LES MOTS AUSSI PEUVENT TUER (sur un appel anti-israélien)

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Nous reprenons ci-dessous un texte rédigé par Meïr Waintrater en réponse à une pétition lancée en faveur du boycott de la saison France-Israël qui se déroule actuellement. Il s’avère que Meïr Waintrater est président de JCall France, mais c’est en son nom propre qu’il a publié cette mise au point. Cependant, JCall s’associe entièrement aux arguments élaborés par l’auteur qui souligne que la pétition ressemble plus à un appel «anti-israélien» qu’à «un soutien pro-palestinien».

La critique de la politique nationaliste menée par le gouvernement Netanyahou est nécessaire et justifiée, la dénonciation d’Israël par le mensonge et le déni d’existence ne mène pas à la paix entre les deux peuples, le texte de Meïr Waintrater marque bien la différence entre ces deux approches irréconciliables.

 

Sur un appel anti-israélien :
LES MOTS AUSSI PEUVENT TUER

« Un texte circule en ce moment, dans des milieux qui se présentent comme «pro-palestiniens» et à qui la qualification d’«anti-israéliens» me semble mieux appropriée. Sous le titre «Nous demandons l’annulation de la Saison France-Israël», ce texte intime au Président de la République l’ordre «de faire en sorte» que «n’ait pas lieu» l’ensemble des événements, programmés de longue date, où des créateurs israéliens viendront présenter aux Français leur travail culturel et artistique (on peut avoir ici  http://www.institutfrancais.com/sites/default/files/dp_saison_fr-isr2018-v_def.pdf… une idée de ce que les pétitionnaires veulent interdire).

L’appel à l’annulation de la Saison France-Israël est issu de la Campagne BDS France; il est relayé par l’Association France-Palestine Solidarité et bénéficie du soutien actif du parti communiste et du NPA ainsi que de quelques organisations spécialisées comme l’UJFP et l’AURDIP (on peut lire ici le texte de l’appel et la liste de ses premiers signataires: http://annulationfranceisrael.wesign.it/fr).

Je ne jugerais pas nécessaire d’en parler davantage, n’étaient deux phrases figurant dans cet appel.

La première phrase définit l’État d’Israël en ces termes: «un État dont la nature annexionniste n’est plus un secret pour personne».

Tout tient ici au mot «nature».

Je comprends que l’on condamne la «politique annexionniste» du gouvernement israélien actuel (encore que, fort heureusement, il n’y ait pas eu à ce jour d’annexion de territoires au sens juridique du terme, à l’exception de Jérusalem-est et peut-être des hauteurs du Golan). Je pourrais aussi comprendre que, dans un abusif écart de langage, on impute cette politique annexionniste à l’État et non à son seul gouvernement.

Mais lorsque l’on remplace l’expression «politique annexionniste» par l’expression «nature annexionniste», on signale qu’il y va de tout autre chose que du comportement des dirigeants israéliens: on déclare que l’État d’Israël a une mauvaise «nature». Face à une mauvaise politique, la solution est de remplacer les dirigeants. Face à une mauvaise nature, c’est l’existence même de l’État qui est en cause.

Comment la main d’au moins quelques-uns des signataires n’a-t-elle pas tremblé en endossant une condamnation aussi absolue de l’État d’Israël ? Comme n’ont-ils pas perçu ce qu’une telle essentialisation d’un pays implique au sujet de ses habitants ? Comment n’ont-ils pas compris la logique infernale qui, une fois proclamée la mauvaise «nature» de l’État, conduit à justifier l’éradication de cet État et – conséquence inéluctable sinon programmée – l’annihilation de son peuple ?

J’en viens maintenant à la seconde phrase qui est, nous le verrons, le complément de la première. Dans une étonnante envolée, les auteurs de l’appel expliquent l’urgence qu’il y aurait, selon eux, à annuler la Saison France-Israël : «Comment en effet pourrions-nous faire comme si de rien n’était ? (…) Comme si le ghetto de Gaza ne courait pas le risque d’être purement et simplement liquidé, avec la complicité, active ou passive, de la communauté internationale ?»

Les signataires de l’appel annoncent la prochaine «liquidation» par Israël du «ghetto de Gaza». Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre à quel registre appartient ce vocabulaire. Certes, l’appellation «ghetto» est entrée dans le langage courant pour désigner un lieu d’enfermement relatif, où la ségrégation et l’oppression sont surtout d’ordre social; mais d’un pareil ghetto on ne dit pas qu’il risque d’être «purement et simplement liquidé». Les seuls ghettos qui aient jamais été «liquidés» sont les ghettos des territoires de l’Est européen sous la coupe de l’Allemagne nazie, le mot «liquidation» désignant l’extermination de tous les Juifs qui y étaient enfermés.

Le sort promis par Israël aux Palestiniens de Gaza serait donc une réédition de la Shoah – les Juifs étant dans le rôle des bourreaux.

Cette affirmation est déconnectée de tout contexte. Aucun semblant de preuve n’est apporté. Les mots sont incongrus, isolés, meurtriers. Et, là aussi, on s’interroge : les signataires de l’appel savent-ils tous ce que signifie la «liquidation» d’un «ghetto» ? Ont-ils compris à quel texte ils donnaient leur approbation ?

Attribuer aux Israéliens un projet génocidaire envers les Palestiniens paraît si fou qu’une seule explication est envisageable, et cette explication nous renvoie à la première phrase évoquée précédemment.

La formule qui associait le comportement des dirigeants israéliens à la mauvaise «nature» de leur État était en soi un propos transgressif, ouvrant la porte à une chaîne logique dont l’aboutissement était génocidaire. Peut-être les auteurs de cette formule en ont-ils pris conscience alors qu’il était trop tard pour reculer, peut-être ont-ils été emportés par leur fièvre discursive au point de la pousser jusqu’à ses ultimes retranchements. Quoiqu’il en soit, ils ont ajouté un délire à un autre.

Afin d’envisager la destruction physique d’une collectivité humaine, il faut l’avoir déshumanisée au préalable. La nazification collective des Israéliens (qui d’autre qu’un nazi envisagerait la «liquidation» d’un ghetto ?) remplit exactement cet office. Israël se voit ainsi voué au génocide, dans les deux sens de l’expression: voué à commettre un génocide, preuve de sa mauvaise nature, et voué à subir un génocide, juste châtiment de sa mauvaise nature.

Je ne sais qui a rédigé ce texte, et en particulier ces deux phrases qui révèlent bien plus qu’elles ne disent. Y eut-il un seul rédacteur, est-ce l’œuvre d’un comité ? S’est-on laissé emporter par une ardeur militante où l’esprit de vindicte fait fuir l’esprit ? Le mot «nature» appliqué au criminel israélien et le mot «liquidé» appliqué à la victime palestinienne sont-ils deux lapsus parallèles ? Mais lorsque deux lapsus se complètent aussi parfaitement, on ne peut se départir de l’idée qu’ensemble ils expriment un même discours intérieur. Ensemble, ils marquent la frontière entre les propos outranciers que l’on peut prononcer dans le feu d’un débat et les discours indécents avec lesquels aucun débat n’est possible ».

Meïr Waintrater

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