputation internationale, Zeev Sternhell a été parmi les premières personnalités israéliennes à critiquer la politique d’occupation en Cisjordanie menée par le gouvernement de l’Etat hébreu. Historien, fin connaisseur des Lumières et des notions de nation et de citoyenneté, Zeev Sternhell met depuis longtemps ses concitoyens en garde contre les menées antidémocratiques de l’extrême droite messianique israélienne. Patriote et officier ayant participé à plusieurs des guerres de son pays, Zeev Sternhell a lancé des cris d’alarme sur les dangers que font courir à Israël et à ses valeurs sionistes le développement des implantations et le blocage de toute initiative de paix. Mais cette fois, dans l’article ci-dessous, écrit à l’occasion de la prise de position de nombreux Parlements européens en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien aux cotés d’Israël, Zeev Sternhell s’adresse directement aux dirigeants palestiniens, passant par-dessus la tête du gouvernement de Netanyahou. 

Si j’avais été un Palestinien, j’aurais essayé d’apprendre quelque chose des Juifs, et tout d’abord quelque chose du plus grand d’entre eux. Quel a été le principe qui a guidé David Ben Gourion dès le départ? Prendre tout ce qui est à portée de main! Il a accepté le plan de partition de la Commission Peel en 1937, puis le plan de partition des Nations-Unies adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 29 novembre 1947, et ce par conviction que quelque chose d’acquis est préférable à rien du tout. Il cherchait à obtenir, à n’importe quel prix, un peu de répit et une base territoriale à partir de laquelle il pourrait établir un Etat indépendant et obtenir sa reconnaissance internationale.

Ensuite, j’aurais répondu favorablement et sans aucune hésitation aux deux principales exigences émises par les Juifs, car elles sont purement symboliques et sans aucune substance. J’aurais immédiatement répondu positivement à la demande faite par Benjamin Netanyahou de reconnaître Israël comme l’Etat-nation du peuple juif. Pour autant que cela concerne les Palestiniens, cette demande est dénuée de sens: il s’agit d’une affaire interne aux Israéliens, et si Israël préfère éradiquer de son territoire les principes de démocratie et d’égalité, en quoi cela concerne-t-il les Palestiniens ?

Il est vrai qu’une telle démarche pourrait être dommageable aux droits des citoyens arabes d’Israël, car elle conditionnerait l’obtention de la citoyenneté à l’appartenance à la nation juive. Mais elle présenterait un avantage pour les Palestiniens, puisque la mise en place de cette inégalité institutionnelle, avec son parfum d’apartheid, braquerait l’ensemble de l’opinion publique occidentale contre Israël. Simultanément, les partis centristes et de gauche en Israël mèneraient une campagne contre tout gouvernement qui adopterait une telle orientation politique. En outre, entre l’ancienne «Ligne verte» (celle des frontières d’avant la guerre de 1967) et la mer, 20 % de la population est constituée d’Arabes et ils sauront comment se projeter dans l’avenir après une telle décision…

Au même moment, je ferais une déclaration solennelle pour faire savoir que j’abandonne le «droit au retour» des réfugiés palestiniens, puisque de toute façon seules les personnes un peu délirantes s’imaginent qu’ils retourneront un jour à Haïfa, Ramlé ou Tibériade. Quel individu rationnel pourrait hésiter à accorder aux Juifs quelques concessions qui permettraient de faire tomber les derniers obstacles empêchant de reprendre sérieusement les négociations concernant la création d’un Etat palestinien, les implantations et l’établissement de frontières définitives ?

Je tiendrais à souligner que je n’ai plus de revendications sur les terres perdues lors de notre «Nakba», la catastrophe que nous avons subie pendant la guerre d’indépendance des Juifs, car il n’y a aucune chance de récupérer ces terres. De cette façon, j’établirais fermement vis-à-vis de l’opinion publique israélienne et mondiale l’idée que la «Ligne verte» est reconnue par l’ensemble des Palestiniens, par le monde entier et par la grande majorité des Juifs et des Israéliens. Seule une petite minorité violente en Israël chercherait à saisir les Palestiniens à la gorge et, ce faisant, heurterait l’ensemble de la société israélienne en faisant croire que nous continuons à perpétuer les combats des années 1940.

Lorsque les Palestiniens rêvent de villages qui n’existent plus, ils tentent de se convaincre que leurs vies ne sont pas sans valeur. Quand leur sera donnée la possibilité de construire une vie enrichissante, les mythes se dissiperont.

La troisième chose que je pourrais apprendre de Ben Gourion, c’est de toujours m’assurer le support d’une grande puissance. A ce stade, les Etats-Unis, en dehors des grandes universités, sont perdus pour les Palestiniens car les Juifs y sont trop influents. Par contre, une réelle opportunité est ouverte en Europe. Paradoxalement, l’hostilité qui s’y développe envers les Arabes et l’Islam ne bénéficie pas à la droite israélienne, et les Parlements européens le prouvent chaque semaine. La «domination coloniale» israélienne est de plus en plus détestée en Europe. La droite israélienne ignore cette réalité, et elle crée ainsi une opportunité pour les Palestiniens qui adoptent une politique rationnelle, modérée mais vigoureuse, en faveur de la création d’un Etat palestinien – exactement comme les Juifs d’autrefois, quand ils étaient encore raisonnables et menés par des dirigeants visionnaires.

 

Zeev Sternhell

Article publié dans le quotidien Haaretz le 2 janvier 2015.

Traduction: Paul Ouzi Meyerson
(Cliquer ici pour lire le texte en anglais)

 

(1) Professeur de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem, Zeev Sternhell est un historien et un penseur politique israélien. Il est connu notamment comme spécialiste du fascisme en Europe, en particulier de ses racines françaises.

Après l’invasion de la Pologne par les nazis en 1939, il fut emmené, muni de faux papiers d’identité, par son oncle à Lvov, dans la partie de la Pologne occupée par l’Union soviétique. Caché avec l’aide de deux familles locales (reconnues comme «Justes  parmi les Nations»), il survécut à l’extermination des Juifs à l’Est et se rendit en France. Zeev Sternhell a rejoint Israël en 1951.

En 1957, il entame des études d’histoire générale et de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem, et les poursuit à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) où il obtient son doctorat.

En 1991, le gouvernement français lui a décerné la médaille de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres pour «sa contribution au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde». Il a été lauréat en 2008 du Prix Israël pour ses travaux en sciences politiques. En 2010, il a été élu à l’Académie israélienne des sciences et des lettres.

Il fut officier d’état-major et a participé aux guerres des Six Jours et de Kippour ainsi qu’à la première guerre au Liban.

Facebook
Twitter

Tribune Libre

Agenda

Atlas du conflit Israélo-Arabe

Communiqué

Facebook

Newsletter