Bibi or not Bibi

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Sommes-nous à la veille d’un nouveau tournant historique en Israël ? Près de 40 ans après celui de 1977 qui a vu le Likoud détrôner le parti travailliste au pouvoir depuis la création de l’Etat et devenir, depuis, le parti dominant sur la scène politique intérieure[1], allons-nous assister à un tournant en sens inverse ?

A quelques jours du scrutin, les sondages donnent à la liste « Le camp sioniste », menée par le tandem Herzog – Livni une légère avance sur celle du Likoud (24 mandats contre 21). Mais à la différence de 1977 où les deux partis majoritaires totalisaient ensemble 58 % des votes (43 mandats pour le Likoud et 32 pour les travaillistes), permettant au parti dominant de constituer facilement une coalition autour de lui, cette fois-ci, quel que soit le résultat du 17 mars, il ne sera facile à aucun des deux partis de le faire. Le Likoud va consacrer les derniers jours de sa campagne à ramener à lui ses électeurs qui l’ont déserté au profit de la liste « Koulanou » (« Nous tous ») menée par Moshé Kahlon, un ancien ministre du Likoud, qui a fait toute sa campagne sur des thèmes sociaux (8 à 9 mandats selon les sondages), ou celle de « Habayit Hayoudi » (« La Maison juive ») menée par Naphtali Bennett (12 à 13 mandats). Netanyahou, dans la foulée de son discours très controversé prononcé devant le Congrès américain, va continuer à se servir de la menace du nucléaire iranien, en faisant valoir l’inexpérience et l’incapacité de ses adversaires à assurer la sécurité du pays. Malgré une défiance de plus en plus grande à son égard, effet « d’affaires » le mettant en cause lui personnellement et sa femme Sarah, le public continue pourtant de penser qu’il reste effectivement le plus à même pour diriger le pays (49 % pour lui contre 36 % pour Herzog).

Quant aux travaillistes, ils vont axer leur campagne vers les électeurs du centre afin de conforter leur avance sur le Likoud et rester la première liste à l’issue du scrutin à laquelle Réuven Rivlin, le président de l’Etat, confiera le soin de constituer une coalition.

D’ores et déjà cette élection marquera un tournant dans l’histoire du pays et cela pour plusieurs raisons :

  1. La création pour la première fois d’une liste unifiée arabe qui appelle les Arabes israéliens à voter pour des « Arabes indifférenciés », faisant fi des engagements socialistes, islamiques, nationalistes ou autres. Cette liste, conséquence du relèvement du seuil d’éligibilité électorale à 3,25 % [2] au lieu de 2 %, loi voulue notamment par Avigdor Liberman pour réduire la représentation des petites listes et ainsi limiter la présence des partis représentants les Arabes israéliens [3] peut espérer devenir le troisième parti représenté à la Knesset. Créditée de 13 mandats, au lieu de 11 dans la Knesset sortante, elle pourrait obtenir jusqu’à 15 mandats, si les Arabes votaient dans la même proportion que les Juifs. Mettant l’accent sur le thème de l’égalité des droits civiques, et non pas sur des thèmes nationalistes palestiniens, elle attire aussi les électeurs juifs radicaux mobilisés contre la progression du racisme à l’égard des Arabes israéliens. Il est intéressant de noter que selon un sondage récent, 70 % des électeurs arabes sont surtout préoccupés, comme les électeurs juifs, par les questions sociales et 60 % d’entre eux souhaiteraient voir la liste arabe participer dans le futur gouvernement. Néanmoins son refus de passer l’accord des « restes »[4] que lui proposait le Meretz « parce que c’est un parti sioniste » coûtera à la gauche au moins un mandat.
  1. L’autre évolution intéressante est le constat d’une érosion du vote « communautaire ». Deux exemples sont significatifs à cet égard : « Israël Beteinou », (« Israël notre maison ») le parti russophone créé par Avigdor Liberman pour attirer le vote russe est crédité aujourd’hui de 5 à 6 mandats, contre 13 dans la Knesset sortante. Cette chute des intentions de vote, conséquence, certes, des nombreuses affaires de corruption impliquant des membres éminents de ce parti, montre que les électeurs russes sont moins sensibles aux messages communautaires et votent de plus en plus pour d’autres partis. L’autre exemple est le vote « marocain » suite à l’éclatement du Shas en deux listes : celle du Shas autour d’Arié Déri, qui depuis son retour en politique après les affaires de corruption pour lesquelles il a été condamné et emprisonné de 2000 à 2002, revendique la direction de son parti après la disparition de son fondateur, le rabbin Obadia Yossef. Et celle menée par son frère ennemi Elie Ishaï [5], « Yachad », (« Ensemble ») qui est beaucoup plus marquée à l’extrême droite. Si les sondages leur donnent respectivement 7 et 4 mandats, retrouvant ensemble les 11 mandats du Shas de la Knesset sortante, la scission de ce parti en deux listes procure à Arie Déri une marge de manœuvre qui lui permet de ne pas écarter une éventuelle coalition avec les travaillistes, d’autant plus qu’il se retrouve plus dans leur programme social que dans celui du Likoud.
  1. La troisième caractéristique de ces élections est la consolidation d’un centre sur l’échiquier politique. Depuis 1977, chaque élection a vu l’émergence d’une liste centriste qui généralement disparaissait lors des élections suivantes. Cette fois-ci deux listes se battent pour attirer cet électorat : celle de « Yesh Atid », (« Il y a un avenir ») menée par Yaïr Lapid, ancien journaliste et ministre des Finances du gouvernement sortant, qui représente les classes élevées et moyennes de la bourgeoisie laïque d’origine majoritairement ashkénaze. Créditée de 13 à 14 mandats (contre 15 dans la Knesset sortante), cette liste pourrait rejoindre une coalition du centre gauche menée par Herzog, d’autant plus facilement à cause de l’inimitié existante entre Netanyahou et Lapid. Et celle que tout le monde courtise « Koulanou », de Moshé Kahlon qui revendique pour lui le poste de futur ministre des Finances afin de s’atteler à la baisse du coût de la vie et des logements qui reste le sujet le plus préoccupant pour le public israélien.

Mathématiquement, il semble qu’il devrait être plus facile à Netanyahou de constituer une coalition qu’Herzog. Mais le passé a montré que très souvent les sondeurs se trompaient. Dans ces élections, un certain nombre d’inconnues peuvent fortement influencer le résultat : l’effet de la liste unifiée arabe sur la mobilisation de l’électorat arabe ; la portée des critiques émises par d’anciens responsables de la Sécurité de l’État, comme l’ancien chef du Mossad Méïr Dagan, mettant en cause la capacité de Netanyahou à prendre des décisions ou à gérer les situations de crise ; les inimitiés personnelles existantes au sein du camp de la droite qui pourraient conduire par exemple Liberman, gagné à une approche plus pragmatique de la situation régionale, à préférer une coalition avec Herzog plutôt qu’avec Netanyahou …Cette élection évolue donc de plus en plus comme un plébiscite « Pour ou contre Bibi ». Et il n’est pas sûr que, contrairement aux prévisions d’il y a quelques mois qui avaient poussé Netanyahou à limoger ses ministres centristes et à provoquer des élections anticipées, le scénario de Bibi soit gagnant.

Enfin reste le scénario d’un gouvernement d’union nationale qui, s’il était retenu par le parti travailliste, serait catastrophique pour la démocratie israélienne qui a besoin d’une alternative claire à la politique actuelle, et pour le parti travailliste qui commence seulement à se remettre maintenant des années Barak où il avait perdu toute crédibilité.

David Chemla, secrétaire européen de JCall

[1] A part les deux parenthèses travaillistes, du gouvernement Rabin (1992 – 1995) et de celui de Barak (1999 – 2000)

[2] Ce qui représente 4 députés au minimum

[3] Les trois partis à majorité arabe que sont Balad, Hadash et Ra’am-Ta’al avaient obtenu respectivement 2,56 %, 2,99 % et 3,65 % lors des dernières élections.

[4] Le système électoral à la proportionnelle oblige les partis à passer des accords bilatéraux pour récupérer les voix insuffisantes pour l’obtention d’un nouveau mandat afin de les comptabiliser ensemble au profit du parti qui en a le plus.

[5] Ancien ministre de l’intérieur dans le gouvernement Netanyahou 2009 – 2013. Il s’est fait remarquer notamment pour les actions qu’il a menées contre la population des émigrés africains, renvoyant certains d’entre eux dans leur pays.

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