La tragi-comédie post électorale

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Près de 3 semaines après avoir été désigné par Shimon Peres pour constituer le prochain gouvernement, Benjamin Netanyahu se trouve au milieu du gué. Il est censé parvenir à créer une coalition début mars, mais peut demander au Président une rallonge de deux semaines, ce qui lui donne encore, au plus, 3 semaines. Comme chaque fois en Israël, cette période de tractations post électorales est riche d’enseignements parce que c’est à ce moment qu’est scellée la plateforme du futur gouvernement qui limitera par la suite sa marge de manœuvre. C’est ce système d’accords de coalition qui avait conduit Kissinger à dire qu’Israël n’avait pas de politique étrangère ! Cette étape se déroule généralement comme une pièce de théâtre avec ses rebondissements et ses traîtrises.

Nous avons assisté jusqu’à présent aux deux premiers actes de cette pièce.

Acte 1, scène 1 :

A l’énoncé des résultats, le « vainqueur » Yaïr Lapid et le « perdant » Benjamin Netanyahu ont tous deux fait des déclarations appelant à la constitution d’un gouvernement le plus large possible pour faire face aux enjeux auxquels est confronté le pays. Les chaînes de télévision nationales ont montré en boucle l’image de Lapid se jetant dans les bras de Bibi à la Knesset pour se congratuler  mutuellement.

Lapid Bibi

Acte 1, scène 2 :

Changement d’atmosphère suite à leur première rencontre quand Lapid, rejoint sur ses positions par Bennett de la liste  « La Maison juive » ( Habaït Hayehoudi ), a maintenu ses engagements de campagne : l’enrôlement des étudiants de Yeshivot dans l’armée et l’enseignement dans les écoles ultra orthodoxes des matières fondamentales (comme les maths ou l’anglais) comme condition pour pouvoir continuer à bénéficier des fonds gouvernementaux. La proposition faite par le responsable du Conseil économique national, Eugene Kandel, avec l’accord de Bibi, de porter à 60%  l’enrôlement des étudiants des yeshivot âgés de 18 à 24 ans a été rejetée par le tandem Lapid / Bennett, rejoint par Shaul Mofaz à la tête de ce qui reste de Kadima (2 députés).

Acte 1, scène 3 :

Lapid, grisé par sa position de force, annonce qu’il sera le futur chef de gouvernement lors des prochaines élections ; ce qui, selon les commentateurs, provoque l’ire de Bibi. Au même moment Bennett s’excuse de sa blague sur Sara Netanyahu avec laquelle « il aurait suivi des cours de terrorisme ».

Lapid Bennett 3

Acte 2, scène 1 :

Coup de théâtre : Netanyahu et Tsipi Livni annoncent la signature d’un accord selon lequel Livni occupera à la fois le poste de ministre de la Justice et sera en charge des futures négociations avec les Palestiniens sous la responsabilité directe du Premier ministre. Elle sera, de plus, membre du cabinet ministériel restreint de la sécurité nationale. Elle obtient même pour son parti un autre ministère, sans doute celui de l’environnement, et la direction d’une commission à la Knesset. Livni a incontestablement réussi à bien vendre le soutien de ses 6 mandats. Alors qu’elle avait fait toute sa campagne en se présentant comme une alternative à Bibi, Livni justifie son revirement par « la nécessité de ne laisser aucune pierre non retournée pour participer à un gouvernement qui s’engagerait à amener la paix ». A-t-elle reçu de Bibi des garanties qui l’assurent de son engagement à entamer des négociations sérieuses avec les Palestiniens ? Ou ne sera-t-elle que la face présentable à l’étranger du futur gouvernement, comme Barak le fut précédemment ?

Acte 2, scène 2 :

Bibi est maintenant confronté à un choix :

–          S’il décide de renoncer à rallier à lui le tandem Lapid / Bennett et leurs 31 députés, il sait que les voix de ses alliés traditionnels, que sont les deux partis orthodoxes, c’est-à-dire les 11 députés du Shas et les 7 de Yaadout Hatorah, ne seront pas suffisants pour construire une majorité. Il lui manquera encore au moins 6 voix pour atteindre les 61 minimum. Il lui faudrait alors, soit convaincre la leader travailliste, Shelly Yachimovitch, de changer sa position en renonçant à conduire l’opposition comme elle s’y est engagée, soit essayer de provoquer une scission de ce parti en attirant à lui certains des députés travaillistes comme il l’avait fait avec Barak lors de la précédente mandature. Un tel scénario semble peu probable, pour l’instant, tant sont éloignées les positions économiques de Bibi et de Shelly. Cependant s’il voyait le jour, un tel scénario permettrait de constituer une majorité susceptible d’entamer des négociations avec les Palestiniens.

–          L’autre alternative serait de passer sous les fourches caudines du tandem Lapid / Bennett et d’accepter leurs exigences. Dans ce cas, Bibi serait sans doute contraint de revenir sur l’accord passé avec Livni, accusée par Bennett de vouloir restituer Ariel et diviser Jérusalem. Un sondage commandité par la chaîne 10 montre qu’une coalition sans les orthodoxes a la préférence de 51 % des électeurs.

Les deux sondages menés ce week-end, donnant en cas de nouvelles élections respectivement soit 30 sièges à Lapid et seulement 22 au Likoud-Beteinou, ou soit 24 à Lapid et 28 à Bibi, traduisent tous deux l’érosion du pouvoir de ce dernier. Pour autant il est peu probable qu’Israël retourne aux urnes dans les prochaines semaines. La situation dans la région, avec d’une part le risque de voir en plus de la menace iranienne le conflit syrien s’étendre et d’autre part la menace d’une troisième Intifada dans les territoires, ne peut permettre au pays de ne pas être dirigé durant une longue période.

De plus, Bibi se doit d’avoir un gouvernement formé avant l’arrivée prochaine d’Obama prévue le 20 mars.

Comment Bibi va-t-il attaquer le troisième et dernier acte de la pièce ? Sharon avait coutume de dire de lui qu’il ne résistait pas aux pressions. Ainsi pensent les entourages de Bennett et de Lapid, qui, pour parties, sont constitués d’anciens proches collaborateurs de Bibi. [1] Qui gagnera cette partie de poker menteur ?

Mais à trop se focaliser sur les problèmes internes, cette comédie du pouvoir risque de se transformer en tragédie. Il serait temps, en effet, que les dirigeants du pays se rendent compte que, pendant qu’ils négocient, les braises se rallument dans les territoires et que là se situe la véritable urgence.  Les confrontations de plus en dures avec les colons, les manifestations en soutien aux prisonniers grévistes de la faim, la mort samedi en prison d’Arafat Jaradat, arrêté la semaine dernière pour avoir jeté des pierres sur des Israéliens et dont l’enterrement a été suivi lundi par des milliers de Palestiniens, en sont les signes précurseurs.

David Chemla

 

 

 



[1] Ayelet Shaked, Eyal Gabai et Shalom Shlomo et Bennett lui-même du côté de Habaït Hayehoudi et Uri Shani chez Lapid

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