« L’occupation et le développement des implantations font courir des dangers à la démocratie israélienne ». Rencontre avec Anat Ben-Nun et Daniel Seidemann

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Anat Ben-Nun, responsable des relations extérieures de Shalom Akhchav [La Paix Maintenant], et Daniel Seidemann, avocat israélien et fondateur de «Terrestrial Jerusalem» (Jérusalem terrestre), sont intervenus le 14 décembre au Sénat à Paris, dans le cadre d’un colloque organisé par le groupe d’amitié France-Palestine sur le thème: «La vie quotidienne en territoires palestiniens occupés».

Les associations françaises JCall et la Paix Maintenant les ont invités le soir même, au Cercle Bernard Lazare, à donner leurs points de vue sur la situation en Cisjordanie et à Jérusalem. Ils ont répondu aux nombreuses questions du public venu les entendre.

Daniel Seidemann constate qu’un climat de haine règne à Jérusalem. Il estime que Benyamin Netanyahou et son gouvernement sont responsables de l’impasse sécuritaire. La jeunesse palestinienne baigne dans le ressentiment, du fait de l’échec des accords d’Oslo, et aucune initiative politique n’est prise par le gouvernement israélien pour trouver une issue à la nouvelle révolte en Cisjordanie. Les pays alliés et les grandes organisations internationales (Etats-Unis, Union Européenne, Organisation des Nations Unies) sont occupés ailleurs (Syrie, Irak). Mais il s’agit de se tenir prêt car quand viendra le temps des négociations au Moyen-Orient, il faudra se mettre au diapason des nouvelles initiatives diplomatiques, plus question de rester dans le déni de réalité.

Anat Ben- Nun lance un appel: le développement des implantations fragilise la possibilité de créer un Etat palestinien, mais la solution «deux Etats pour deux peuples» reste viable. Il faut être vigilant, et mobiliser l’opinion publique en Israël et à l’étranger contre l’expansionnisme du gouvernement Netanyahou. En outre, elle s’inquiète des initiatives anti-démocratiques prises par le gouvernement contre les ONG israéliennes qui mènent le combat pour la paix et contre l’occupation.

Nous vous donnons ci-dessous les principaux extraits de leurs interventions.

 

Seidmann Daniel Seidemann:

Mes amis, j’aimerais vous communiquer des  informations encourageantes en  provenance d’Israël, mais il y a quelques  heures un attentat a encore endeuillé le  pays (1). Je vis depuis 42 ans à Jérusalem,  je n’ai jamais ressenti autant de haine dans  cette ville ! Je ne peux plus rendre visite à  mes amis palestiniens qui vivent à l’est, et  ils ne peuvent plus venir me rencontrer à  l’ouest. Un mur de peur s’est élevé entre les  deux parties de la ville, plus efficace qu’une  clôture fortifiée. Depuis déjà un an, la  jeunesse palestinienne affronte la police  israélienne tous les jours. On estime que
1% des jeunes Arabes de Jérusalem ont été  arrêtés. Ce qui me désespère le plus, c’est  qu’en Israël aucun responsable politique,  aucun officiel, ne reconnaît et ne s’exprime  sur la gravité de la situation. Nous  demeurons dans un déni profond qui menace notre existence. Autour du Mont du Temple les forces radicales se mobilisent, qu’elles soient musulmanes, juives ou chrétiennes. Un ancien conflit politique qui aurait pu être résolu, le conflit Israël-Palestine, est en train de se transformer en affrontement religieux qui risque de ne pas trouver de solution.

Je crois que Netanyahou maintient intentionnellement cette situation, qui est issue de deux grands désordres. D’abord, les Palestiniens demeurent sans solution politique depuis l’échec des accords d’Oslo, ce qui engendre un profond sentiment de frustration et du ressentiment; ensuite, le gouvernement d’Israël ne fait rien pour proposer une issue diplomatique et refuse d’admettre que nous sommes assis sur un volcan. Par ailleurs, nos alliés sont fatigués de nos tergiversations et sont occupés sur d’autres fronts diplomatiques. Les Etats-Unis, qui avaient auparavant pour mission de contrôler plus ou moins la situation politique au Moyen-Orient, ont abdiqué ce rôle. L’Union européenne a ses propres priorités et traverse actuellement une profonde crise économique, sociale et identitaire.

Pourtant, en Israël, des personnalités indépendantes, des généraux, des intellectuels s’efforcent de dire la vérité sur les dangers que l’occupation des Territoires palestiniens fait courir à Israël. Nous sommes en danger, le «ghetto brûle» (2). Contrairement à l’idée que véhicule la propagande de Netanyahou, selon laquelle le peuple juif serait seul et sans amis, beaucoup de nations sont nos alliées et sont prêtes à nous aider à trouver les chemins de la paix.

J’ai rencontré, il y a quelques jours, des responsables du Département d’Etat à la Maison Blanche à Washington; ils m’ont expliqué qu’actuellement «ils ne pouvaient rien faire mais qu’il était hors de question de déserter le sujet». J’ai été également reçu, il y a six semaines, par des hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, qui m’ont fait part de la disponibilité des services de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, pour mettre en œuvre des solutions diplomatiques. Evidemment, tous ces gens ont des priorités différentes pour le Moyen-Orient en ce moment. Il y a eu les attentats de Daesh à Paris, l’intervention des Russes en Syrie, etc. Mais dans six mois, dans un an, ils reviendront sur le conflit israélo-palestinien, car il est impossible de résoudre en profondeur les conflits du Moyen-Orient sans traiter de cette question essentielle.

Je m’attends donc à ce que, prochainement, des initiatives diplomatiques soient prises par l’Union Européenne ou certains des pays qui la composent. Je pense aussi que les Etats-Unis, avec l’Organisation des Nations Unies (ONU), seront amenés à relancer le processus de paix israélo-palestinien dans le cadre plus large des solutions à mettre en œuvre en Syrie et en Irak. Le gouvernement Netanyahou ne pourra plus faire la sourde oreille à ces initiatives, et le public israélien devra davantage regarder du coté de la Palestine, sortir du déni de réalité.

Bien entendu, les Israéliens et les Palestiniens doivent négocier en direct, comme ils l’ont déjà fait à maintes reprises. Mais il faut que les amis des deux peuples les aident à reprendre le contact, à renouer le dialogue, car actuellement une situation extrême prévaut des deux côtés. En Israël, de nombreuses Organisations Non Gouvernementales (ONG) et un large public modéré sont prêts à relayer ces initiatives de paix auprès du gouvernement et des partis d’opposition. Il s’agit d’une opération de survie pour ce pays, et également pour la société palestinienne.

Ben Nun  Anat Ben-Nun:

Bonjour à tous. Je voudrais faire le point sur  la situation dans les Territoires palestiniens  et vous présenter le travail effectué par  Shalom Akhchav [La Paix Maintenant]  auprès de l’opinion publique israélienne.  Comme vous le savez peut-être, depuis plus  de dix ans, notre organisation a mis en  place un observatoire de surveillance du  développement des implantations juives en  Cisjordanie. Cet observatoire fait autorité  dans le monde entier, c’est une référence.  Nous accordons beaucoup d’importance à  l’expansion des implantations, car elles sont  le plus grand obstacle à la création d’un Etat  palestinien dans le cadre de la solution  «deux Etats pour deux peuples». Ce que  nous constatons, grâce aux travaux de cet  observatoire, c’est que les constructions se  poursuivent partout, aussi bien dans les  grands centres à la lisière de la ligne de cessez-le-feu de 1967 (Jérusalem, Ariel) que dans les petites implantations disséminées en Judée et Samarie.

Malgré les allégations de Netanyahou, l’expansion se poursuit de différentes manières afin d’accroître la population juive dans les Territoires palestiniens. L’administration gouvernementale a mis en place un processus d’accaparement des terres puis d’octroi de permis de construire sur ces terres. Elle autorise le développement des axes routiers et des infrastructures pour relier l’ensemble des implantations et quadriller ainsi les Territoires palestiniens.

Récemment, devant le Congrès juif mondial, Netanyahou a déclaré que, de tous les gouvernements, c’était le sien qui avait le moins bâti en Cisjordanie. C’est faux! La construction de nouveaux quartiers s’est accélérée, surtout dans les grands blocs urbains. Le problème est qu’en Israël on considère ces grandes agglomérations limitrophes de la «Ligne verte» (3) comme «cachères»; elles sont déjà annexées dans les esprits, même par l’opposition de gauche, ce qui n’est pas le cas pour les implantations plus petites et excentrées. Penser ainsi est erroné car dans les Accords de Genève, au chapitre des clauses d’échange de territoires entre Israël et les Palestiniens, il n’est pas prévu que toutes ces grandes agglomérations demeurent dans les frontières de l’Etat hébreu.

A ce propos, il faut se souvenir que l’Etat palestinien, aussi bien dans les accords d’Oslo que dans ceux de Genève, a toujours été envisagé comme devant être «viable et continu». L’extension des constructions dans les grandes zones urbaines, notamment autour de Jérusalem, peut mettre en péril ce principe et rendre caduque la solution de «deux Etats pour deux peuples». Nous sommes très vigilants sur cet aspect des choses, car la solution «deux Etats pour deux peuples», si elle demeure viable, se trouve fragilisée. Je peux donner comme exemple de cette vigilance le cri d’alarme que Shalom Akhchav a lancé lorsque le gouvernement Netanyahou a voulu construire massivement dans la «zone E1», entre Jérusalem et Maalé Adoumim (4). Finalement, devant les critiques suscitées par ce projet dans la communauté internationale, les autorités israéliennes ont reculé, permettant de préserver la continuité d’un futur Etat palestinien.

La vigilance s’impose donc, et l’opposition politique au gouvernement Netanyahou aussi. Malheureusement, le climat de violence aveugle et de répression brutale qui est le quotidien des Israéliens et des Palestiniens ne favorise guère une contre offensive forte de la gauche israélienne. Les citoyens de ce pays sont inquiets, et plutôt favorables aux discours sécuritaires. D’autres pensent qu’il faut agir maintenant, et qu’il y urgence à construire un camp modéré favorable à la paix. Shalom Arkhhav partage cette analyse, et nos actions actuelles militent en ce sens.

Trois raisons principales motivent cette décision. Premièrement, le gouvernement Netanyahou doit rendre compte de sa politique néfaste, et nous devons alerter l’opinion publique israélienne et internationale sur ce qui se trame dans les Territoires palestiniens, notamment par rapport au développement des implantations. Il faut empêcher le pire. Deuxièmement, face à l’atonie de l’opposition gouvernementale en Israël, les ONG pour la paix constituent un pôle de mobilisation et d’action. Les citoyens favorables à la reprise des négociations et opposés à la politique de colonisation nous rejoignent: pour la commémoration de l’assassinat d’Yitzkhak Rabin nous étions plus de 15 000 manifestants à Tel-Aviv. Enfin, nous préférerions que le changement vienne de la société israélienne, mais nous avons besoin aussi du soutien de la communauté internationale pour reprendre le dialogue avec les Palestiniens, et nous nous efforçons de multiplier les contacts.

Pour terminer, j’attire votre attention sur le fait que l’occupation corrompt moralement la vie politique et sociale israélienne. Nous assistons à une montée de la violence, du racisme et de l’extrémisme. L’attentat meurtrier perpétré par des terroristes juifs contre la famille Dawabsha dans le village palestinien de Douma (5) est un bon exemple de cette déliquescence morale. Il a fallu que nous organisions deux grandes manifestations contre le gouvernement Netanyahou pour que l’enquête avance enfin, et que les auteurs du crime soient arrêtés.

Au chapitre des mesures arbitraires prônées par la droite nationaliste au pouvoir, nous assistons depuis deux ans à une offensive anti-démocratique menée pour faire taire les ONG favorables aux droits de l’homme et au processus de paix. Tout est fait au niveau législatif pour les déstabiliser, la propagande du gouvernement essaie de leur ôter tout crédit auprès du public. Nous sommes attaqués sur nos prétendus «financements par l’étranger» ou sur nos prétendues «responsabilités dans les campagnes de boycott contre Israël . Le gouvernement Netanyahou a même tenté – sans succès, grâce à l’avis négatif de la Cour suprême – de déformer la loi sur la nationalité. Comme je vous le disais, nous devons rester vigilants et informer le monde des tristes réalités de l’occupation. J’espère que nous travaillerons ensemble dans cette direction.

 

1. Le 14 décembre, près du «Pont des cordes» à Jérusalem, un attentat à la voiture bélier conduite par un Palestinien faisait quatorze blessés, dont un bébé de six mois dans un état grave.

2. «Le ghetto brûle» – en yiddish, «Undzer shteitl brent». Référence à une chanson, écrite après le pogrom de Przytyk (Pologne), en 1936, et qui a été choisie comme hymne par les résistants du ghetto de Cracovie.

3. «Ligne verte»: la ligne d’armistice de 1948, qui fut la frontière d’Israël jusqu’à la guerre des six jours (1967) et l’occupation de la Cisjordanie qui était auparavant sous souveraineté jordanienne.

4. Grand centre urbain, à environ 15 km à l’est de Jérusalem (37 000 habitants).

5. Douma, village palestinien proche de Ramallah. Le 31 juillet 2015, un commando terroriste de colons juifs a mis le feu à une maison de ce village, entraînant la mort de trois personnes dont un bébé et ses parents. La police israélienne a mis du temps pour arrêter les coupables.

Compte-rendu rédigé par Paul Ouzi MEYERSON

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